Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 19 décembre 2015, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 28 novembre 2016 et de mettre à la charge de M. D...la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Le préfet soutient que :
- l'avis favorable du médecin de l'agence régionale de santé (MARS) émis le 22 avril 2016 sur l'état de santé de l'épouse de M. D...ne comportait aucune mention spécifique concernant le caractère indispensable de la présence de son mari auprès d'elle, permettant d'envisager sa régularisation. Au demeurant, le couple ne justifiait pas d'une communauté de vie avérée et Mme C...n'est venue retirer son titre de séjour, malgré plusieurs convocations, que plus d'un mois après l'arrêté en litige ;
- le certificat médical sur lequel le tribunal a fondé l'annulation, qui mentionne la présence indispensable de M. D...aux côtés de son épouse affectée d'une maladie psychiatrique de type dépendante, en raison de l'assistance qu'il lui apporte dans la vie quotidienne, a été établi par un médecin non agréé le 5 octobre 2016, postérieurement à l'acte attaqué mais également postérieurement au dépôt de la demande présentée devant le tribunal ;
- le tribunal a ainsi entaché son jugement d'un vice de procédure en ne sollicitant pas un avis complémentaire du MARS, seul ce dernier étant habilité à délivrer une telle mention sur l'avis sollicité par le préfet. Le MARS a confirmé le 9 décembre 2016 qu'en aucun cas, la présence de M. D...n'était indispensable auprès de son épouse malade. Ainsi qu'il a été rappelé au cours de l'audience de première instance, un tel certificat médical, établi par un médecin non agréé près de six mois après l'acte attaqué et n'apportant aucun élément suffisamment grave permettant de remettre en cause l'avis du MARS, ne pouvait fonder l'annulation de l'arrêté attaqué.
Par un mémoire enregistré le 31 janvier 2017, M. D...conclut au rejet de la requête, à ce qu'il soit enjoint au préfet de lui délivrer un titre de séjour, et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 2000 euros au bénéfice de son avocat;
Il soutient que :
- la circonstance que son épouse ait tardé à réunir les 290 euros nécessaires à la délivrance de son titre est sans influence sur son droit au séjour à la date de la décision attaquée ;
- ils sont mariés depuis trois ans et sa présence est nécessaire à la vie quotidienne de son épouse ;
- aucun texte ne donne compétence au médecin de l'agence régionale de santé pour se prononcer sur la nécessité de la présence d'un proche auprès d'un malade et le tribunal était libre d'apprécier l'utilité d'une mesure d'instruction ; le préfet n'est pas lié par l'avis qu'il a cru utile de demander au médecin de l'agence régionale de santé a posteriori, et ne justifie pas sur ce point de la compétence du Dr E...;
- le certificat produit, circonstancié, émane d'un praticien hospitalier et fait état d'une situation antérieure à la décision ;
- la preuve d'une vie commune est suffisamment rapportée par les attestations produites ;
- devant bénéficier de plein droit d'un titre de séjour, il est protégé contre toute mesure d'éloignement, laquelle serait contraire à l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée et son récit doit être tenu pour établi faute pour le préfet d'en critiquer la pertinence ;
- il est impécunieux et les conclusions au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative du préfet ne peuvent qu'être rejetées.
Par ordonnance du 16 janvier 2017, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 2 mars 2017 à 12 heures.
M. D...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 février 2017.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté ministériel du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé en application de l'article R. 313-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Catherine Girault,
- et les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant kosovar né en 1979, est entré irrégulièrement en France en compagnie de son épouse Mme C...le 2 décembre 2014 selon ses déclarations. La demande d'asile qu'il a déposée à son arrivée a été rejetée en dernier lieu par la Cour nationale du droit d'asile le 12 novembre 2015. Alors que son épouse a bénéficié à partir du 27 juin 2016 d'une autorisation temporaire de séjour d'un an en qualité d'étranger malade, le préfet de la Gironde, par un arrêté du 13 juin 2016, a refusé de délivrer le titre de séjour sollicité par M. D... au titre de sa vie privée et familiale, a fait obligation à celui-ci de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du 28 novembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté et lui a enjoint de délivrer le titre de séjour sollicité par M.D....
2. Pour annuler l'arrêté du 13 juin 2016, le tribunal a retenu qu'alors que Mme C..., au vu de l'avis du médecin de l'agence régionale de santé (MARS), " avait droit, à la date de l'arrêté contesté, à la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, et ne pouvait faire l'objet d'une mesure d'éloignement (...) il ressort notamment du certificat médical établi le 5 octobre 2016 (que) la présence de M. D...aux côtés de son épouse, qui souffre d'une maladie psychiatrique de type dépendante, était indispensable, en raison de l'assistance qu'il lui apporte dans la vie quotidienne ". Il en a déduit, nonobstant la courte durée de son séjour en France et les attaches familiales dont dispose M. D...dans son pays d'origine, que l'arrêté en litige " a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris." Le préfet de la Gironde soutient que le tribunal s'est à tort fondé sur un certificat médical établi postérieurement à la décision attaquée par un médecin non agréé et que le tribunal aurait dû solliciter un avis complémentaire du médecin de l'agence régionale de santé, seul habilité à prendre position sur le caractère indispensable de la présence de M. D...aux côtés de son épouse malade.
3. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté en litige : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République. " / (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...). Le médecin de l'agence régionale de santé (...) peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'Etat. ". L'article R. 313-22 du même code prévoit que : " le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé (...) émis dans les conditions fixées par arrêté (...) au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé (...), d'autre part, des informations disponibles sur l'existence d'un traitement dans le pays d'origine (...) ". Enfin, l'article 4 de l'arrêté du 9 novembre 2011 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des avis rendus par les agences régionales de santé, alors applicable, prévoit : " Au vu de ce rapport médical et des informations dont il dispose, le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant : / - si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; / - si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; / - s'il existe dans le pays dont il est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale ; - la durée prévisible du traitement. / Dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, il peut, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays. / Cet avis est transmis au préfet sous couvert du directeur général de l'agence régionale de santé (...) ".
4. Contrairement à ce que soutient en appel le préfet, aucune disposition législative ou règlementaire n'impose au médecin de l'agence régionale de santé d'émettre un avis sur le caractère indispensable de la présence, auprès de l'étranger malade autorisé à séjourner en France, d'un accompagnant. Il appartient dans ces conditions au préfet d'apprécier la situation globale de l'étranger à la date de sa décision, notamment au regard des conséquences de celle-ci sur la vie privée et familiale du demandeur. Il ressort des pièces du dossier que M. D...et Mme C...sont mariés, sont arrivés ensemble en France, vivent sous le même toit et sont dépourvus d'autres attaches familiales ou personnelles sur le territoire. Le certificat médical émanant d'un praticien hospitalier, s'il est postérieur à l'intervention de l'arrêté contesté, relate de façon suffisamment circonstanciée une situation qui lui est antérieure et mentionne que la présence de M. D...aux côtés de son épouse, qui souffre d'une maladie de registre psychotique associée à un trouble de la personnalité de type dépendante, était indispensable, en raison de l'assistance qu'il lui apporte dans la vie quotidienne, notamment pour lui rappeler de prendre son traitement, les dates de rendez-vous, pour l'accompagner dans toutes les démarches administratives qu'elle est dans l'incapacité de faire seule. Le préfet n'a apporté ni en première instance ni en appel d'éléments de nature à contredire cet avis, la circonstance qu'il ait cru devoir saisir le médecin de l'agence régionale de santé d'une nouvelle demande d'avis et que celui-ci ait estimé qu'aucun motif médical ne rendait la présence du mari indispensable auprès de Mme C... ne modifiant pas l'appréciation qui peut être portée sur le soutien psychologique et affectif qu'il est susceptible de lui apporter. Dans ces conditions, le tribunal a pu estimer à juste titre, sans avoir besoin de solliciter d'autres éléments d'éclaircissements, que le refus de séjour et la mesure d'éloignement prononcés à l'encontre de M. D...avaient, dans les circonstances particulières de l'espèce, porté une atteinte disproportionnée au respect de son droit à la vie privée et familiale, sans que le préfet puisse utilement souligner que l'épouse de celui-ci a tardé à venir retirer le titre de séjour qui lui a été accordé.
5. Il résulte de ce qui précède que le jugement n'est entaché d'aucun " vice de procédure " pour s'être abstenu de solliciter un avis du médecin de l'agence régionale de santé et que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ses décisions du 13 juin 2016 et lui a enjoint de délivrer à M. D...un titre de séjour temporaire " vie privée et familiale ". Les conclusions à fin d'injonction en ce sens présentées par M. D... en appel sont donc sans objet.
6. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M.D..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que demande le préfet de la Gironde au titre de leur application. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 800 euros au bénéfice de l'avocat du requérant au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me B...une somme de 800 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde et à M. A... D....
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
M. Paul-André Braud, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
Le président-assesseur,
Jean-Claude PAUZIÈSLe président-rapporteur,
Catherine GIRAULT
Le greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 16BX04151