Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 décembre 2016, MmeC..., représentée par Me Durand, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulouse du 9 décembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet du Tarn en date du 3 août 2016 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Tarn de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 par jour de retard, et dans l'attente, de lui remettre une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- les décisions attaquées sont entachées d'incompétence à défaut pour leur auteur d'avoir reçu une délégation régulière du préfet du Tarn ;
- la décision de refus de titre de séjour est insuffisamment motivée, en méconnaissance des articles L. 211-2 et suivants du code des relations entre le public et l'administration ; aucun élément relatif aux raisons qui l'ont conduite à fuir son pays n'est mentionné, ni les circonstances humanitaires exceptionnelles qui caractérisent sa situation ;
- cette motivation lacunaire révèle un défaut d'examen réel de sa situation personnelle ;
- la décision portant refus de titre de séjour est entachée d'erreur de fait dans la mesure où elle a fait l'objet d'une agression au Kosovo et non en France, ainsi que l'indique le préfet du Tarn ; cette erreur est déterminante dès lors que le traumatisme de l'intéressée prend en réalité source dans son pays d'origine, ce qui y rendrait les soins requis, fussent-ils disponibles, impossibles ;
- la décision de refus de titre de séjour est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et d'erreur de droit au regard des dispositions du 7° et 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de l'état de santé de sa fille ; elle justifie par les certificats médicaux produits qu'elle est atteinte d'une pathologie grave et qu'elle ne peut bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ; le médecin de l'agence régionale de santé a estimé que les soins nécessités par son état de santé n'existaient pas au Kosovo ; si le préfet s'est écarté de cet avis, il ne fait pas mention des médicaments particuliers qu'elle prend, et n'indique pas si un suivi régulier et sérieux peut lui être dispensé ; la disponibilité des soins au sens de l'instruction ministérielle du 10 novembre 2011 n'est pas assurée ; par ailleurs, la situation de la requérante est marquée par des circonstances humanitaires exceptionnelles ; le préfet, à qui la charge de la preuve incombe dans la mesure où il s'est écarté de l'avis du mars médecin de l'agence régionale de santé, n'a pas communiqué le document de l'ambassade sur lequel il se fonde pour établir que l'offre de soins existe au Kosovo ; un rapport récent du 4 juillet 2016 de l'Organisation suisse d'aide aux réfugiés démontre le manque de structures, de personnel formé et de traitement adaptés pour les maladies psychiques graves ;
- la décision de refus de titre de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dans la mesure où elle vit depuis 2013 sur le territoire français en compagnie de son époux et de ses quatre enfants ; les raisons qui l'ont conduite à fuir le Kosovo justifient qu'elle ne peut sérieusement y construire sa vie personnelle et familiale ; ses enfants sont scolarisés et bien intégrés en France ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée en droit, à défaut pour l'arrêté de viser l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français doit être annulée du fait de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- cette décision méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour les mêmes motifs que ceux précédemment évoqués ;
- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée en fait, en raison de l'absence totale d'indication des risques encourus par la requérante en cas de retour dans son pays d'origine ;
- le préfet du Tarn s'est estimé lié par les décisions de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et de la Cour nationale du droit d'asile ;
- la décision méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; son mari travaillait dans une association tendant à prévenir les départs de jeunes vers la Syrie et elle a fait l'objet d'agressions de ce fait ;
- la décision fixant le pays de renvoi doit être annulée du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 15 février 2017, le préfet du Tarn conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- M. Laurent Gadra-Moreno, secrétaire général de la préfecture du Tarn disposait, à la date de la décision contestée, d'une délégation de signature attribuée par le préfet du Tarn par arrêté préfectoral du 19 avril 2016 publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du Tarn le 21 avril 2016 ;
- les décisions de refus de titre de séjour et fixant le pays de renvoi sont suffisamment motivées ; dès lors que ce refus est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d'assortir ledit refus d'une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, une motivation en fait particulière de la décision d'éloignement n'est pas exigée ;
- il ressort tant de la liste des produits enregistrés localement par l'Agence des Médicaments que du télégramme diplomatique, suffisamment précis, de l'ambassade de France à Pristina qu'un traitement approprié à un état anxio-dépressif existe au Kosovo, où sont commercialisés des médicaments comprenant la même substance active que ceux existants en France. Dans ces conditions, et à supposer même que le défaut de prise en charge médicale de sa pathologie aurait des conséquences d'une exceptionnelle gravité pour l'intéressée, le moyen tiré de la méconnaissance du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;
- pour les mêmes motifs que ceux précédemment exposés, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 511-4 10° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté ;
- l'administration a procédé à un examen particulier de sa situation personnelle et familiale, et ne s'est pas estimée liée par la circonstance que la demande d'asile avait été définitivement rejetée par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d'asile ;
- la requérante ne justifie pas des menaces qu'elle allègue en cas de retour au Kosovo.
Par ordonnance du 23 janvier 2017, la clôture d'instruction a été fixée au 6 juin 2017 à 12H00.
Des mémoires présentés pour Mme C...ont été enregistrés les 12 et 15 mars 2017..
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 décembre 2016.
Vu :
- les demandes de pièces pour compléter l'instruction en date du 22 février 2017 et la réponse transmise en conséquence par le préfet du Tarn le 6 mars 2017.
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Cécile Cabanne,
- les conclusions de M. Nicolas Normand, rapporteur public ;
Considérant ce qui suit :
1. MmeC..., ressortissante kosovare, née le 27 mars 1978, est entrée irrégulièrement en France le 13 mai 2013 accompagnée de deux de ses enfants. Le 17 juillet 2013, elle a sollicité, une première fois, le bénéfice de l'asile. Après avoir constaté par la consultation du fichier Eurodac que les empreintes de l'intéressée avaient déjà été relevées par les autorités hongroises et obtenu, en réponse à sa demande de réadmission, l'accord de la Hongrie pour prendre en charge la demande d'asile de MmeC..., le préfet de Loire-Atlantique a prononcé sa remise aux autorités hongroises le 15 octobre 2013. L'intéressée s'est dérobée à l'exécution de cette mesure, et a présenté le 16 avril 2015 une nouvelle demande d'asile. Le 7 juillet 2015 elle s'est vu déboutée de cette demande par l'Office français de protection du droit d'asile, puis, de manière définitive, par la Cour nationale du droit d'asile le 28 octobre 2016. Mme C...a sollicité, le 26 janvier 2016, son admission au séjour en France auprès de la préfecture du Tarn sur le fondement du 11° de l'article L. 311-11 du code de l'entrée et du séjour des étranger et du droit d'asile, en indiquant souffrir d'un syndrome de stress post-traumatique. Par arrêté du 3 août 2016, le préfet du Tarn lui a refusé un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Mme C...relève appel du jugement du 9 septembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la légalité de l'arrêté du 3 août 2016 :
2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence, ou, à Paris, du médecin, chef du service médical de la préfecture de police. Le médecin de l'agence régionale de santé ou, à Paris, le chef du service médical de la préfecture de police peut convoquer le demandeur pour une consultation médicale devant une commission médicale régionale dont la composition est fixée par décret en Conseil d'Etat. ".
3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régionale de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
4. Il n'est pas contesté que l'état de santé de Mme C...nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour elle des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Le médecin de l'agence régionale de santé Midi-Pyrénées, saisi par le préfet du Tarn, a estimé que l'intéressée ne peut avoir accès, dans son pays d'origine à un traitement approprié et que les soins nécessités doivent en l'état être poursuivis en France pendant un an. Afin d'écarter le sens de l'avis qu'avait émis le médecin de l'agence régionale de santé, le préfet s'est fondé sur, d'une part, un télégramme diplomatique du 18 mars 2013, d'après les éléments communiqués par le ministère de la santé du Kosovo, document versé au dossier, dont il ressort que les structures médicales et les traitements médicamenteux nécessaires au traitement des pathologies psychiatriques sont disponibles au Kosovo, et sur, d'autre part, la liste des médicaments essentiels, laquelle comprend les molécules nécessaires au traitement des pathologies psychiatriques.
5. Il ressort, cependant, des pièces du dossier que Mme C...souffre d'un état post-traumatique chronique en lien avec des évènements subis dans son pays d'origine. Elle soutient avoir été agressée sexuellement par des " musulmans rigoristes " qui considèrent son époux comme un " ennemi " à la suite de sa participation à un groupe agissant " contre les musulmans radicaux " menaçant les populations de les envoyer en Syrie afin de les " radicaliser ". Or, il ressort du certificat médical du psychologue de l'hôpital Ducuing de Toulouse en date du 8 décembre 2015, établi à l'issue de trois entretiens menés auprès de la requérante, qu'elle souffre d'un diagnostic de syndrome post-traumatique classé grave/très grave (79/100), compatible avec le récit de l'intéressée. La véracité de ces propos a également été corroborée par plusieurs médecins. Ainsi, quand bien même, comme le soutient le préfet du Tarn, les pièces qu'il produit démontrent que le traitement requis pour ce type de pathologie est disponible au Kosovo, le préfet n'établit ni même n'allègue que la pathologie dont souffre Mme C... pourrait, eu égard à son lien avec le Kosovo, être effectivement soignée dans ce pays. Dans ces conditions, les éléments produits par le préfet du Tarn ne sauraient suffire à remettre en cause les termes de l'avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé, qui s'est prononcé en fonction des particularités de la pathologie de l'intéressée, selon lesquels celle-ci ne peut avoir accès dans son pays d'origine à un traitement approprié. Par suite, l'arrêté contesté méconnaît les dispositions précitées du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C...est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Tarn du 3 août 2016.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
7. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé. ".
8. Mme C...demande qu'il soit enjoint au préfet du Tarn de réexaminer sa situation. Eu égard au motif d'annulation retenu, le présent arrêt implique nécessairement qu'il soit fait droit à l'injonction ainsi sollicitée. Un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt est imparti au préfet du Tarn pour procéder à ce réexamen, et dans l'attente il lui appartient de délivrer à Mme C...une autorisation provisoire de séjour. Il n'y a pas lieu d'assortir l'injonction d'une astreinte.
Sur les conclusions tendant à l'application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Mme C...a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans la présente instance. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que son avocat renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à l'avocat de MmeC..., Me Durand, d'une somme de 1 000 euros, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l 'État à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1603914 du 9 décembre 2016 du tribunal administratif de Toulouse et l'arrêté du préfet du Tarn du 3 août 2016 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Tarn d'examiner à nouveau le droit au séjour de Mme C... dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt et de lui délivrer, dans l'attente du réexamen de sa situation, une autorisation provisoire de séjour.
Article 3 : L'État versera à Me Durand, avocate de MmeC..., une somme de 1 000 euros en application des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l 'État à l'aide juridictionnelle.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...A...épouseC..., au ministre de l'intérieur et au préfet du Tarn.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
M. Jean-Claude Pauziès, président-assesseur,
Mme Cécile Cabanne, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 13 avril 2017.
Le rapporteur,
Cécile CABANNELe président,
Catherine GIRAULTLe greffier,
Delphine CÉRON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX04166