Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 décembre 2016, MmeB..., représentée par Me Reix, avocat, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1601905 du tribunal administratif de Bordeaux du 5 juillet 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 8 février 2016 du préfet de la Dordogne ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Dordogne de lui délivrer une carte de séjour temporaire ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer durant cet examen une autorisation provisoire de séjour l'autorisation à travailler, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir, sous astreinte de cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des dispositions combinées de l'article L 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, outre 13 euros au titre du droit de plaidoirie.
Elle soutient que :
- la décision portant refus de titre de séjour méconnait les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que le préfet, sur qui reposait la charge de la preuve de l'existence de soins appropriés, se fonde sur des éléments insuffisants et anciens. Elle ne peut pas bénéficier de soins appropriés en Albanie car la prise en charge des troubles psychiatriques n'est pas satisfaisante et, en tout état de cause, ce pays est à l'origine de sa pathologie ;
- la décision contestée porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa privée et familiale garanti par les dispositions du 7° de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation. Elle est entrée en France à l'âge de dix-neuf ans. Elle est inscrite en classe de terminale " gestion administration ". Elle présente une promesse d'embauche en tant que femme de chambre. Elle entretient une relation homosexuelle avec une compatriote en France en cours de procédure d'asile, et elle est dépourvue de toutes attaches en Albanie, où elle a rompu tout lien avec sa famille pour fuir les violences dont elle était victime ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- cette décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation pour les motifs précédemment évoqués ;
- eu égard à son état de santé et à la condition des lesbiennes en Albanie, l'obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de renvoi est dépourvue de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français;
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2017, le préfet de la Dordogne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- si le médecin de l'agence régionale de santé a indiqué que le traitement requis n'est pas accessible dans le pays d'origine, ce qu'il fait en Dordogne dans 100% des dossiers, une recherche auprès des services consulaires a permis de produire des éléments sur l'existence du traitement en Albanie et l'intéressée n'établit pas qu'elle ne peut être soignée dans son pays.;
- Mme B...est célibataire et sans enfant. Son entrée en France est récente. Ses parents, ses deux soeurs, son frère vivent en Albanie, de sorte que la cellule familiale pourra y être reconstituée. Elle ne démontre pas être dans l'impossibilité de poursuivre sa scolarité en Albanie, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a fait preuve en France d'un absentéisme important. Sa promesse d'embauche est postérieure à l'arrêté contesté. Sa compagne, dont la demande d'asile a été rejetée en octobre 2016, est désormais domiciliée.... En dépit de cet élément nouveau dont elle se prévaut, elle n'a pas formé de demande de réexamen de sa demande d'asile. L'arrêté ne porte donc pas une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale.
Par ordonnance du 16 février 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 8 mars 2017 à midi.
Mme B...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 8 septembre 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 95-161 du 15 février 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Paul-André Braud,
- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. MmeB..., de nationalité albanaise, née le 13 janvier 1994, est, selon ses déclarations, entrée en France le 9 août 2013. Elle a formé une demande d'asile, rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides le 23 mai 2014, puis par la Cour nationale du droit d'asile le 11 mars 2015. Elle a déposé une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade le 5 février 2015. Par un arrêté du 8 février 2016, le préfet de la Dordogne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme B...relève appel du jugement du 5 juillet 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'arrêté du 8 février 2016 :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Dans son avis du 20 mai 2015, le médecin de l'agence régionale de santé a considéré que l'état de santé de Mme B...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, que l'intéressée ne peut avoir accès, dans son pays d'origine, à un traitement approprié et que les soins nécessités présentent un caractère de longue durée et doivent, en l'état actuel, être poursuivis pendant une durée de six mois. Pour refuser de lui délivrer le titre de séjour qu'elle avait sollicité, le préfet de la Dordogne a estimé que le traitement médical requis par l'état de santé de Mme B...est disponible en Albanie. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du certificat médical du 8 mars 2016 produit par MmeB..., qui, bien que postérieur à l'arrêté en litige, se rapporte à son état de santé antérieur, que cette dernière souffre d'un état post traumatique en lien avec " des violences qui lui ont été faites dans son pays ". A supposer que, comme le soutient le préfet de la Dordogne, et comme tendent à le démontrer les pièces qu'il produit au soutien de cette allégation, le traitement requis pour ce type de pathologie soit disponible en Albanie, le préfet de la Dordogne n'établit ni même n'allègue que la pathologie dont souffre Mme B...pourrait, eu égard à son lien avec l'Albanie, être effectivement soignée dans ce pays. Dans ces conditions, les éléments produits par le préfet de la Dordogne ne sauraient suffire à infirmer les termes de l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, qui s'est prononcé en fonction des particularités de la pathologie de l'intéressée, selon lesquels l'intéressée ne peut avoir accès dans son pays d'origine à un traitement approprié. Par suite, l'arrêté contesté méconnaît les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Dordogne du 8 février 2016.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
6. Aux termes de l'article L. 911 1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique la délivrance à l'intéressée d'un titre de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Il y a lieu, sur le fondement des dispositions précitées, d'enjoindre au préfet de la Dordogne de délivrer à Mme B...ce titre de séjour, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761 1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Mme B...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que son avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'avocat de Mme B...d'une somme de 1 000 euros.
9. Aux termes de l'article 2 du décret n° 95-161 du 15 février 1995 relatif aux droits de plaidoirie et à la contribution équivalente : " Le droit de plaidoirie est dû à l'avocat pour chaque plaidoirie faite aux audiences dont la liste est fixée par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice. /A défaut de plaidoirie, est considéré comme ayant plaidé l'avocat représentant la partie à l'audience (...) ". Mme B...n'ayant pas été représentée à l'audience, le droit de plaidoirie n'est pas dû. Ses conclusions tendant au remboursement d'un tel droit ne peuvent donc qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1601905 du 5 juillet 2016 du tribunal administratif de Bordeaux et l'arrêté du préfet de la Dordogne du 8 février 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Dordogne de délivrer à Mme B...une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'État versera à Me Reix, avocate de MmeB..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l 'État.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...B..., au ministre de l'intérieur et au préfet de la Dordogne.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
Le rapporteur,
Paul-André BRAUDLe président,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 16BX03947