Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 juillet 2018, M.B..., représenté par MeD..., demande à la cour :
1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler le jugement du 5 juin 2018 du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 18 mai 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne d'enregistrer sa demande d'asile et de lui délivrer une attestation de demande d'asile en procédure normale dans le délai de 24 heures suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa demande ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, outre les entiers dépens, la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'alinéa 2 de l'article 37 de la loin° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, ou, à titre subsidiaire, sur le seul fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
M. B...soutient que :
- la décision portant transfert aux autorités italiennes est entachée d'un défaut de motivation au regard des dispositions des articles L. 211-1 et suivants du code des relations entre le public et l'administration et d'un défaut d'examen réel et sérieux de sa situation eu égard aux stipulations des articles 3 et 17 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013 et aux dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet n'a pas tenu compte de ce que sa demande d'asile en Italie a fait l'objet d'un rejet définitif, comme il l'en avait apporté la preuve dans ses observations produites le 9 janvier 2018 ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 53-1 de la Constitution et de l'article 17.1 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013, l'autorité administrative s'étant estimée en situation de compétence liée ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 4 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013 et les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; son droit à l'information a été méconnu dès lors que les brochures d'information lui ont été remises en langue anglaise, sans qu'une lecture lui en soit faite, alors qu'il a déclaré ne pas lire cette langue mais seulement la parler ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 5.4 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013 et les dispositions de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dés lors que la validité de la prestation de serment de l'agent de la préfecture " bilingue français-anglais " ayant mené l'entretien est contestable et que l'administration ne justifie pas avoir été dans l'impossibilité de pouvoir faire appel à un interprète professionnel qui doit assister le demandeur d'asile dans ses échanges avec l'administration ;
- cette décision est entachée d'une erreur de droit au regard des dispositions de l'article 53-1 de la Constitution et de l'article 17.1 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013, l'autorité administrative n'ayant pas exercé son pouvoir d'appréciation quant à la possibilité de conserver l'examen de sa demande d'asile et s'étant estimée liée par la circonstance que sa demande semblait relever de la compétence des autorités italiennes ;
- cette décision est entachée d'erreur de fait dès lors qu'il a bien apporté la preuve du rejet définitif de sa demande d'asile en Italie à l'appui de ses observations communiquées le 9 janvier 2018 ;
- elle est entachée d'une erreur de base légale dès lors que la demande de reprise en charge a été faite sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013 et qu'un constat d'accord implicite a été envoyé aux autorités italiennes en application de l'article 22-7 du même règlement, ces dispositions correspondant au cas du demandeur d'asile dont la demande est encore en cours d'examen par l'État requis ;
- elle est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur de base légale dès lors que la demande de reprise en charge a été faite sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement UE n°604/2013 du 26 juin 2013 alors que sa demande d'asile ayant été rejetée par l'Italie, le préfet aurait dû saisir les autorités italiennes sur la base du d) de cet article ; en outre, le préfet ne pouvait constater l'accord implicite des autorités italiennes sur le fondement de l'article 22-7 de ce règlement, ces dispositions concernant les demandes de prise en charge ;
- la décision de transfert est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des stipulations des articles 3.1, 3.2, 17.1 et 17.2 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, dés lors que sa demande d'asile a été rejetée par les autorités italiennes et que les conditions d'accueil des demandeurs d'asile en Italie sont défaillantes ; il n'a pas manqué d'insister sur les difficultés qu'il avait rencontrées et sur ses craintes personnelles en cas de retour en Italie en raison des menaces d'un homme se revendiquant de la mafia.
Par un mémoire en défense enregistré le 12 septembre 2018, le préfet de la Haute-Garonne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que la formation de jugement est susceptible de prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. B...tendant à l'annulation de la décision de transfert du 18 mai 2018 prise à son encontre par le préfet de la Haute-Garonne pour le motif suivant : l'expiration du délai de six mois défini à l'article 29 du règlement (UE) 604/2013 du 26 juin 2013, dont le point de départ est la date de lecture du jugement du tribunal administratif se prononçant sur les conclusions à fin d'annulation de la décision de transfert a pour conséquence que l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale et qu'il devient donc impossible d'exécuter la décision de transfert, ce qui rend sans objet les conclusions de la requête.
Le préfet de la Haute-Garonne a présenté ses observations dans un mémoire enregistré le 7 février 2019.
Par une ordonnance du 9 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 24 septembre 2018.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par décision du 25 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution, et notamment son article 53-1 ;
- la convention de Genève du 28 juillet 1951, relative au statut des réfugiés ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Cécile Cabanne pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C...a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A...B..., ressortissant nigérian, né le 27 septembre 1990, est entré en France le 29 août 2017, selon ses déclarations, afin de solliciter son admission au séjour au titre de l'asile. Il s'est présenté, à cet effet, d'abord le 5 septembre 2017 à la plateforme d'accueil des demandeurs d'asile, puis le 2 octobre suivant, à la préfecture de la Haute-Garonne. Estimant, au vu du relevé de ses empreintes décadactylaires que l'Italie pouvait s'avérer l'Etat membre responsable de l'examen de sa demande d'asile, le préfet de la Haute-Garonne a adressé, le 29 novembre 2017 aux autorités italiennes, une demande de reprise en charge, sur le fondement de l'article 18.1 b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013. Par un arrêté du 18 mai 2018, le préfet de la Haute-Garonne a prononcé le transfert aux autorités italiennes. M. B...relève appel du jugement du 5 juin 2018 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande.
Sur l'admission à l'aide juridictionnelle provisoire :
2. M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 octobre 2018. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions tendant à ce qu'il soit admis provisoirement à l'aide juridictionnelle.
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
3. Aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de 1'application du présent règlement, et notamment : a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un État membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un État membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'État membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'État membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un État membre peut mener à la désignation de cet État membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de 1'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les États membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des États membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement / f) de 1'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune (...), contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les Etats membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux Etats membres. (...) ". Il résulte de ces dispositions que le demandeur d'asile auquel l'administration entend faire application du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, dit " Dublin III ", doit se voir remettre, dès le moment où le préfet est informé de ce qu'il est susceptible d'entrer dans le champ d'application de ce règlement, et, en tout cas, avant la décision par laquelle l'autorité administrative décide de refuser l'admission provisoire au séjour de l'intéressé au motif que la France n'est pas responsable de sa demande d'asile, une information complète sur ses droits, par écrit et dans une langue qu'il comprend. Cette information doit comprendre l'ensemble des éléments prévus à l'article 4.1 de ce règlement. Eu égard à la nature desdites informations, la remise par l'autorité administrative de la brochure prévue par les dispositions précitées constitue pour le demandeur d'asile une garantie.
4. Il ressort des pièces du dossier que M.B..., qui comprend l'anglais mais qui ne le lit pas, s'est vu remettre contre signature, lors du dépôt de sa demande d'asile aux services de la préfecture de la Haute-Garonne le 2 octobre 2017, le guide du demandeur d'asile en France, ainsi que les brochures d'information sur le règlement " Dublin III " contenant la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin. Qu'est-ce que cela signifie ' " rédigées en anglais. S'il ressort de l'entretien individuel du 2 octobre 2017 qu'il était assisté d'un agent de la préfecture bilingue français-anglais, langue qu'il a déclaré comprendre, qui a attesté l'avoir informé des modalités du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013, notamment en ce qui concerne les délais et l'exécution d'office à la suite de l'accord des autorités italiennes, le préfet de la Haute-Garonne n'établit toutefois pas que M. B... a bénéficié des informations prévues à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 dans une langue qu'il comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Dans ces conditions, l'intéressé doit être regardé comme n'ayant pu prendre connaissance des éléments d'information concernant la procédure de remise aux autorités italiennes et a ainsi été privé d'une garantie. Par suite, l'arrêté ordonnant son transfert aux autorités italiennes est intervenu au terme d'une procédure irrégulière et est, pour ce motif, entaché d'illégalité.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
5. Aux termes de l'article L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé. ".
6. Le présent arrêt implique seulement qu'il soit statué de nouveau sur le cas de M. B... et qu'il soit muni, durant cet examen, d'une attestation de demande d'asile. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de l'intéressé dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions relatives aux frais non compris dans les dépens :
7. En application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 alinéa 2 de la loi n° 91-64 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros à verser à MeD..., sous réserve de sa renonciation au versement de l'aide juridictionnelle.
DECIDE
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande présentée par M. B...tendant à son admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le jugement n° 1802386 du 5 juin 2018 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du préfet de la Haute-Garonne du 18 mai 2018 sont annulés.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Haute-Garonne de procéder au réexamen de la situation de M. B... dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versa la somme de 1 200 euros à Me D... au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve que Me D... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle qui lui a été confiée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., au ministre de l'Intérieur et au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 20 février 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Mme Nathalie Gay-Sabourdy, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 22 mars 2019.
Le rapporteur,
Nathalie Gay-SabourdyLe président,
Marianne Pouget
Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'Intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
18BX02684 2