Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 21 mars 2018 et un mémoire enregistré le 8 octobre 2018, M. C... F... et Mme E... F..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 décembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet de la Martinique sur leur demande adressée le 30 novembre 2016, ou subsidiairement d'annuler cette décision en tant qu'elle concerne le terrain d'assiette de leur habitation ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de procéder à la cession de ces parcelles ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est entaché d'erreur de fait dans la mesure où ils sont bien ayants-droits des personnes ayant édifié ou fait édifier avant le 1er janvier 1995 des constructions à usage d'habitation au sens des dispositions de l'article L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques et qu'il existe sur les parcelles litigieuses deux autres constructions dont l'une à usage d'habitation qui ont été occupées depuis 1985 par Mme F... ;
- la décision implicite de rejet du préfet de la Martinique méconnaît l'autorité de chose jugée attachée au jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 novembre 1995 ;
- la décision implicite de rejet du préfet de la Martinique méconnaît le principe de liberté du commerce et de l'industrie ;
- les parcelles litigieuses ne sont pas affectées à l'usage direct du public ni affectées à un service public et ne font pas l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution des missions de ce service public, elles ne peuvent donc être maintenues dans le domaine public mais doivent leur être cédées.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 août 2018, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués ne sont pas fondés.
Par un courrier du 15 novembre 2019, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur deux moyens relevés d'office, tirés de ce que :
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que, la demande devant être regardée comme tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Martinique du 16 juin 2017, qui s'est substituée en cours d'instance à la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet sur la demande des requérants du 30 novembre 2016, il appartenait au tribunal de constater que les conclusions dont il était saisi étaient partiellement privées d'objet ;
- la décision du préfet de la Martinique du 16 juin 2017 s'étant substituée à la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet sur la demande du 30 novembre 2016, les conclusions des requérants sont privées d'objet en tant qu'elles tendent à l'annulation de la décision de refus du préfet de faire droit à leur demande en tant qu'elle porte sur les terrains d'assiette de leur maison d'habitation.
M. C... F... et Mme E... F... ont produit des observations en réponse à ce courrier par un mémoire enregistré le 20 novembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- le décret n° 2014-1282 du 23 octobre 2014 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A... B...,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un courrier du 30 novembre 2016, M. C... F... et Mme E... F... ont demandé au préfet de la Martinique de procéder au déclassement, en vue de leur cession à leur profit, des parcelles cadastrées section AN n° 33 et 34, incorporées ultérieurement à une parcelle plus vaste cadastrée section AN n° 74, AN n° 35, devenue AZ n° 11, ainsi que AN n° 36, devenue AZ n° 10, d'une superficie totale d'approximativement 8 hectares et situées pour partie dans la zone des cinquante pas géométriques sur la commune du Lamentin (Martinique). Le 31 mars 2017, ils ont saisi le tribunal administratif de la Martinique d'une demande d'annulation de la décision implicite de rejet née du silence gardé par le préfet sur cette demande. M. C... F... et Mme E... F... relèvent appel du jugement du 12 décembre 2017 par lequel le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leurs conclusions tendant à l'annulation de cette décision implicite.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Postérieurement à l'introduction, le 31 mars 2017, de la demande de première instance des requérants, le préfet de la Martinique leur a adressé, le 16 juin 2017, un courrier réitérant l'offre faite le 1er juillet 2016, après avis de la commission des cinquante pas géométriques, d'acquérir une parcelle d'une superficie de 1 700 mètres carrés détachée de la parcelle cadastrée section AZ n° 10, supportant la maison d'habitation la plus éloignée du plan d'eau, avec ses dépendances, ainsi que l'assiette du chemin permettant d'y accéder, et les a informés qu'il ne pouvait être fait droit à l'intégralité de leur demande en raison de l'autorisation d'occupation temporaire consentie sur ces terrains à la communauté d'agglomération du Centre de la Martinique en vue d'y aménager un port de plaisance. Cette décision s'est substituée au rejet implicite né du silence gardé par le préfet à l'expiration du délai de deux mois suivant la réception du courrier des consorts F... du 30 novembre 2016. Leur demande devait donc être regardée comme dirigée contre cette décision du 16 juin 2017. Par suite, en estimant que la demande était seulement dirigée contre la décision implicite de rejet de la demande du 30 novembre 2016 et en ne constatant pas que le litige était désormais partiellement privé d'objet, le tribunal administratif a méconnu son office et a entaché son jugement d'irrégularité.
3. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement sur cette partie de la demande par la voie de l'évocation et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur le surplus des conclusions.
Sur la légalité de la décision du 16 juin 2017 en tant qu'elle concerne la parcelle et les biens mentionnés au point 2 :
4. Il résulte de ce qui a été dit au point 2 que par son courrier du 16 juin 2017, le préfet de la Martinique a partiellement fait droit à la demande des requérants. Par suite, leurs conclusions dirigées contre la décision du 16 juin 2017 en tant qu'elle concerne les terrains supportant la maison d'habitation la plus éloignée du plan d'eau, ses dépendances et l'assiette du chemin permettant sa desserte sont privées d'objet et il n'y a plus lieu d'y statuer.
Sur le surplus des conclusions :
5. Par sa décision du 7 novembre 1995, le tribunal administratif de Fort-de-France a annulé la décision du 1er juillet 1993 par laquelle le préfet de la région Martinique avait refusé de faire droit à une précédente demande des consorts F... tendant aux mêmes fins au motif que celle-ci était entachée d'erreur de droit pour être fondée sur un critère qui était seulement applicable, en vertu des dispositions des articles L. 89, L. 89-4 et L. 89-5 du code du domaine de l'Etat alors en vigueur, à la cession des terrains situés dans la zone des cinquante pas géométriques susceptibles d'aménagement au profit de la commune. Toutefois, ni ce motif, ni la circonstance que le tribunal ait par ailleurs refusé de faire droit à une demande de substitution de base légale formulée par l'administration n'impliquent que les requérants doivent se voir reconnaître un droit à la cession des parcelles en cause. Le moyen tiré de la méconnaissance de l'autorité de chose jugée par le tribunal doit donc être écarté.
6. Aux termes de l'article L. 5111-1 du code général de la propriété des personnes publiques : " La zone comprise entre la limite du rivage de la mer et la limite supérieure de la zone dite des cinquante pas géométriques définie à l'article L. 5111-2 fait partie du domaine public maritime de l'Etat ". Aux termes de l'article L. 5111-2 du même code : " La réserve domaniale dite des cinquante pas géométriques est constituée par une bande de terrain délimitée dans les départements de La Réunion, de la Guadeloupe et de la Martinique (...) ". Aux termes de l'article L. 5112-5 du même code : " Les terrains situés dans les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation diffuse, délimités conformément aux articles L. 5112-1 et L. 5112-2, peuvent être déclassés aux fins de cession à titre onéreux aux occupants qui y ont édifié ou fait édifier avant le 1er janvier 1995, ou à leurs ayants droit, des constructions affectées à l'exploitation d'établissements à usage professionnel. La cession à une personne morale est soumise pour avis à la collectivité territoriale ou au groupement de collectivités territoriales concerné, qui dispose de trois mois pour faire connaître son avis (...) ". Enfin aux termes de l'article L. 5112-6 du même code : " Les terrains situés dans les espaces urbains et les secteurs occupés par une urbanisation diffuse, délimités conformément aux articles L. 5112-1 et L. 5112-2, peuvent être déclassés aux fins de cession à titre onéreux aux personnes ayant édifié ou fait édifier avant le 1er janvier 1995, ou à leurs ayants droit, des constructions à usage d'habitation. / A défaut d'identification des personnes mentionnées à l'alinéa précédent, ces terrains peuvent être déclassés aux fins de cession à titre onéreux aux occupants de constructions affectées à leur habitation édifiées avant le 1er janvier 1995 (...) ".
7. S'il ressort des pièces du dossier que les terrains litigieux ont été occupés à compter de l'année 1971 par le père des requérants, M. C... F..., en vertu d'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public du 7 mai 1971 renouvelée pour 15 ans le 13 avril 1978 au profit de sa veuve, toutefois, il résulte notamment de l'acte notarié du 10 juillet 1971, de l'acte authentique de constitution de la société Marina Port Cohé et de la décision de la commission de vérification des titres de la Martinique du 24 juillet 2002 que les biens immobiliers supportés par ces terrains, comprenant un embarcadère, un grand hangar, un hangar à bateaux, une loge à bateaux, une darse, des appontements, un bâtiment dénommé " magasin d'approvisionnement ", transformé par la suite en une maison d'habitation, et d'autres aménagements et installations, ont été acquis par M. C... F... auprès de la SA Sucreries réunies de la Martinique et n'ont donc été ni édifiés ni fait édifier par lui. Enfin, il n'est pas soutenu que d'autres constructions y auraient été implantées avant le 1er janvier 1995. Par suite, les terrains dont il s'agit n'entraient pas dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 5112-5 du code général de la propriété des personnes publiques et le moyen tiré de ce que le préfet de la Martinique aurait fait une inexacte application des dispositions de cet article doit, dès lors, être écarté.
8. Pour établir qu'ils occupent certaines des constructions situées sur les parcelles litigieuses et que celles-ci seraient affectées à leur habitation, les requérants produisent seulement une copie d'une lettre de relance concernant un avis de taxe foncière adressée à Mme F... pour l'année 2013 ainsi qu'une copie d'une lettre de relance concernant un avis de taxe d'habitation adressé à M. F... pour la même année. Toutefois, ces documents ne permettent pas d'identifier les bâtiments en cause, ne concernent pas l'année durant laquelle ils ont effectué leur demande et ne permettent donc pas de regarder comme établie l'affirmation des requérants selon laquelle la construction qui n'est pas concernée par le courrier du préfet du 16 juin 2017 serait affectée à leur habitation et occupée par eux. Par suite, les terrains dont il s'agit n'entraient pas non plus dans le champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques et le moyen tiré de ce que le préfet aurait fait une inexacte application de ces dispositions doit être écarté.
9. Dès lors que les terrains dont il s'agit ne remplissent pas les conditions prévues par les dispositions précitées des articles L. 5112-5 et L. 5112-6 du code général de la propriété des personnes publiques, les consorts F... ne peuvent utilement soutenir que la décision contestée, en tant qu'elle refuse de faire droit à leur demande de cessions de ces terrains, porterait atteinte au principe de la liberté du commerce et de l'industrie. Au demeurant, alors même que la décision attaquée indique qu'il ne peut être fait droit à l'intégralité de leur demande au motif que certains des terrains objet de cette demande ont fait l'objet d'une autorisation d'occupation temporaire des sols au profit de la communauté d'agglomération du Centre de la Martinique en vue d'y aménager un port de plaisance, elle n'a ni pour objet ni pour effet de réglementer les conditions d'exercice de l'activité économique de la société que les requérants exploitent, ni de faire prendre en charge par une personne publique une telle activité.
10. A supposer même que les biens en litige ne seraient pas affectés à l'usage direct du public ou ne feraient pas l'objet d'un aménagement indispensable à l'exécution de missions de service public, les requérants ne démontrent pas que les parcelles en cause ne seraient pas situées dans la zone des cinquante pas géométriques, qui relève du domaine public maritime de l'Etat en application des dispositions précitées.
11. Il résulte de ce qui précède que M. C... F... et Mme E... F... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Martinique a rejeté leur demande en tant qu'elle concerne les terrains qui ne faisaient pas partie de l'offre de cession faite par le préfet dans son courrier du 16 juin 2017. Par suite, leurs conclusions présentées à titre subsidiaire en tant qu'elles concernent ces terrains doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que demandent les requérants au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Martinique du 12 décembre 2017 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions des consorts F... concernant la parcelle et les biens mentionnés au point 2.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête en tant qu'elles portent sur la parcelle et les biens mentionnés au point 2.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F..., à Mme E... F... et à la ministre de la transition écologique et solidaire.
Copie en sera adressée à la ministre des outre-mer et au préfet de la Martinique.
Délibéré après l'audience du 21 novembre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Hardy, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. A... B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 décembre 2019.
Le rapporteur,
David B...Le président,
Marianne Hardy
Le greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et solidaire, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 18BX01172