Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires, enregistrés le 29 mars et les 15 et 28 mai 2018, les consortsE..., représentés par la SELARL Coubris, Courtois et associés, demandent au juge des référés de la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 19 mars 2018 du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Rochefort à leur verser une provision de 350 000 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier précité une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- M. G...E...a été victime, à son cinquième jour de vie, d'une infection nosocomiale d'origine exogène lors d'une intervention réalisée au mois de novembre 1991 au centre hospitalier de Rochefort et demeure atteint de séquelles liées à cette infection ;
- son état de santé actuel est imputable à hauteur de 50 % aux séquelles de cette infection et à 100 % à ces séquelles s'agissant de son état antérieurement à l'intervention chirurgicale pratiquée en 2007 ;
- en conséquence ses préjudices doivent être réparés par le centre hospitalier de Rochefort à hauteur au minimum de la moitié de leur ampleur ;
- ainsi, les dépenses totales d'assistance par tierce personne au titre des années 2009 à 2017 s'élèvent à 198 240,26 euros ;
- l'indemnisation du déficit fonctionnel permanent doit être évaluée à 377 000 euros ;
- les préjudices esthétique, d'agrément, sexuel et d'établissement s'élèvent, respectivement, à 18 000 euros, 50 000 euros, 50 000 euros et 80 000 euros ;
- au total l'ensemble des préjudices de M. G...E...s'élève à la somme de 773 280,46 euros et, en conséquence, le centre hospitalier devra verser une provision de 350 000 euros.
Par un mémoire, enregistré le 12 avril 2018, la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime conclut à sa mise hors de cause.
Par deux mémoires, enregistrés les 26 avril et 11 juin 2018, le centre hospitalier de Rochefort, représenté par MeI..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- le caractère nosocomial de l'infection contractée par M. G...E...n'est pas établi ;
- à supposer même que ce soit le cas, il n'existe pas de lien de causalité entre les préjudices invoqués et cette infection ;
- en effet ces préjudices trouvent leur origine dans l'accident médical survenu le 3 décembre 2007 et ont été réparés par la somme versée aux appelants par l'ONIAM à titre transactionnel ;
- les seuls préjudices qui pourraient être regardés comme en lien avec l'infection sont un déficit fonctionnel temporaire du 20 décembre 1991 au 3 décembre 2007, des frais d'assistance par une tierce personne à hauteur d'une heure par jour pour les périodes de déficit fonctionnel temporaire de 50 % et de cinq heures hebdomadaires pour les périodes de déficit fonctionnel temporaire de 25 %, et un préjudice esthétique temporaire de 3/7, qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 1 000 euros ;
- il n'existe pas, au titre de la période du 20 décembre 1991 au 3 décembre 2007, de déficit fonctionnel temporaire, à défaut de consolidation, et le préjudice d'agrément n'est pas établi.
Par un mémoire, enregistré le 15 mai 2018, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par MeD..., conclut à sa mise hors de cause.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné M. L...en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. À la suite d'une naissance par césarienne réalisée prématurément le 4 novembre 1991, M. G...E...a été hospitalisé, du 19 au 27 novembre 1991, au centre hospitalier de Rochefort en raison d'une détresse respiratoire modérée puis d'un ictère. Il y a bénéficié, le 19 novembre 1991, d'une exsanguino-transfusion puis d'une photothérapie mais a dû être à nouveau hospitalisé, le 20 décembre 1991, en raison de l'apparition d'un syndrome septique sévère du à un staphylocoque pleuropulmonaire et à une spondylodiscite staphylococcique. Son état de santé s'étant aggravé, il a été hospitalisé au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux, le 27 janvier 1992, où une destruction coporéale de D5 et D3 avec une cyphose dorsale secondaire et la présence d'un volumineux abcès pré-rachidien paravertébral droit et gauche ont été diagnostiqués et confirmés par un examen par imagerie par résonance magnétique (IRM) réalisé le 10 juillet 1992, qui a également révélé la destruction de trois vertèbres thoraciques. Après une première intervention chirurgicale, le 2 octobre 1992, qui a consisté en une arthodèse rachidienne, avec greffon osseux prélevé sur le tibia droit, l'évolution de son état a nécessité une nouvelle intervention d'arthrodèse par voie postérieure réalisée le 3 décembre 2007 au CHU de Bordeaux. Cependant, à la suite de cette intervention, une paraplégie quasi-complète avec persistance de quelques éléments de sensibilité superficielle est apparue.
2. Les expertises diligentées par la commission régionale de conciliation et d'indemnisation des victimes d'accidents médicaux (CRCI) d'Aquitaine et, à leur suite, l'avis rendu par celle-ci ont retenu l'existence d'un accident médical non fautif à l'origine de préjudices qu'il appartient à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM) d'indemniser à hauteur de 50 %. La réparation de cet accident a donné lieu à la conclusion d'une transaction amiable entre l'ONIAM et M. G...E...et au versement par le premier au second d'une somme totale de 263 526,48 euros. M. E...et ses parents ont ensuite saisi le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Rochefort à leur verser une provision d'un montant de 350 000 euros à valoir sur la réparation des préjudices liés à l'infection staphylococcique pleuropulmonaire et rachidienne contractée lors de l'exsanguino-transfusion qu'il a subie alors qu'il était âgé de cinq jours. Ils relèvent appel de l'ordonnance du 19 mars 2018 par laquelle le juge des référés précité a rejeté leur demande.
3. D'une part, aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Il appartient au juge des référés, dans le cadre de cette procédure, de rechercher si, en l'état du dossier qui lui est soumis, l'obligation du débiteur éventuel de la provision est ou n'est pas sérieusement contestable sans avoir à trancher ni de questions de droit se rapportant au bien-fondé de cette obligation ni de questions de fait soulevant des difficultés sérieuses et qui ne pourraient être tranchées que par le juge du fond éventuellement saisi.
4. D'autre part, l'introduction accidentelle, dans l'organisme d'un patient, d'un germe microbien lors d'une intervention chirurgicale révèle une faute dans l'organisation ou le fonctionnement du service hospitalier.
5. Il résulte de l'instruction et notamment du pré-rapport d'expertise de MM. B...etF..., désignés par ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Poitiers du 28 mars 2017, communiqué aux parties le 28 mai 2018 et produit pour la première fois en appel, que l'infection staphylococcique pleuropulmonaire et rachidienne dont M. G...E...a été victime a été contractée lors de l'exsanguino-transfusion qu'il a subie le 19 novembre 1991 au centre hospitalier de Rochefort, alors qu'il n'était âgé que de cinq jours. Ainsi, cette infection doit être regardée comme révélant une faute dans l'organisation ou le fonctionnement de cet établissement.
6. Cependant, les préjudices dont se prévalent les consorts E...et pour lesquels ils soumettent à la cour une évaluation chiffrée, soit les dépenses d'assistance par tierce personne, le déficit fonctionnel permanent, les préjudices d'agrément, esthétique, sexuel et d'établissement, trouvent entièrement leur origine dans l'accident médical survenu lors de l'intervention réalisée au CHU le 3 décembre 2007. Ainsi, il résulte du rapport d'expertise de MM. A...etH..., désignés par la CRCI, remis le 19 mai 2009, que l'état de l'intéressé après cette intervention n'est pas la conséquence de l'évolution prévisible de la pathologie initiale mais a été causé par un accident thérapeutique inhérent à la technique choisie et non susceptible d'être prévenu. De surcroît, les conséquences de cet accident ont été réparées par le versement à M. G...E...par l'ONIAM, à titre transactionnel, d'une somme de 263 526,48 euros. Dans ces conditions, l'existence de l'obligation dont les appelants se prévalent doit être regardée comme sérieusement contestable dans son principe, au sens des dispositions précitées de l'article R. 541-1 du code de justice administrative.
7. Il résulte de tout ce qui précède que les consorts E...ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être également rejetées.
ORDONNE :
Article 1er : La requête n° 18BX01260 des consorts E...est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à MM. C...et G...E..., à Mme J... E..., au centre hospitalier de Rochefort, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de Charente-Maritime.
Fait à Bordeaux, le 23 octobre 2018.
Le juge des référés,
Éric Rey-Bèthbéder
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 18BX01260