Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 août 2017 et un mémoire enregistré le 23 juillet 2018, la commune d'Esquièze-Sère, représentée par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Pau du 13 juillet 2017 ;
2°) de rejeter la demande de M.B..., de la SCEA du Pountet et de la SARL " Ferme des Cascades " ;
3°) de mettre à la charge de M.B..., de la SCEA du Pountet et de la SARL " Ferme des Cascades " une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- M. B...et la SARL " Ferme des Cascades " n'ont pas d'intérêt pour agir dès lors que la demande d'autorisation d'occupation domaniale en litige n'a été formée que par la SCEA du Pountet ;
- M. B...et la SARL " Ferme des Cascades " n'ayant pas formé de recours gracieux à l'encontre de la décision du 10 juillet 2015, leur requête enregistrée au tribunal administratif le 16 décembre 2015 était tardive ; la circonstance que la décision du 10 juillet 2015 ne comportait pas la mention des voies et délais de recours est à cet égard sans incidence dès lors qu'en exerçant un recours gracieux dans le délai prescrit en sa qualité de gérant de la société du Pountet, M. B...a manifesté sa connaissance des voies et délais de recours ;
- il n'est pas établi que la décision litigieuse causerait un préjudice financier à la SCEA du Pountet ; la société a d'ailleurs refusé, pour de simples raisons personnelles et pratiques, une autre proposition faite par la commune en juillet 2015 ;
- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la décision du 10 juillet 2015 était suffisamment motivée en droit puisqu'elle faisait référence à des motifs d'intérêt général liés à la bonne utilisation du domaine public, spécifiquement la nécessité de préserver des places de stationnement et de garantir la circulation sécurisée des piétons, lesquels relèvent des pouvoirs de police conférés au maire par les dispositions de l'article L. 2213-6 du code général des collectivités territoriales ;
- la SCEA du Pountet ne satisfaisait pas aux conditions prévues par l'arrêté municipal du 18 juin 2015 fixant les règles d'occupation privative du domaine public dès lors qu'elle n'a jamais justifié être en possession de la carte de commerçant ou artisan ambulant alors qu'elle exerce en dehors de sa commune de domiciliation, et qu'elle ne justifiait pas être couverte à cette date par une assurance responsabilité civile pour l'activité exercée sur le domaine public ;
- la circonstance que l'arrêté du 18 juin 2015 ne mentionne pas les conditions d'attribution des autorisations d'occupation du domaine public ne l'entache pas d'illégalité dès lors que l'administration dispose en la matière des pouvoirs les plus étendus et qu'il suffisait par conséquent que l'arrêté en cause mentionne les documents à fournir et rappelle le régime juridique de ces autorisations ;
- la décision du 10 juillet 2015 n'est pas entachée d'erreur de fait ; en particulier, il est clairement établi que l'emplacement occupé par la SCEA du Pountet constitue une partie de la zone de circulation piétonnière sur la place Montblanc et dès lors que le matériel utilisé par la société obstruait totalement le passage, le maire ne pouvait que s'opposer à l'exercice d'une activité qui remet en cause l'affectation directe à l'usage du public du domaine public ;
- le détournement de pouvoir allégué n'est pas établi.
Par un mémoire en défense enregistré le 27 juin 2018, M.B..., la SCEA du Pountet et la SARL " Ferme des Cascades " concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune d'Esquièze-Sère une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la fin de non-recevoir tirée du défaut d'intérêt pour agir doit être rejetée dès lors que les décisions en litige ne concernent pas seulement la SCEA du Pountet, qui a pour objet de produire des produits agricoles, mais également la SARL " Ferme de Cascades " qui a pour objet de vendre ces produits, ainsi que M. B...en tant que gérant de ces deux sociétés ;
- leur requête n'est pas tardive dès lors que si la formation d'un recours administratif contre une décision établit que l'auteur de ce recours a eu connaissance de cette décision au plus tard à la date à laquelle il a formé ce recours, une telle circonstance est, par elle-même, sans incidence sur l'application des dispositions de l'article R. 421-5 du code de justice administrative ;
- le moyen tiré de ce que les décisions en litige seraient sans conséquence financière sur son activité est inopérant ;
- est également inopérant le moyen tiré de ce que les exposants auraient refusé pour des raisons personnelles et pratiques une proposition faite en juillet 2015 de leur délivrer une autorisation temporaire d'occuper un emplacement sur le domaine public une fois par semaine ;
- la décision du 10 juillet 2015 ne comporte aucun motif de droit ; tout particulièrement, elle ne précise pas de quelles dispositions législatives ou réglementaires le maire tire le pouvoir d'accorder ou de refuser des autorisations individuelles d'occupation du domaine public communal ; en outre, les motifs d'intérêt général auxquels fait référence la commune dans sa requête ne constituent pas des motifs de droit et les dispositions mentionnées dans la requête ne sont pas citées par la décision attaquée ;
- l'arrêté du 18 juin 2015 par lequel la commune d'Esquièze-Sère a fixé les nouvelles règles d'occupation du domaine public communal pour l'exercice d'une activité commerciale, sur lequel la décision du 10 juillet 2015 se fonde, ne précise ni l'importance, ni les conditions d'attribution des autorisations individuelles d'occupation de ce domaine public ;
- la décision du 10 juillet 2015 est entachée d'erreurs de fait ;
- plusieurs motifs de la décision du 10 juillet 2015 ne se rattachent ni à l'ordre public, ni à la bonne gestion du domaine public et sont ainsi entachés d'illégalité ; il en va ainsi du motif tiré de ce que M. B...a bénéficié d'un accord tacite pour maintenir son point de vente au-delà du mois de mars 2014, du motif tiré de ce qu'il a bénéficié d'un terrain public pour la mise en place d'une pancarte de signalisation, du motif tiré de ce qu'il a bénéficié gratuitement d'une publicité sur un panneau des producteurs locaux et du motif, à le supposer même établi, tiré de ce qu'il aurait installé sans autorisation un panneau publicitaire sur le parvis d'un bâtiment public ;
- la décision du 10 juillet 2015 méconnaît le principe d'égalité ou est entachée de détournement de pouvoir dans la mesure où elle a été prise afin notamment de ne pas " concurrencer le marché de Luz " ;
- la décision du 10 juillet 2015 porte une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie, sans être justifiée par des considérations d'ordre public dès lors qu'elle abroge l'autorisation d'occupation du domaine public qui lui avait été accordée pour l'exercice de son activité commerciale et lui interdit d'occuper cet emplacement sans lui proposer un autre emplacement et sans limitation de durée, de sorte qu'elle a pour effet de lui interdire d'exercer son activité sur la totalité de la commune d'Esquièze-Sère à compter de sa date de réception ;
- la décision du 3 novembre 2015 est entachée des mêmes illégalités.
Par ordonnance du 28 juin 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 14 août 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code général de la propriété des personnes publiques ;
- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. David Terme,
- et les conclusions de Mme Cécile Cabanne, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Le 23 décembre 2013, le maire d'Esquièze-Sère a autorisé M. B...à occuper une portion du domaine public située place Montblanc afin d'y installer un véhicule destiné à la vente de produits agricoles " jusqu'à la fin de la saison de sports d'hiver ". Par courrier du 4 juillet 2015, M. B...a demandé au maire d'Esquièze-Sère de renouveler cette autorisation, pour trois jours par semaine durant trois heures. Cette demande a été rejetée par une décision du 10 juillet 2015, ainsi que le recours gracieux formé à son encontre. La commune d'Esquièze-Sère relève appel du jugement du 13 juillet 2017 par lequel le tribunal administratif de Pau a, à la demande de M.B..., de la SCEA du Pountet et de la SARL " Ferme des Cascades ", annulé cette décision du 10 juillet 2015 ainsi que le rejet du recours gracieux formé à son encontre, et lui a enjoint de statuer à nouveau sur la demande.
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il n'est pas contesté que M. B...est à la fois gérant de la SARL " Ferme des cascades ", qui a pour objet social " la fabrication de produits laitiers, la vente de sous-produits agro-alimentaires et fermiers en sédentaire et ambulant " et de la SCEA du Pountet, qui a pour objet social la production de fromages.
3. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que la demande d'autorisation d'occupation du domaine public, bien que présentée par M. B..." au nom de la Ferme des cascades en tant que SCEA ", est signée " " pour la ferme des cascades " et doit donc être regardée comme ayant été présentée pour le compte de cette dernière, conformément d'ailleurs à son objet social. Le moyen tiré de ce que cette société était dépourvue d'intérêt pour agir à l'encontre de la décision du 10 juillet 2015 doit donc être écarté.
4. Par ailleurs, les requérants soutiennent sans être contredits que 95,5% des achats de matière première de la SARL " Ferme des cascades " sont constitués des produits agricoles provenant de la SCEA du Pountet, et les seules circonstances que la SCEA aurait refusé une proposition alternative faite en juillet 2015 par la commune concernant un autre emplacement et qu'elle serait présente sur d'autres marchés ne permettent pas de regarder comme établi que la décision attaquée serait sans incidence sur l'activité économique des requérants, alors que ceux-ci soutiennent réaliser sur l'emplacement en cause une part importante de leur chiffre d'affaires. Dès lors, M.B..., en sa qualité de gérant des deux sociétés, ainsi que la SCEA du Pountet, ont intérêt à contester la décision du 10 juillet 2015.
5. Enfin, pour contester la recevabilité de la demande de première instance, la commune d'Esquièze-Sère reprend en appel le moyen qu'elle avait invoqué devant le tribunal, tiré de ce que le recours administratif préalable en date du 7 septembre 2015 n'a pu proroger le délai de recours contentieux à l'égard de la SARL " Ferme des cascades " et de M.B.... Il y a lieu de rejeter ce moyen par adoption des motifs retenus par le tribunal administratif de Pau.
Sur le bien-fondé du jugement :
6. Aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 alors applicable : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / (...) -refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions des deuxième à cinquième alinéas de l'article 6 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d'amélioration des relations entre l'administration et le public (...) ". Aux termes de l'article 3 de la même loi : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ".
7. La décision du 10 juillet 2015 ne mentionne notamment ni l'arrêté du 18 juin 2015 par lequel le maire a réglementé les conditions d'occupation du domaine public par un commerce, ni les dispositions des articles L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales ou L. 2121-1 et R. 2122-4 du code général de la propriété des personnes publiques, ni plus généralement, aucun des textes législatifs et réglementaires qui en constituent le fondement en droit. Dans ces conditions, et alors même que le motif invoqué tenant à la nécessité de la préservation de la sécurité de la circulation du public est au nombre des motifs pouvant fonder un refus d'occupation du domaine public, la commune d'Esquièze-Sère n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que cette décision était insuffisamment motivée en droit au regard des dispositions précitées de la loi du 11 juillet 1979.
8. A supposer que la commune d'Esquièze-Sère doive être regardée comme demandant que soient substitués aux motifs énoncés dans la décision du 10 juillet 2015 d'autres motifs tirés de la méconnaissance de l'arrêté municipal du 18 juin 2015, la décision litigieuse n'étant pas annulée pour un vice tenant aux motifs qui la fondent mais pour une irrégularité de forme, une telle substitution ne peut être utilement demandée.
9. Il résulte de tout ce qui précède que la commune d'Esquièze-Sère n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont annulé la décision du 10 juillet 2015 et la décision de rejet du recours gracieux.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge des requérants, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance, la somme que la commune d'Esquièze-Sère demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche de mettre à la charge de cette dernière à ce titre une somme globale de 1 500 euros au bénéfice de M.B..., de la SCEA du Pountet et de la SARL " Ferme des cascades ".
DECIDE :
Article 1er : La requête de la commune d'Esquièze-Sère est rejetée.
Article 2 : La commune d'Esquièze-Sère versera à M.B..., à la SCEA du Pountet et à la SARL " Ferme des cascades " une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune d'Esquièze-Sère, à M. B..., à la société civile d'exploitation agricole du Pountet et à la société à responsabilité limitée "Ferme des cascades ".
Délibéré après l'audience du 9 mai 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. David Terme, premier-conseiller.
Lu en audience publique, le 6 juin 2019.
Le rapporteur,
David TERMELe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Virginie MARTY
La République mande et ordonne au préfet des Hautes-Pyrénées, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 17BX02771