Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 septembre 2019 et des mémoires enregistrés les 15 et 22 novembre 2019, le département de la Charente- Maritime, représenté par Me H... de la SCP Bouyssou et Associés, demande à la cour :
1°) d'ordonner le sursis à exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 juillet 2019 ;
2°) de condamner M. et Mme E... à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la vice-présidente du conseil départemental de la Charente-Maritime était compétente pour signer la décision visant à préempter la parcelle ZH 261 car elle disposait d'une délégation du président du département ;
- la décision de préempter répond aux critères de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme en ce que la parcelle est d'une dimension suffisante et que l'opération sert à la mise en oeuvre de la politique des espaces naturels sensibles du département ;
- dans le cas où la décision de préempter devait être annulée, la vente du bien devrait être proposée à l'ancienne propriétaire et non aux acquéreurs évincés conformément à l'article L. 213-11-1 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 novembre 2019, M. et Mme E..., représentés par Me A... de la SELARL LVI Avocats Associés, concluent au rejet de la requête et à la condamnation du département de la Charente-Maritime à leur verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- il n'existe pas de conséquences difficilement réparables ;
- il n'existe aucune impossibilité à exécuter le jugement dès lors que l'article
L. 213-11-1 du code de l'urbanisme n'est pas applicable en matière de préemption au titre des espaces naturels sensibles ;
- il n'existe aucun moyen sérieux dans la requête d'appel ;
- la décision de préemption est contraire à la politique intercommunale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique du 27 novembre 2019 :
- le rapport de Mme I... B...,
- les observations de Me H..., représentant le département de la Charente-Maritime qui maintient les conclusions et moyens de sa requête ;
- et les observations de Me J..., représentant M. et Mme E... qui maintiennent leurs conclusions et moyens.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 4 juillet 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé la décision du 4 août 2017 par laquelle le président du département de la Charente-Maritime a décidé d'exercer le droit de préemption départemental, au titre des espaces naturels sensibles, sur la parcelle ZH 261, d'une superficie de 4 474 m², que M. et Mme E... souhaitaient acquérir et a enjoint au département de s'abstenir de revendre le bien et de proposer la cession de ce bien à M. et Mme E.... Le département de la Charente-Maritime demande à la cour d'ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
2. Aux termes de l'article R. 811-15 du code de justice administrative : " Lorsqu'il est fait appel d'un jugement de tribunal administratif prononçant l'annulation d'une décision administrative, la juridiction d'appel peut, à la demande de l'appelant, ordonner qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement si les moyens invoqués par l'appelant paraissent, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement. ". En application de ces dispositions, lorsque le juge d'appel est saisi d'une demande de sursis à exécution d'un jugement prononçant l'annulation d'une décision administrative, il lui incombe de statuer au vu de l'argumentation développée devant lui par l'appelant et le défendeur et en tenant compte, le cas échéant, des moyens qu'il est tenu de soulever d'office. Après avoir analysé dans les visas ou les motifs de sa décision les moyens des parties, il peut se borner à relever qu'aucun de ces moyens n'est de nature, en l'état de l'instruction, à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué et rejeter, pour ce motif, la demande de sursis. Si un moyen lui paraît, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation ou la réformation du jugement attaqué, il lui appartient de vérifier si un des moyens soulevés devant lui ou un moyen relevé d'office est de nature, en l'état de l'instruction, à infirmer ou confirmer l'annulation de la décision administrative en litige, avant, selon le cas, de faire droit à la demande de sursis ou de la rejeter.
3. Aux termes de l'article L. 215-1 du code de l'urbanisme : " A l'intérieur des zones délimitées en application de l'article L. 215-1, le département dispose d'un droit de préemption ". L'article L. 215-11 du même code dispose : " A titre exceptionnel, l'existence d'une construction ne fait pas obstacle à l'exercice du droit de préemption dès lors que le terrain est de dimension suffisante pour justifier son ouverture au public et qu'il est, par sa localisation, nécessaire à la mise en oeuvre de la politique des espaces naturels sensibles des départements. Dans le cas où la construction acquise est conservée, elle est affectée à un usage permettant la fréquentation du public et la connaissance des milieux naturels ".
4. Aux termes de l'article L. 3221-12 du code général des collectivités territoriales : " Le président du conseil départemental peut, par délégation du conseil départemental, être chargé d'exercer, au nom du département, les droits de préemption dont celui-ci est titulaire ou délégataire en application du code de l'urbanisme. Il peut également déléguer l'exercice de ce droit à l'occasion de l'aliénation d'un bien, dans les conditions que fixe le conseil départemental. Il rend compte à la plus proche réunion utile du conseil départemental de l'exercice de cette compétence ".
5. Pour annuler la décision du 4 août 2017, le tribunal administratif de Poitiers a estimé, d'une part, que la délégation de signature accordée à Mme F..., vice-présidente du département, signataire de cette décision, ne pouvait fonder régulièrement sa compétence en raison de son caractère trop général et, d'autre part, qu'il ne ressortait pas des pièces du dossier que la préemption du terrain serait indispensable à la politique de protection des espaces naturels menée par le département.
6. Toutefois, compte tenu, d'une part, des termes de l'arrêté du 3 avril 2015 portant délégation de signature et de fonction à Mme F... en sa qualité de première vice-présidente du département et, d'autre part, de la situation et de la dimension de la parcelle en cause ainsi que des objectifs poursuivis par le département en matière de préservation des espaces naturels sensibles, les moyens tirés de ce que la délégation de signature consentie à Mme F... ne présente pas un caractère trop général et qu'ainsi la décision contestée n'a pas été signée par une autorité incompétente et de ce que la parcelle est nécessaire à la mise en oeuvre de la politique des espaces naturels sensibles du département au sens de l'article L. 215-11 du code de l'urbanisme paraissent, en l'état de l'instruction, de nature à justifier l'annulation du jugement contesté du tribunal administratif de Poitiers. Par ailleurs le moyen tiré de ce que la décision de préemption dont il s'agit serait contraire à la politique intercommunale et notamment aux objectifs du projet d'aménagement et de développement durables n'est pas de nature, en l'état de l'instruction, à confirmer l'annulation de la décision administrative en litige.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'existence de conséquences difficilement réparables ni le moyen tiré de l'illégalité de la mesure d'injonction prononcée par le tribunal, qu'il y a lieu d'ordonner le sursis à l'exécution du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 juillet 2019.
8. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge du département de la Charente-Maritime, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme quelconque au titre des frais non compris dans les dépens exposés par M. et Mme E.... Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de M. et Mme E... la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par le département de la Charente-Maritime.
DECIDE :
Article 1er : Jusqu'à ce qu'il ait été statué sur la requête formée par le département de la Charente-Maritime contre le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 4 août 2019 il sera sursis à l'exécution de ce jugement.
Article 2 : M. et Mme E... verseront la somme de 1 000 euros au département de la Charente-Maritime au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions de M. et Mme E... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : La présente décision sera notifiée au département de la Charente-Maritime, à M. et Mme C... E... et à Mme D... G....
Lu en audience publique le 28 novembre 2019.
Le président de chambre,
Marianne B...Le greffier,
Sophie Lecarpentier
La République mande et ordonne au préfet du département de la Charente-Maritime, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 19BX03733