Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 7 juillet 2017 et un mémoire enregistré le 22 janvier 2018, la société Orange, représentée par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 18 mai 2017 ;
2°) de condamner la société Colas sud-ouest à lui verser une somme de 65 931,21 euros hors taxes à titre de dommages et intérêts, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 novembre 2014 ;
3°) de mettre à la charge de la société Colas sud-ouest une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les travaux d'assainissement réalisés par la société Colas sud-ouest pour le compte de la commune de Tulle sont des travaux publics qui relèvent de la compétence de la juridiction administrative ;
- à l'occasion de ces travaux, des fourreaux lui appartenant ont été détériorés par la société Colas sud-ouest, qui a ainsi engagé sa responsabilité sans faute ;
- le lien de causalité entre le dommage et les travaux est établi : aucun dommage n'avait été constaté avant l'intervention de la société Colas sud-ouest, les dommages ont été constatés le 6 novembre 2013 et la société Denis TP n'a donc pu les causer en réalisant le 14 avril 2014 une tranchée qui n'avait pour but que de faciliter les constatations devant être réalisées contradictoirement le lendemain, alors en outre qu'elle n'a pas mis à nu à cette occasion la poutre béton contenant les fourreaux et qu'il a été constaté le lendemain par l'ensemble des parties que le trou creusé dans la poutre béton avait été " rebouché " par un morceau de l'ancien revêtement qui avait été déposé par la société Colas sud-ouest ;
- elle subit des préjudices matériels constitués par le coût de réparation des dommages évalué à 36 119,63 euros hors taxes, par les dépenses engagées pour la réalisation des opérations des 14 et 15 avril 2014 évaluées à 10 837,01 euros hors taxes, par le coût de la main d'oeuvre de son personnel et de celui des sociétés Denis TP et Scopolec évalués respectivement à 5 154,10 euros hors taxes et 447,99 euros hors taxes ;
- elle subit également un préjudice commercial sur la période comprise entre les mois de novembre 2013 et juin 2017, soit 13 372,48 euros hors taxes.
Par un mémoire en défense enregistré le 20 novembre 2017, la société Colas sud-ouest, représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la société Orange une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et, subsidiairement, à ce que les demandes de la société Orange soient ramenées à de plus justes proportions.
Elle soutient que :
- sa responsabilité n'est pas engagée dès lors que le lien de causalité n'est pas établi ;
- les montants des préjudices ne sont pas justifiés.
Par ordonnance du 11 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 12 septembre 2018 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. David Terme,
- les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant la société Orange et les observations de MeA..., représentant la société Colas sud-ouest.
Considérant ce qui suit :
1. Par un marché conclu le 12 août 2013, la commune de Tulle (Corrèze) a confié à la société Colas sud-ouest la réalisation d'un réseau d'assainissement avenue de la Bastille. Les travaux ont été exécutés entre la fin du mois de septembre et le début du mois de novembre. Le 6 novembre 2013, la société Scopelec, intervenant pour le compte de la société Orange dans le cadre de l'installation de la fibre, a constaté que l'un des fourreaux appartenant à la société Orange était endommagé près d'un endroit où la société Colas sud-ouest avait effectué des travaux. La société Orange a recherché devant le tribunal administratif de Limoges la responsabilité de la société Colas sud-ouest. Elle relève appel du jugement du 18 mai 2017 par lequel le tribunal a rejeté sa demande indemnitaire.
Sur la responsabilité de la société Colas sud-ouest :
2. Même en l'absence de faute, l'entrepreneur chargé des travaux est responsable vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution d'un travail public, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient toutefois au tiers victime d'un dommage de travaux publics de rapporter la preuve du lien de cause à effet entre, d'une part, les travaux publics et, d'autre part, le dommage dont il se plaint.
3. Il résulte de l'instruction que le bon état du fourreau à cet endroit avait été constaté le 17 septembre 2013, peu avant le début des travaux effectués par la société Colas sud-ouest.
4. Il résulte également de l'instruction que la société Scopelec a constaté le 6 novembre 2013, peu de temps après la fin des travaux réalisés par la société Colas sud-ouest et à proximité immédiate d'un regard posé par celle-ci, que le fourreau appartenant à la société Orange était obstrué. Si cette concomitance ne suffit pas en elle-même à établir, ainsi que l'ont relevé les premiers juges, que la société Colas sud-ouest serait à l'origine de ce dommage, elle doit néanmoins nécessairement être prise en compte. En outre, il n'est ni démontré ni même allégué que d'autres travaux susceptibles d'avoir un impact sur le fourreau litigieux auraient été effectués dans la zone entre le 17 septembre 2013 et le 6 novembre 2013.
5. Par ailleurs, lors de la troisième réunion d'expertise tenue le 15 avril 2014, il a été constaté que la paroi latérale en béton des fourreaux était cassée et avait été " rebouchée " avec un bloc d'asphalte qui, selon les dires d'un représentant de la société Denis TP, aurait été identifié par un représentant du département présent à cette réunion comme provenant de l'ancien revêtement déposé par la société Colas sud-ouest, ce qui établirait que celle-ci serait à l'origine du dommage.
6. La société Colas sud-ouest conteste cette analyse au motif que la société Denis TP, sous-traitant habituel de la société Orange, a effectué la veille de la réunion, afin d'accélérer les opérations d'expertise du lendemain, des travaux de terrassement à l'endroit litigieux hors de la présence de représentants de la société Colas sud-ouest et des autres parties prenantes au litige. Elle soutient également que le bloc d'asphalte retiré le lendemain en présence des parties était trop " propre " pour avoir été enfoui à cet endroit durant plusieurs mois. Enfin, elle affirme que l'expert désigné pour l'assister, le cabinet AGPEIX n'a jamais validé la thèse proposée par l'expert missionné par l'assureur de la société Orange, qu'il n'a pas rempli sa mission jusqu'à son terme et que les allégations qui lui sont prêtées dans le rapport de l'expert missionné par Orange ne peuvent être retenues à son encontre.
7. Toutefois, en premier lieu, la société Colas sud-ouest ne saurait tirer argument du silence de l'expert qu'elle avait mandaté pour la représenter dans le cadre de ces opérations pour mettre en doute le fait que celui-ci aurait admis la responsabilité de sa cliente lors de la réunion du 15 avril 2014 à la suite de l'extraction du bloc d'asphalte précédemment mentionné, ou, plus généralement, le contenu du rapport établi par l'expert missionné par la société Orange.
8. En deuxième lieu, un salarié de la société Denis TP a attesté que les travaux de terrassement conduits la veille de la réunion ont été arrêtés " au dessus de la conduite ORANGE sans mettre cette dernière en visibilité " et il ne résulte pas de l'instruction que l'expert missionné par la société Colas sud-ouest ou les représentants de cette dernière aient objecté à ce procédé lors de la réunion du 15 avril 2014 ou postérieurement à celle-ci, avant le courrier du 2 janvier 2015 du service juridique de la société Colas sud-ouest accusant la société Denis TP d'avoir elle-même volontairement dégradé le fourreau.
9. En troisième lieu, si l'affirmation selon laquelle le bloc d'asphalte aurait été identifié par le représentant du département présent à la réunion n'est pas corroborée par le rapport établi par l'expert mandaté par la société d'assurance de la société Orange, la société Colas sud-ouest ne fournit non plus aucun élément précis, notamment photographiques, permettant d'étayer son affirmation selon laquelle il ne pouvait raisonnablement avoir été enfoui à cet endroit durant plusieurs mois au regard de son état de " propreté ".
10. En quatrième lieu enfin, si la société Colas sud-ouest soutient que deux agents municipaux ont pu constater, lorsqu'elle a mis au jour le fourreau litigieux dans le cadre de ses travaux, que celui-ci était intact, elle ne produit aucun élément de nature à étayer cette allégation et une telle circonstance, à la supposer même établie, ne permettrait pas d'exclure son implication ultérieure dans les désordres.
11. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, la société Orange doit être regardée comme établissant suffisamment l'existence d'un lien de causalité entre la survenance du dommage et les travaux effectués par la société Colas sud-ouest.
Sur les préjudices :
12. Il est constant que la société Colas sud-ouest n'a pas procédé à la dépose de ses ouvrages, empêchant ainsi la réalisation des travaux de reprise du fourreau. Par suite, la société Orange établit suffisamment, par la production du devis correspondant, que le montant de ces travaux de reprise se monte à 36 119,63 euros HT. La société Orange produit aussi une facture d'un montant de 10 837,01 HT correspondant aux travaux de terrassement effectués le 14 avril 2014. Enfin elle justifie également, par la production d'un tableau récapitulatif et pour des montants qui ne sont ni efficacement contestés ni excessifs, des frais de personnels engagés par elle et par la société Denis TP du fait des opérations d'expertise décrites ci-dessus, à hauteur respectivement de 5 154,10 euros et 447,99 euros. Il y a lieu, par suite, de lui de lui allouer une somme totale de 52 558,73 euros au titre de son préjudice matériel.
13. S'agissant en revanche du préjudice commercial invoqué, la société Orange l'évalue en appliquant son taux de pénétration de marché à Tulle, au demeurant non étayé, à un tarif moyen de ses offres internet sur la période considérée, alors qu'il résulte du rapport de l'expert qu'aucun désordre ne lui a été signalé sur ses installations à cette époque et qu'elle ne prétend même pas avoir été dans l'impossibilité de desservir certaines zones du fait des désordres mentionnés ci-dessus. Ce préjudice n'est donc pas établi et les conclusions tendant à sa réparation doivent être rejetées.
14. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la société Colas sud-ouest à verser à la société Orange une somme de 52 558,73 euros HT en réparation de ses préjudices. Cette somme sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 31 mars 2015, date de la saisine du tribunal administratif de Limoges.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Orange, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la société Colas sud-ouest demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière, à ce titre, une somme de 1 500 euros au bénéfice de la société Orange.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1500585 du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : La société Colas sud-ouest est condamnée à verser à la société Orange une somme de 52 558,73 euros HT en réparation de ses préjudices. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 31 mars 2015.
Article 3 : La société Colas sud-ouest versera à la société Orange une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions de la société Colas sud-ouest présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Orange et à la société Colas sud-ouest.
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. David Terme, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juin 2019.
Le rapporteur,
David TERMELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet de la Corrèze, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17BX02144