Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 9 décembre 2020 sous le n°20NT03839, Mme E... épouse Ragnikant A... et M. Ragnikant A..., représentés par Me Zouine, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 25 mars 2020 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. Ragnikant A... dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à leur conseil, qui renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, d'une somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ; le mariage et l'acte de naissance du demandeur ne sont pas remis en cause ; le motif tenant au doute sur l'identité du demandeur n'est pas un motif d'ordre public
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 mai 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. et Mme Ragnikant A... ne sont pas fondés.
Mme Ragnikant A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 octobre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... épouse Ragnikant A..., ressortissante soudanaise née le 7 janvier 1960 entrée en France le 6 septembre 2012, s'est vu reconnaître le bénéfice de la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 30 novembre 2012. Le 16 août 2017 M. Ragnikant A... a déposé une demande de visa au titre de la réunification familiale. Mme E... épouse Ragnikant A... et M. Ragnikant A... relèvent appel du jugement du 25 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Khartoum du 15 février 2018 refusant de délivrer à M. Ragnikant A... le visa de long séjour sollicité.
2. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités soit, en l'espèce, l'absence de conformité de l'acte d'état civil présenté au dossier de demande de visa à la législation locale. Dans son mémoire en défense devant le tribunal, communiqué aux requérants, le ministre fait valoir que la décision contestée est motivée par le caractère insuffisant des documents d'état civil présentés qui ne permettent pas de s'assurer de l'identité de la personne se présentant comme M. Thomas Ragnikant F... et par l'absence de preuve d'une relation de nature matrimoniale entre les requérants.
3. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
4. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".
5. L'article L. 721-3 du même code dans sa rédaction alors en vigueur dispose que : " L'office est habilité à délivrer, après enquête s'il y a lieu, aux réfugiés et bénéficiaires de la protection subsidiaire les pièces nécessaires pour leur permettre soit d'exécuter les divers actes de la vie civile, soit de faire appliquer les dispositions de la législation interne ou des accords internationaux qui intéressent leur protection, notamment les pièces tenant lieu d'actes d'état civil. Le directeur général de l'office authentifie les actes et documents qui lui sont soumis. Les actes et documents qu'il établit ont la valeur d'actes authentiques. Ces diverses pièces suppléent à l'absence d'actes et de documents délivrés dans le pays d'origine. Les pièces délivrées par l'office ne sont pas soumises à l'enregistrement ni au droit de timbre "
6. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
7. Il résulte des dispositions citées aux points 4 à 6 que les actes établis par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) sur le fondement des dispositions de l'article L. 721-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en cas d'absence d'acte d'état civil ou de doute sur leur authenticité, et produits à l'appui d'une demande de visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, présentée pour les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire dans le cadre d'une réunification familiale, ont, dans les conditions qu'elles prévoient, valeur d'actes authentiques qui fait obstacle à ce que les autorités consulaires en contestent les mentions, sauf en cas de fraude à laquelle il appartient à l'autorité administrative de faire échec.
8. En dehors de l'hypothèse citée au point précédent, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.
9. En premier lieu, il résulte des dispositions de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'administration peut légalement opposer l'absence de preuve de l'identité du demandeur de visa, et, partant de son lien familial avec le réfugié.
10. En deuxième lieu, l'administration n'a pas fait état d'une fraude remettant en cause le mariage de Mme E... épouse Ragnikant A... mais conteste l'identité même du demandeur de visa dès lors que pour en justifier, il a présenté aux autorités consulaires un acte de naissance ainsi qu'un passeport mentionnant qu'il se dénomme G... I... A... et est né le 24 février 1962, alors que le certificat de mariage établi par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qui fait foi sauf inscription en faux, indique que l'époux de la requérante, dénommé M. Thomas Ragnikant F..., est né en 1959. Le ministre fait ainsi valoir que cette discordance ne permet pas de tenir son identité pour établie. Les requérants n'apportent aucune explication sérieuse de nature à élucider la discordance quant à la date de naissance de l'époux de Mme E... épouse Ragnikant A..., qui ne saurait être qualifiée de mineure. Les photos produites au dossier ne suffisent pas à établir l'identité du demandeur. Il appartient aux requérants, s'ils s'y croient fondés, de faire modifier l'acte de mariage délivré par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides devant la juridiction compétente. Dans ces conditions, c'est par une exacte application des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours des requérants.
11. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
12. Les liens familiaux n'étant pas établis, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.
13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... épouse Ragnikant A... et M. Ragnikant A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence leurs conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... épouse Ragnikant A... et de M. Ragnikant A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E... épouse Ragnikant A..., à M. Thomas Ragnikant A... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.
La rapporteure,
H. DOUET
Le président,
A. PÉREZ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03839