Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 29 novembre 2020 sous le n°20NT03708, M. Mavungu Mbungu, agissant en qualité de représentant légal de H..., représenté par Me Petit, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes du 27 mai 2020 ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant H... Mavungu Mbungu dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou à défaut, d'enjoindre au ministre de réexaminer la demande de visa dans les mêmes conditions d'astreinte et de délai ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le lien de filiation est établi par un jugement supplétif non entaché de fraude ; ce jugement a été rendu par un tribunal compétent ; la circonstance que l'acte de naissance dressé à la suite de ce jugement comporte des mentions supplémentaires ne suffit pas à établir que ledit jugement serait frauduleux ni que cet acte serait dépourvu de valeur probante ;
- la mère de l'enfant, qui ne réside pas avec lui, autorise le départ de celui-ci pour rejoindre son père en France ;
- la décision attaquée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 17 février 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. Mavungu Mbungu ne sont pas fondés.
La demande d'admission à l'aide juridictionnelle de M. Mavungu Mbungu a été rejetée par une décision du 28 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Douet a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. Mavungu Mbungu, ressortissant de la République démocratique du Congo, né le 23 mai 1979, relève appel du jugement du 27 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé contre une décision des autorités consulaires françaises à Kinshasa du 17 juin 2019 refusant de délivrer un visa de long séjour en France à l'enfant H... Mavungu Mbungu, né le 1er janvier 2011, au titre de la réunification familiale.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
3. En cas de décision implicite et en l'absence de communication, sur demande du destinataire, des motifs de cette décision, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, dont la décision se substitue à celle des autorités consulaires, doit être regardée comme s'étant appropriée le motif retenu par ces autorités soit, en l'espèce, l'absence de conformité de l'acte d'état civil présenté au dossier de demande de visa à la législation locale. Dans son mémoire en défense devant le tribunal, communiqué au requérant, le ministre fait valoir que la décision contestée est motivée par le caractère apocryphe des actes d'état civil présentés à l'appui des demandes de visas, par l'intention frauduleuse révélée par la production de tels actes, par l'absence d'éléments de possession d'état et par l'absence de jugement de délégation d'autorité parentale.
4. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans.(...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ".
5. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
6. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
7. Pour établir le lien de filiation entre le jeune Sylvestre et M. Mavungu Mbungu, ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 11 novembre 2015 par le tribunal de grande instance de Kinshasa Matete ainsi qu'un acte de naissance établi le 16 novembre 2015 selon le jugement du 11 novembre 2015.
8. Le code de la famille congolais prévoit aux articles 105 et suivants la possibilité de suppléer par jugement supplétif le défaut d'acte de naissance. Si le ministre de l'intérieur soutient que le tribunal de grande instance de Kinshasa / Matete n'était, au regard du droit congolais, plus compétent en 2016, pour se prononcer sur l'état civil d'enfants mineurs et donc pour rendre ce jugement, la circonstance, à la supposer avérée et qu'il revient aux autorités judiciaires locales d'apprécier, que cette juridiction se serait méprise sur sa compétence ne permet pas, par elle-même, d'établir le caractère frauduleux de ce jugement supplétif, qui n'est pas autrement démontré par le ministre. A cet égard les circonstances que la transcription ait été réalisée avant l'expiration du délai d'appel de trente jours prévu par l'article 67 du code de procédure civile de la République démocratique du Congo et que figurent sur l'acte de naissance des mentions relatives aux dates de naissance, nationalité et professions des deux parents qui ne figuraient pas dans le dispositif du jugement, ne suffisent pas à remettre en cause l'authenticité du jugement supplétif. Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des dispositions précitées que la commission a confirmé le refus de visa au motif, invoqué par le ministre dans ses écritures de première instance et d'appel, tiré de ce que le lien de filiation allégué n'était pas établi.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 411-2 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
10. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 411-2 et L. 411-3 du même code, auxquelles le premier alinéa du II de l'article L. 752-1 renvoie expressément, que l'enfant du réfugié dont l'autre parent ne sollicite pas en même temps que lui un visa de long séjour sur le fondement des dispositions du 1° ou du 2° de cet article a droit à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale pourvu que soient remplies les conditions fixées par les articles L. 411-2 ou L. 411-3. Il s'ensuit que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent.
11. L'autorisation signée de la mère de l'enfant le 4 juillet 2017 qui se borne à autoriser M. F... E... Mbungu, oncle de l'enfant Sylvestre, à effectuer des démarches afin de permettre à celui-ci de rejoindre la France ne tient pas lieu de la décision juridictionnelle, prévue par ces dispositions, confiant l'enfant au requérant. Dès lors M. E... Mbungu ne peut prétendre à la délivrance de plein droit d'un visa au titre de la réunification familiale pour son fils Sylvestre.
12. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision si elle avait entendu se fonder initialement sur ce seul motif. Il y a donc lieu de faire droit à la substitution de motifs sollicitée par le ministre.
13. En troisième lieu, il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'enfant Sylvestre, âgé de huit ans à la date de la décision attaquée et qui a toujours vécu dans son pays d'origine, ait jamais vécu avec M. Mavungu Mbungu ou ait créé des liens familiaux intenses avec lui. La circonstance alléguée qu'il ne vivrait plus avec sa mère mais avec son grand père et son oncle paternels n'est d'ailleurs pas établie par les pièces du dossier. Dès lors, la décision contestée n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale des intéressés une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Pour les mêmes motifs, elle ne porte pas une atteinte manifestement illégale à l'intérêt supérieur de cet enfant. Il suit de là que la décision contestée ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale de New-York du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. Mavungu Mbungu n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande. Doivent être rejetées par voie de conséquence les conclusions à fin d'injonction présentées par la requérante ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. Mavungu Mbungu est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... Mavungu Mbungu et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 11 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Douet, présidente-assesseure,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er février 2022.
La rapporteure,
H. DOUET
Le président,
A. PÉREZ
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 20NT03708