Par une requête enregistrée le 4 juin 2018 et un bordereau de pièces complémentaires enregistré le 15 juin 2018, M.D..., représenté par MeE..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 30 mars 2018 et l'arrêté du 4 avril 2017 ;
2°) d'enjoindre au préfet de lui délivrer le certificat de résidence sollicité dans le délai de quinze jours suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, en tout état de cause de réexaminer sa situation ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les entiers dépens du procès, la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
M. D...soutient que :
- le jugement est entaché d'une erreur de droit et d'une erreur d'appréciation de sa situation et des pièces produites aux débats ;
En ce qui concerne le refus de renouvellement du certificat de résidence :
- le refus de séjour, fondé sur des généralités et occultant les violences dont il a été victime, n'est pas suffisamment motivé, ce qui révèle un défaut d'examen de sa situation ;
- la procédure contradictoire n'a pas été respectée dès lors qu'il a été privé de la possibilité de présenter des éléments pertinents, notamment juridiques ou s'agissant de son état de santé, qui auraient pu influer sur le contenu de l'arrêté litigieux et ignorait en outre que le refus apporté à sa demande de délivrance de titre de séjour pouvait le contraindre à quitter le territoire français ; son droit à être entendu protégé par un principe général du droit de l'Union européenne a ainsi été méconnu ;
- le préfet ne pouvait lui opposer l'absence de visa des services en charge de l'emploi sur le contrat de travail dont il se prévaut ; il appartenait au préfet, en application de l'article R. 5221-17 du code du travail, soit de statuer lui-même sur la demande d'autorisation de travail, soit de la transmettre à la DIRECCTE afin qu'il y soit statué par délégation ;
- les motifs tirés de ce que le contrat de travail dont il se prévaut est un contrat précaire et de ce qu'il ne ferait valoir aucune perspective d'intégration professionnelle sur le long terme ne sauraient justifier le refus d'accorder l'autorisation de travail et de délivrer une carte de séjour portant la mention " salarié " ; l'employeur a d'abord réitéré l'expression de sa satisfaction à son égard et précisé qu'un avenant a été établi pour que son travail soit désormais à temps plein, et que le contrat sera renouvelé à l'issue de la période initiale ; par ailleurs, ni la circonstance qu'un contrat de travail est qualifié de précaire ni l'absence de justification d'une perspective d'intégration professionnelle sur le long terme ne figurent, aux termes de l'article R. 5221-20 du code du travail, parmi les éléments d'appréciation pris en compte par le préfet pour accorder ou refuser une autorisation de travail ; le maire de la commune de Salvetat-Saint Gilles qui l'emploie atteste que son contrat est désormais à temps complet, qu'il est tout à fait en capacité d'occuper un tel poste et qu'il justifie d'un niveau de formation qualifiante et d'une expérience professionnelle ;
- le préfet ne pouvait exiger la présentation d'un visa long séjour alors qu'il a été admis à séjourner en France et bénéficiait d'une carte de séjour valable du 28 décembre 2015 au 27 décembre 2016 ;
- le refus de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation, s'agissant des conséquences qu'elle comporte sur la situation personnelle ; il réside régulièrement depuis l'année 2015 en France où il dispose d'attaches anciennes, stables et intenses ; le préfet n'a pas pris en compte les circonstances de la cessation de la vie commune avec son épouse, laquelle a exercé sur lui des violences ; le préfet ne saurait, à cet égard, se fonder sur les seules allégations mensongères et non établies de son épouse, alors qu'aucune procédure de divorce n'a été engagée et que les services de gendarmerie ont refusé d'enregistrer ses plaintes ; il a été pris en charge par la commune et bénéficie d'un emploi aidé, ce qui l'a conduit à solliciter un changement de statut ;
- ce refus a ainsi porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale protégé par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été décidé et a méconnu les stipulations du 5° de l'article 6 de l'accord franco-algérien ; le préfet, à tort, n'a pas usé, de son pouvoir de régularisation, eu égard notamment aux violences conjugales dont il a été victime ;
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :
- le préfet ne fait pas mention des motifs propres venant justifier la mesure d'éloignement et n'a pas au préalable sollicité ses observations sur cette décision ; le préfet a ainsi méconnu son droit à être entendu ;
- dès lors que la mesure d'éloignement est fondée sur le refus de renouveler son titre de séjour, il est bien fondé à soulever l'exception d'illégalité de ladite décision ;
- pour les mêmes motifs que ceux indiqués précédemment, cette décision porte une atteinte disproportionnée au respect de son droit à la vie privée et familiale et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne le refus d'accorder un délai de départ volontaire :
- la décision n'est pas suffisamment motivée en méconnaissance de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- l'administration n'a pas procédé à un examen particulier de sa situation en lui accordant un délai de départ volontaire de trente jours ;
- le préfet ne lui a pas demandé ses observations avant de prendre cette décision, laquelle est, dans ces conditions, entachée de vice de procédure ;
- la décision est entachée d'erreur de droit en ce que le préfet s'est placé à tort dans une situation de compétence liée ;
- cette décision est dépourvue de base légale et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement :
- la décision fixant le pays de renvoi n'est pas motivée, en l'absence d'indication des risques qu'il encourt en cas de retour dans son pays d'origine.
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens soulevés en appel par M. D...ne sont pas fondés et s'en rapporte à ses écritures de première instance.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 17 mai 2018.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour en France des ressortissants algériens et de leurs familles et ses avenants;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridictionnelle ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Cécile Cabanne pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme G...a été entendu au cours de l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant algérien né en 1982, est entré en France le 2 août 2015 muni d'un visa de type C à entrées multiples portant la mention " familleF... " délivré à la suite à son mariage célébré en Algérie le 31 juillet 2013 avec MmeA..., de nationalité française. Il a ensuite bénéficié d'un certificat de résidence valable du 28 décembre 2015 au 27 décembre 2016. Il a déposé une demande de changement de statut et la délivrance d'un titre " salarié " en se prévalant d'une demande d'autorisation de travail présentée par son employeur. Par un arrêté du 4 avril 2017, le préfet de la Haute-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D...fait appel du jugement du
30 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. L'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié régit d'une manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France, ainsi que les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés et leur durée de validité, de sorte que les dispositions de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui prévoient la possibilité pour le préfet d'accorder le renouvellement du titre de séjour lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger à raison des violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, ne sont pas applicables aux ressortissants algériens. Toutefois, il appartient à l'autorité préfectorale, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressé, notamment eu égard aux violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Le juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, vérifie que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation portée sur la situation personnelle de l'intéressé.
3. M. D...fait valoir qu'il a subi des violences et des humiliations de la part de son épouse et produit une lettre du 27 juin 2016 de MmeB..., maire-adjoint déléguée aux affaires sociales de la commune de La Salvetat Saint-Gilles, adressée au procureur de la République et ayant pour objet la " transmission d'information préoccupante ", qui atteste avoir reçu l'intéressé " à plusieurs reprises, en état de choc, déstabilisé, perturbé, suite à des persécutions verbales et physiques répétées de la part de son épouse ". Ladite lettre indique également que M. D...a été " mis à la rue " sans argent ni vêtements le 9 juin 2016 par son épouse qui l'a démuni de ses papiers et qui continue à le harceler et le provoquer, cherchant l'affrontement physique et qu'il a été pris en charge par les services du centre communal d'action sociale de la commune. Il ressort également des pièces du dossier que M. D... a déposé plainte le 2 novembre 2016 pour des faits de violence exercés par son épouse. Par un certificat médical établi le 7 décembre 2016, le médecin légiste de l'unité médico-légale de Rangueil, requis par le procureur, a retenu une incapacité temporaire de travail d'un jour compte tenu du retentissement psychique des violences relatées par l'intéressé. Si, à la date de la décision attaquée, l'épouse de M. D...avait engagé une procédure aux fins d'annulation du mariage, il ressort du jugement du tribunal de grande instance de Nantes du 26 avril 2018, qui bien que postérieur à la décision attaquée porte sur des fais antérieurs, que l'intéressée a été déboutée de sa demande au motif qu'elle ne rapportait pas la preuve de ce que son époux aurait contracté mariage avec elle dans l'unique but de s'établir sur le territoire national. Alors même que l'épouse de M. D...a elle-même déposé plainte le 11 septembre 2016 pour des actes de violence, il ressort des pièces du dossier, notamment des termes circonstanciés du courrier de l'adjointe au maire de la commune du 27 juin 2016, que M D...a été victime de faits graves de violence et de harcèlement de la part de cette dernière. En outre, il ressort également des pièces du dossier que M. D...a travaillé en qualité d'agent d'entretien sous couvert d'un contrat de travail à durée déterminée conclu avec la commune de La Salvetat Saint-Gilles dans le cadre d'un contrat unique d'insertion à temps partiel pour une durée de six mois, renouvelable à compter du 17 octobre 2016 jusqu'au 16 avril 2017 et qu'il a donné entière satisfaction, le maire de la commune ayant manifesté son intention de reconduire son contrat dès la régularisation de sa situation administrative. Il justifie ainsi de sa capacité à s'intégrer dans la société française. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Garonne a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'appréciation portée quant à la situation personnelle de M. D...en refusant de renouveler son titre de séjour. Par voie de conséquence, les décisions portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi sont privées de base légale.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur la régularité du jugement et d'examiner les autres moyens soulevés par M.D..., que celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions du 4 avril 2017 du préfet de la Haute-Garonne lui refusant un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays de destination.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ".
6. L'annulation prononcée par le présent arrêt implique, eu égard au motif sur lequel elle se fonde, que le préfet de la Haute-Garonne délivre à M. D...un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à cette délivrance dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. D...de la somme de 1 200 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1702580 du tribunal administratif de Toulouse du 30 mars 2018 et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 4 avril 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de délivrer à M. D...un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera une somme de 1 200 euros à M. D...en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. D...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., au ministre de l'Intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 20 février 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier conseiller,
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 mars 2019.
Le rapporteur,
Nathalie Gay-SabourdyLe président,
Marianne Pouget
La greffière,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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18BX02259