Par un jugement n° 2001179 du 5 novembre 2020, le tribunal administratif
de Limoges a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour administrative d'appel :
Par une requête, enregistrée le 24 février 2021, M. C..., représenté par Me Marty, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Limoges du 5 novembre 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 29 juin 2020 de la préfète de la Creuse ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Creuse de lui délivrer un titre de séjour, ou à défaut, de réexaminer sa situation dans le délai de vingt jours à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de deux cent euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme
de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code
de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- elle est illégale en l'absence d'examen particulier de sa situation par le préfet ; il était présent en France depuis 2017, à la recherche de sa famille, avec laquelle il vivait depuis huit mois à la date de la décision du préfet ; il n'a pas entendu procéder à l'excision de sa fille mais subissait les pressions de sa propre famille ; il s'occupe attentivement de l'éducation de ses enfants ;
- elle contrevient aux dispositions du 8° de l'article L. 314-11 du code de l'entrée
et du séjour des étrangers et du droit d'asile car sa fille a obtenu le statut de réfugiée ;
- elle méconnaît les dispositions du 7° de l'article L 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, car il a repris la vie commune avec son épouse titulaire d'une carte de résident et leurs deux enfants, et justifie que la séparation de cinq années ne lui est pas imputable ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour
qui la fonde ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale
des droits de l'enfant ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour qui la fonde.
Par un mémoire en défense enregistré le 18 octobre 2021, la préfète de la Creuse conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que :
-le requérant avait lui-même déclaré être entré en France en 2020, moins de six mois avant la décision ;
-il a vécu 5 ans sans sa famille pour des raisons qui sont sans lien avec la décision préfectorale, et ne démontre pas avoir des liens stables en France, où son épouse et ses enfants ne vivaient que depuis 3 ans ; aucune atteinte à l'article 8 de la convention européenne
de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales n'est démontrée,
ni d'erreur manifeste d'appréciation ;
- M. C... n'a pas sollicité son admission au séjour sur le fondement de
l'article L.314-11-8° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et son épouse n'a pas demandé au profit de sa fille mineure la réunification familiale au bénéfice de son père, prévue à l'article L.752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, dès lors qu'elle a obtenu le statut de réfugiée pour l'enfant en faisant état des risques qu'elle courait auprès de son père. En outre, est exclu de la réunification familiale un membre de la famille, lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile ou lorsqu'il ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France. Si la mère de l'enfant estime que la situation a changé, il lui appartient de demander à la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) de revoir sa décision.
M. C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une
décision n° 2020/021297 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire
de Bordeaux du 28 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New-York
le 26 janvier 1990 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant nigérian, s'est rendu en Italie, où il a rencontré sa compagne Mme F... D..., de nationalité nigériane, et où deux enfants sont nés en 2010 et 2014. Il a épousé sa compagne en 2011. Celle-ci, craignant qu'il cède aux pressions de sa famille pour faire exciser leur fille, l'a quitté en 2015 pour se rendre en Allemagne, puis en France où sa fille a bénéficié du statut de réfugiée en raison d'un risque d'excision en cas de retour au Nigeria, et où elle- même a alors obtenu une carte de résident. M. C..., qui déclare être entré en France en 2017, ce qui est corroboré par diverses attestations, a retrouvé sa famille en 2020 à Guéret, et vit depuis avec son épouse et leurs enfants. A... a sollicité son admission au séjour au titre de sa vie privée et familiale, et relève appel du jugement du 5 novembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 29 juin 2020 par lequel la préfète de la Creuse a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. Aux termes de l'article L.314-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa version applicable : " Sauf si la présence de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public, la carte de résident est délivrée de plein droit, sous réserve de la régularité du séjour : 8° A l'étranger reconnu réfugié en application du livre VII ainsi qu'à : d) Ses ascendants directs au premier degré si l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection est un mineur non marié.(...)La condition de régularité du séjour mentionnée au premier alinéa du présent article n'est pas applicable aux cas prévus aux b et d. " Par ailleurs l'article L.752-1 du même code prévoyait alors que : " (...) Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré (...) . La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. /Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. " Enfin l'article L.752-3, devenu aujourd'hui L.561-8, prévoyait : " Lorsqu'une protection au titre de l'asile a été octroyée à une mineure invoquant un risque de mutilation sexuelle, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, tant que ce risque existe et tant que l'intéressée est mineure, lui demande de se soumettre à un examen médical visant à constater l'absence de mutilation. L'office transmet au procureur de la République tout refus de se soumettre à cet examen ou tout constat de mutilation. /Le certificat médical, dûment renseigné, est transmis à l'office sans délai par le médecin qui l'a rédigé. Une copie du certificat est remise en main propre aux parents ou représentants légaux. / Aucun constat de mutilation sexuelle ne peut entraîner, à lui seul, la cessation de la protection accordée à la mineure au titre de l'asile. Il ne peut être mis fin à ladite protection à la demande des parents ou des titulaires de l'autorité parentale tant que le risque de mutilation sexuelle existe. /L'office doit observer un délai minimal de trois ans entre deux examens, sauf s'il existe des motifs réels et sérieux de penser qu'une mutilation sexuelle a effectivement été pratiquée ou pourrait être pratiquée (...). "
3. Il ressort des pièces du dossier que M. C... est père d'une fille, G..., née le 25 juillet 2014, qui s'est vue reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 15 mai 2019 au regard du risque d'excision encouru en cas de retour au Nigéria. Sa lettre du 13 février 2020 portant demande de titre de séjour, que la préfète a produite au dossier, mentionnait ce statut accordé à sa fille. Dans ces conditions, et alors que le formulaire de demande de titre de séjour se bornait à cocher le motif " vie privée et familiale ", la préfète de la Creuse devait se considérer saisie, non seulement d'une demande au titre de l'article L.313-11 (7°) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile mais également sur le fondement des dispositions précitées de l'article L.314-11du même code. Or la décision attaquée ne se prononce pas sur ce point et ne mentionne même pas le statut de réfugiée de la fillette. Le préfet n'a ainsi pas procédé aux vérifications nécessaires pour apprécier si le demandeur répondait aux conditions prévues par les dispositions citées au point 2. Dans ces conditions, M. C... est fondé à soutenir, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de sa requête, que la décision est entachée d'un défaut d'examen particulier et complet de sa situation et que c'est à tort que le premier juge a refusé de l'annuler.
4. Cette annulation n'implique que le réexamen de la situation de M. C... au regard notamment de la réalité de sa vie familiale en France et de l'état actuel de santé de sa fille. Il y a lieu d'enjoindre au préfet d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
5. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 5 novembre 2020 du tribunal administratif de Limoges
et la décision du 29 juin 2020 de la préfète de la Creuse sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint à la préfète de la Creuse de réexaminer la demande de M. C..., dans un délai de 3 mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... C..., au ministre de l'intérieur
et à la préfète de la Creuse.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 février 2022.
La présidente-assesseure,
Anne Meyer
La présidente, rapporteure,
Catherine E...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX00850