Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 avril 2018 sous le n° 18BX01769, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 avril 2018 ;
2°) de mettre à la charge de M. B...la somme de 800 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que le tribunal a estimé à tort que M. B...ne pourra recevoir en Algérie les soins appropriés à son état de santé : il pourra se voir prescrire du " rispéridone " et aucune pièce produite par l'intéressé ne prouve qu'il ne pourrait pas prendre un traitement contenant des substances actives, en l'occurrence la " lévomépromazine " ayant les mêmes effets sur son état de santé que son traitement actuel.
Par un mémoire en défense et un mémoire en production de pièces, enregistrés les 16 juillet 2018 et 22 août 2018, M.B..., représenté par MeA..., conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le tribunal a estimé à bon droit qu'il ne pourrait bénéficier en Algérie d'un traitement approprié ; la pathologie psychiatrique dont il est atteint nécessite un processus de soin psychique avec son thérapeute et la rupture de ce processus aurait de graves conséquences en raison de sa grande vulnérabilité ; son médecin traitant exclut toute possibilité de traitement adapté en Algérie en raison des liens existants entre sa pathologie et son pays d'origine ; le traitement médicamenteux qui lui est prescrit n'existe pas en Algérie ; le préfet procède par voie d'affirmation pour considérer que le Risperidone et la Lévomépromazine pourraient être substitués à son traitement actuel ; or, ces molécules sont indiquées dans des cas très différents ; en outre, l'Algérie étant sujette à de nombreuses ruptures de stock, notamment en matière psychiatrique, il sera privé d'un accès effectif à un traitement
- l'arrêté est entaché d'autres illégalités résultant de l'irrégularité de l'avis de l'OFII en l'absence du nom du médecin rapporteur et de l'erreur de droit commise par le préfet qui s'est considéré lié par l'avis du collège de médecins de l'OFII ; la mesure d'éloignement est privée de base légale dès lors qu'elle a été prise en application d'un refus de titre illégal et méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; la décision fixant le pays de renvoi sera annulée par voie de conséquence de l'annulation des décisions de refus de titre de séjour et d'éloignement.
M. B...a été maintenu au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er septembre 2018, le président de la cour a désigné Mme Déborah de Paz pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marianne Pouget, président ;
- et les observations de Me C...représentant M.B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 2 septembre 1984 à Alger, est entré en France le 21 février 2014, sous couvert d'un visa de court séjour. Après le rejet de sa demande d'asile par le directeur de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 20 janvier 2015, il a sollicité, le 13 février 2017, la délivrance d'un certificat de résidence pour raisons de santé. Par l'arrêté attaqué du 26 octobre 2017, le préfet de la Gironde lui a opposé un refus, l'a obligé à quitter le territoire dans le délai de trente jours et a fixé le pays dont il a la nationalité comme destination d'une éventuelle mesure d'éloignement forcé. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 9 avril 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté.
2. L'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 dispose que : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...)/ 7. Au ressortissant algérien, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve qu'il ne puisse effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays. (...) ".
3. Il appartient à l'autorité administrative, lorsqu'elle envisage de refuser la délivrance d'un titre de séjour à un ressortissant algérien qui en fait la demande au titre des stipulations du 7° de l'article 6 de l'accord franco-algérien, de vérifier, au vu de l'avis émis par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, que cette décision ne peut avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur l'état de santé de l'intéressé et, en particulier, d'apprécier la nature et la gravité des risques qu'entraînerait un défaut de prise en charge médicale dans son pays d'origine. Lorsque le défaut de prise en charge risque d'avoir des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur la santé de l'intéressé, l'autorité administrative ne peut légalement refuser le titre de séjour sollicité que s'il existe des possibilités de traitement approprié de l'affection en cause en Algérie. Si de telles possibilités existent mais que l'étranger fait valoir qu'il ne peut pas en bénéficier, soit parce qu'elles ne sont pas accessibles à la généralité de la population, eu égard notamment au coût du traitement ou à l'absence de mode de prise en charge adapté, soit parce qu'en dépit de leur accessibilité, des circonstances exceptionnelles tirées des particularités de sa situation personnelle l'empêcheraient d'y accéder effectivement, il appartient à cette même autorité, au vu de l'ensemble des informations dont elle dispose, d'apprécier si l'intéressé peut ou non bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine.
4. Pour justifier la décision de refus de séjour prise à l'encontre de M.B..., le préfet de la Gironde s'est fondé sur l'avis émis le 30 août 2017 par le collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration selon lequel l'état de santé du requérant nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et dont il pourrait bénéficier dans son pays d'origine.
5. M. B...conteste le sens de cet avis en produisant des certificats médicaux dont il ressort qu'il est atteint d'un syndrome psychotique dissociatif aggravé par une pathologie inexpliquée à l'origine d'une perte de poids importante. Son traitement comprend notamment une prise de " tercian " dont le principe actif, la cyamémazine, n'est pas disponible en Algérie. Le préfet, qui reconnaît que la médication qui est prescrite au requérant n'apparaît pas dans les nomenclatures répertoriant la liste des médicaments disponibles, soutient que peut être substitué à ce traitement un autre médicament comportant une substance active disponible en Algérie, la lévomépromazine. Toutefois, selon le certificat médical très circonstancié du 2 août 2018 émanant du DrD..., psychiatre, l'administration de cette molécule est contre-indiquée eu égard à l'état de santé de M.B....
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort, que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé son arrêté du 26 octobre 2017 et lui a enjoint de délivrer à M. B... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ".
Sur les conclusions à fin d'injonction :
7. Le présent arrêt, qui rejette la requête d'appel du préfet de la Gironde, n'appelle en lui-même aucune mesure d'exécution. En tout état de cause, le dispositif du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 9 avril 2018, confirmé par le présent arrêt, a fait droit aux conclusions à fin d'injonction du requérant, ce qui implique nécessairement que le préfet délivre à M. B... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale ". Il n'y a donc pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M.B....
Sur les conclusions du préfet de la Gironde tendant à l'application de l'article L 761-1 du code de justice administrative :
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, en tout état de cause, à ce que M.B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance verse à l'Etat la somme que le préfet de la Gironde demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
Sur les conclusions de M. B...tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. M. B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que MeA..., avocat de M.B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me A...d'une somme globale de 1 500 euros.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions à fin d'injonction présentées par M.B....
Article 3 : L'Etat versera à Me A...une somme de 1 500 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me A...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B..., au ministre de l'intérieur et à MeA.... Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 26 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Marianne Pouget, président,
M. Paul-André Braud, premier-conseiller,
Mme Sabrina Ladoire, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 22 novembre 2018.
Le premier-conseiller,
Paul-André BraudLe président-rapporteur,
Marianne Pouget
Le greffier,
Florence Faure
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
No 18BX01769