Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 décembre 2019, la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, représentée par le cabinet ATP Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision d'injonction du 20 avril 2018 ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat " les entiers dépens " et une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761 -1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est insuffisamment motivé en tant qu'il n'explique pas les raisons pour lesquelles les facturations et l'appel surtaxé ne seraient pas conformes aux dispositions de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique, et en tant que le tribunal ne s'est pas fondé sur les dispositions de l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale relative à la facturation d'une chambre particulière dans leur rédaction issue du décret n° 2019-719 du 8 juillet 2019 ;
En ce qui concerne le forfait administratif :
- l'injonction, qui repose sur des affirmations générales et mal étayées et ne s'appuie pas sur l'instruction du 6 février 2015 précisant les prestations exceptionnelles pouvant être facturées, est insuffisamment motivée ;
- contrairement à ce qu'ont retenu le tribunal et l'administration, l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique et l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale permettent de facturer des prestations sans fondement médical, non couvertes par les organismes d'assurance maladie, correspondant à des exigences particulières du patient ; l'assurance maladie ne rembourse que les frais d'hospitalisation engagés au titre des prestations de soins, et le régime de tarification à l'activité (T2A) auquel elle est soumise ne prévoit pas la prise en charge des démarches liées aux prestations exceptionnelles, notamment auprès des complémentaires santé ; le forfait administratif est une prestation exceptionnelle qu'elle est en droit de facturer au patient qui en fait la demande, comme l'a d'ailleurs rappelé un courrier de la direction départementale de la protection des populations de l'Allier du 2 mai 2012 et une décision du Défenseur des droits du 29 juillet 2014 ; le forfait optionnel permet d'accompagner les patients dans leurs démarches auprès des organismes complémentaires, le patient ayant le choix d'accepter ou de refuser cette prestation exceptionnelle en remplissant et signant le formulaire qui lui est remis ;
- l'instruction du 6 février 2015 et les réponses ministérielles invoquées dans le mémoire en défense du préfet devant le tribunal administratif sont dépourvues de valeur juridique et ne lui sont pas opposables ; l'administration a ainsi abusé de son pouvoir pour tenter de justifier une position insoutenable, et le tribunal s'est fondé à tort sur l'argumentaire du préfet ;
En ce qui concerne la chambre particulière dans le cadre d'une hospitalisation pour troubles du sommeil :
- dans sa rédaction issue du décret n° 2019-719 du 8 juillet 2019, le 1° de
l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale interdit seulement la facturation d'une chambre particulière en unité de réanimation, de soins intensifs ou de surveillance continue ; en l'absence de nécessité médicale d'isolement du patient, la chambre particulière constitue une prestation de confort pouvant être facturée ;
- le tribunal s'est fondé à tort sur le formulaire de pré-admission disponible sur un site internet qui n'existe plus à ce jour ; les patients font désormais le choix par écrit, au regard des tarifs dont ils ont été informés, de l'option de chambre particulière, et bénéficient d'une information loyale sur les frais correspondants ;
En ce qui concerne le numéro surtaxé :
- le champ d'application de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique est limité aux patients de l'établissement à l'exclusion des tiers, et l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale confirme que le terme de patient est utilisé par le législateur pour
faire référence à une personne d'ores et déjà prise en charge dans l'établissement ; en vertu de l'article L. 521-1 du code de la consommation, les agents de l'administration peuvent prendre des injonctions à l'encontre de professionnels, ce qui implique que l'injonction ne peut porter que sur les agissements contractuels commis dans le cadre de la relation contractuelle formée avec le consommateur, soit en l'espèce le patient avec lequel un contrat d'hospitalisation et de soins a été conclu ; des numéros non surtaxés figurent sur les documents remis à ses patients, et même sur le dossier de pré-admission ; c'est à tort que le tribunal a étendu la notion de patient à tout tiers contactant la clinique ;
En ce qui concerne la sanction :
- dès lors que les manquements aux obligations de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique ne peuvent donner lieu à une sanction fondée sur l'article L. 532-1 du code de la consommation, c'est à tort que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'erreur de droit dont la sanction est entachée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la consommation ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Deyris, représentant La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre d'un plan national de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) relatif au contrôle des établissements de santé privés à but lucratif ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l'agence régionale de santé, et après le signalement d'une facturation de chambre particulière non sollicitée par une patiente hospitalisée dans le service de troubles du sommeil de la polyclinique Bordeaux Tondu, exploitée par la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, une contrôleure de la direction départementale de la protection des populations de la Gironde a consulté le site internet de cet établissement et réalisé un contrôle sur place le 20 février 2018. Elle a constaté que la polyclinique avait facturé à des patients une prestation forfaitaire d'accompagnement administratif de 10 euros, ainsi que des chambres particulières pour des séjours dans le service de troubles du sommeil, et que le numéro d'appel de la polyclinique indiqué sur son site internet était surtaxé, sans information sur le coût de l'appel. Par lettre
du 20 avril 2018, la contrôleure a informé la directrice de la polyclinique de son intention de lui enjoindre, sur le fondement des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de la consommation, de supprimer la facturation de la prestation d'accompagnement administratif et de la chambre particulière dans le cadre d'une hospitalisation pour troubles du sommeil, et de mettre un numéro d'appel téléphonique non surtaxé à la disposition de toute personne contactant la polyclinique en vue de bénéficier de soins, et l'a invitée à présenter ses observations dans un délai de quinze jours, ce qui a été fait par un courrier du 26 mars 2018. L'injonction a été prononcée par lettre
de la contrôleure de la direction départementale de la protection des populations
du 20 avril 2018. La société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu relève appel du jugement
du 8 octobre 2019 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cette injonction.
Sur la régularité du jugement :
2. Le jugement cite les dispositions de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique selon lesquelles les établissements de santé ne peuvent facturer au patient que les prestations de soins dont il a bénéficié et les frais correspondant aux exigences particulières qu'il a formulées, et celles de l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale qui énumère limitativement les frais en cause, et qualifie les facturations et l'appel téléphonique surtaxé comme ne relevant pas de ces dernières dispositions. Il est ainsi suffisamment motivé. En reprochant aux premiers juges de ne pas avoir fait application des dispositions du 1° de l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale dans leur rédaction issue du décret n° 2019-719 du 8 juillet 2019, la société requérante met en cause le bien-fondé, et non la régularité du jugement.
Sur la légalité de l'injonction :
En ce qui concerne la légalité externe :
3. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent.
A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ".
4. L'injonction contestée, qui fait référence aux dispositions des articles L. 521-1 et L. 521-2 du code de la consommation permettant de prononcer une injonction et cite les dispositions de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique relatives aux frais pouvant être facturés aux patients, comporte les éléments de droit qui en constituent le fondement. Si elle ne précise pas en quoi les prestations en cause méconnaissent l'article L. 1111-3-4, les considérations de fait avaient été exposées dans le rapport de contrôle joint à la lettre avant injonction du 26 mars 2018. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'injonction ne peut être accueilli.
En ce qui concerne la légalité interne :
5. Aux termes de l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique : " (...) les établissements de santé mentionnés aux b, c et d de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale ne peuvent facturer au patient que les frais correspondant aux prestations de soins dont il a bénéficié ainsi que, le cas échéant, les frais prévus au 2° des articles L. 162-22-1 et
L. 162-22-6 du même code correspondant aux exigences particulières qu'il a formulées. (...). " Le d) de l'article L. 162-22-6 du code de la sécurité sociale fait référence aux établissements de santé privés ayant conclu un contrat pluriannuel d'objectifs et de moyens avec l'agence régionale de santé, ce qui est le cas de la polyclinique Bordeaux Tondu. Aux termes de l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction applicable à la date de la décision contestée : " Les catégories de prestations pour exigences particulières du patient, sans fondement médical, mentionnées au 2° des articles L. 162-22-1, L. 162-22-6 et L. 162-23-1, qui donnent lieu à facturation sans prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale, en sus des prestations mentionnées au 1° des mêmes articles, sont les suivantes : / 1° L'installation dans une chambre particulière, en l'absence de prescription médicale imposant l'isolement, en cas d'hospitalisation ; / 2° L'hébergement, ainsi que les repas et les boissons des personnes qui accompagnent la personne hospitalisée ; / 3° La mise à disposition du patient, à la chambre, de moyens d'émission et de réception d'ondes radioélectriques, notamment la télévision et le téléphone ; / 4° Les interventions de chirurgie esthétique mentionnées à l'article L. 6322-1 du code de la santé publique ; / 5° Les prestations exceptionnelles ayant fait l'objet d'une demande écrite, dans la mesure où ces prestations ne sont pas couvertes par les tarifs des prestations de l'établissement. / Peut également donner lieu à une facturation sans prise en charge par les régimes obligatoires de sécurité sociale le maintien du corps du patient dans la chambre mortuaire de l'établissement, à la demande de la famille, au-delà du délai de trois jours suivant le décès prévu à l'article R. 2223-89 du code général des collectivités territoriales. / L'établissement doit informer le patient du prix de ces prestations, pour lesquelles il établit une facture détaillée conformément aux dispositions de l'article L. 441-3 du code de commerce. / (...). "
S'agissant de la prestation d'accompagnement administratif :
6. Il ressort des pièces du dossier que la prestation d'accompagnement administratif proposée aux patients par la polyclinique Bordeaux Tondu, telle qu'elle apparaissait sur le site internet de l'établissement, et dont la contrôleure a constaté qu'elle avait effectivement été facturée, correspondait à un forfait incluant les démarches administratives auprès des caisses d'assurance maladie ou des mutuelles sur présentation d'une prise en charge, la mise à jour de la carte vitale, l'assistance téléphonique du personnel soignant, la prise en charge des appels téléphoniques pour organiser la sortie du patient, les démarches administratives pour le placement du patient en centre de soins de suite et faciliter son retour au domicile, et les démarches et l'accompagnement spécifique du patient ou de sa famille en vue d'obtenir des aides financières ou sociales. Contrairement à ce que soutient la société requérante, ce forfait proposé dans son ensemble, sans possibilité de choix d'une prestation individualisée correspondant à un besoin exprimé par le patient, ne peut être regardé comme une prestation exceptionnelle ayant fait l'objet d'une demande écrite au sens du 5° de l'article R. 162-27, alors qu'il ressort des constatations de la contrôleure que le site internet de la clinique informait d'une facturation systématique du forfait sans possibilité de le décliner. Le moyen tiré de ce que les prestations en cause ne seraient pas couvertes par les tarifs des prestations de l'établissement est ainsi inopérant, et la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu ne peut utilement se prévaloir de prétendues prises de position, dépourvues de valeur juridique, de la direction départementale de la protection des populations de l'Allier par un avis 2 mai 2012, et du Défenseur des droits par une recommandation du 29 juillet 2014. Le moyen tiré de l'absence de valeur juridique de l'instruction n° DGOS/R1/2015/36 du 6 février 2015 et des réponses ministérielles invoquées par le préfet de la Gironde dans son mémoire en défense, auxquelles le jugement ne fait pas référence, est également inopérant.
S'agissant de la facturation d'une chambre particulière dans le cadre d'une hospitalisation pour troubles du sommeil :
7. La légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu ne peut utilement ni se prévaloir du 1° de l'article R. 162-27 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue du décret n° 2019-719 du
8 juillet 2019, postérieur à l'injonction du 20 avril 2018, ni faire valoir que le tribunal se serait fondé à tort sur un formulaire de pré-admission disponible sur " un site internet qui n'existe plus à ce jour ", alors qu'elle n'en conteste pas la présence sur le site existant à la date de l'injonction.
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date de l'injonction, le site internet de la polyclinique Bordeaux Tondu précisait, dans la rubrique relative aux forfaits d'hébergement, que " les soins médicaux dispensés au service du sommeil nécessitent l'attribution d'une chambre particulière ", et que cette mention figurait également sur le dossier de pré-admission à télécharger sur ce site. La facturation d'une chambre particulière, pour un montant de 72 euros non pris en charge par l'assurance maladie, était ainsi systématiquement imposée au patient par l'établissement malgré l'exigence médicale imposant l'isolement, en méconnaissance
des dispositions alors applicables du 1° de l'article R. 162-27 d[0]u code de la sécurité sociale citées au point 5.
S'agissant du numéro d'appel surtaxé :
9. Il résulte des dispositions de l'article L. 6111-1 du code de la santé publique
que l'établissement de santé public ou privé assure, outre la délivrance des soins, diverses missions, notamment de coordination des soins avec les membres des professions de santé, ou de prévention et d'éducation à la santé. Dans ces circonstances, l'appel auprès d'un établissement de santé constitue une étape de la délivrance ou de la coordination des soins, entrant dès lors dans les missions habituelles de cet établissement. Contrairement à ce que soutient la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, le législateur, qui n'a pas défini la notion de patient, n'a pas entendu réserver ce terme aux personnes déjà prises en charge par l'établissement de santé, de sorte que les restrictions à la possibilité de facturer des frais, prévues à l'article L. 1111-3-4 du code de la santé publique, ne peuvent être regardées comme applicables aux seules personnes d'ores et déjà engagées dans une relation contractuelle ou pré-contractuelle de patient à soignant avec la polyclinique. Par suite, la mise à disposition du public d'un numéro d'appel surtaxé sur le site internet de la polyclinique Bordeaux Tondu, qui ne précise d'ailleurs pas le coût de cet appel, méconnaît les dispositions citées au point 5, sans que la société requérante puisse utilement faire valoir que des numéros non surtaxés figurent sur les documents remis à ses patients après leur hospitalisation, ainsi que sur le dossier de pré-admission.
S'agissant de l'erreur de droit :
10. Il y a lieu d'écarter, par adoption des motifs pertinents retenus par les premiers juges, le moyen tiré de l'erreur de droit qu'aurait commise l'administration en prononçant une " sanction ".
11. Il résulte de tout ce qui précède que la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Sur les frais exposés à l'occasion du litige :
12. La société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu, qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions relatives aux dépens sont sans objet et ne peuvent qu'être également rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la société La Nouvelle Clinique Bordeaux Tondu et au ministre des solidarités et de la santé. Une copie en sera adressée au ministre de l'économie,
des finances et de la relance.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 février 2022.
La rapporteure,
Anne A...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX04769