Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 janvier 2019 et le 7 octobre 2020, Mme B..., représentée par Me Dias, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges ;
2°) de condamner la commune de Saint-Cyr-la-Roche à lui verser la somme globale de 96 000 euros en réparation de ses préjudices ou de procéder aux travaux nécessaires pour y mettre un terme ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Cyr-la-Roche une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle subit un dommage du fait des travaux de rénovation de l'église de la commune réceptionnés au mois de mai 2013 ; le système d'évacuation des eaux pluviales installé sur l'édifice lors de ces travaux n'est pas raccordé au réseau d'évacuation des eaux pluviales communales et les eaux se déversent désormais dans la cour de son habitation, s'infiltrent dans la cave et atteignent également en cas de fortes précipitations son logement ;
- ainsi que l'a justement retenu le tribunal, la commune de Saint-Cyr-la-Roche est la personne publique responsable de son dommage en sa qualité de propriétaire de l'église Saint-Julitte et du fait que l'entretien de cette église, qui constitue une opération de travaux publics, lui incombe en vertu de l'article 13 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat ;
- elle subit un préjudice spécial et anormal du fait des modifications apportées au système de canalisation des eaux pluviales de l'édifice ; l'écoulement des eaux endommage le revêtement de la cour ainsi que l'ensemble du bâti qui est affecté par son ruissellement ; sa cave est inondée, ce qui lui cause un préjudice de jouissance ; en cas de forte pluies, le regard d'évacuation situé au pied de sa cour et protégeant son immeuble d'habitation est submergé ; le niveau d'eau circulant sur sa propriété est à l'origine d'un taux d'humidité particulièrement élevé, ainsi qu'en témoignent les photographies produites au dossier montrant la mousse dont sont couverts la cour et les immeubles bâtis ;
- l'installation des gouttières sur l'église ainsi que des descentes d'eaux pluviales par la commune est illégale car elles n'ont pas été précédées de l'autorisation de Mme B..., ce qui méconnaît l'article 544 du code civil, l'article 17 de la Déclaration universelle des droits de l'Homme et l'article 681 du code civil ; l'évacuation des eaux sur sa propriété ne saurait correspondre à une servitude d'écoulement naturel, prévue par l'article 640 du code civil, alors que l'écoulement en cause a été modifié par la main de l'homme ;
- aucune cause exonératoire de la responsabilité de la commune n'est caractérisée en l'espèce ;
- ses préjudices doivent être évalués aux sommes suivantes :
o 6 000 euros au titre du préjudice de jouissance actuel ;
o 20 000 euros au titre du préjudice de jouissance permanent ;
o 70 000 euros au titre de la perte de valeur vénale de son bien ;
- la cour pourra aussi décider d'enjoindre à la commune de Saint-Cyr-la-Roche de procéder au travaux permettant de mettre un terme à son dommage, qui consisteraient à démonter les dalles de récupération des eaux pluviales situées au pied de la couverture de l'église, démonter les descentes d'eaux pluviales conduisant de manière subséquente ces eaux vers les parcelles nos 235 et 232, mettre en place, après démontage de ces dalles et descentes d'eaux pluviales, des grilles de protection notamment sur le versant sud de l'église contigu à la cour de son immeuble d'habitation ;
- les conclusions d'appel principal présentées par la commune de Saint-Cyr-la-Roche tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas rejeté la demande de Mme B... comme mal dirigées sont irrecevables dès lors qu'elles sont présentées après l'expiration du délai d'appel ; à supposer que la cour qualifie de telles conclusions d'appel incident, elles sont également irrecevables, la commune de Saint-Cyr-la-Roche n'ayant pas intérêt à demander l'annulation du jugement en tant seulement qu'il n'a pas fait droit à la fin de non-recevoir qu'il avait présentée ; en outre, les conclusions qu'elle présente contre la commune de Saint-Cyr-la-Roche sont bien dirigées.
Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 avril 2019, le 9 janvier 2020 et le 26 novembre 2020, la commune de Saint-Cyr-la-Roche, représentée par Me Faure demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) à titre subsidiaire, de rejeter la demande présentée par Mme B... devant le tribunal comme mal dirigée ;
3°) à titre infiniment subsidiaire, de condamner la direction régionale des affaires culturelles du Limousin et l'architecte en chef des monuments historiques à la garantir de l'ensemble des condamnations prononcées à son encontre ;
4°) de mettre à la charge de Mme B... une somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Elle soutient que :
- contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, la demande indemnitaire présentée par Mme B... à son encontre est mal dirigée dès lors que la commune n'a aucune capacité de direction sur les travaux qui concernent un monument historique classé et que les travaux dont la requérante demande la réalisation ne pourront pas être réalisés à l'initiative de la commune, l'architecte en chef des monuments historiques s'y étant opposé ;
- Mme B... ne démontre pas la réalité des préjudices qu'elle allègue ni leur lien de causalité avec les travaux publics litigieux ; la quantité d'eau arrivant sur sa propriété est la même qu'avant les travaux, et les constats au dossier n'établissent pas une dégradation de sa propriété ; elle n'a jamais subi de chute d'ardoise dans sa propriété et n'est pas fondée à demander l'installation de grilles de protection pour empêcher de telles chutes, demande à laquelle s'opposerait en toute hypothèse l'architecte des bâtiments de France ;
- son comportement réfractaire à toutes les solutions qui lui ont été proposées caractérise une faute de la victime exonératoire de toute responsabilité de la commune ;
- l'expertise confiée par Mme B... à un agent immobilier pour déterminer une perte de valeur vénale de son prieuré est dépourvue de toute valeur probante ;
- c'est bien l'opposition de l'architecte en chef des monuments historiques qui ne lui a pas permis de modifier les travaux réalisés.
Par des mémoires, enregistrés le 12 novembre 2019 et le 4 mai 2020, le ministre de la culture conclut au rejet de la requête et des conclusions à fin d'appel en garantie présentées par la commune de Saint-Cyr-la-Roche.
Il soutient que :
- les conclusions présentées par la commune de Saint-Cyr-la-Roche tendant à l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à sa fin de non-recevoir sont irrecevables car présentées après le délai d'appel et dès lors que la commune est dépourvue d'intérêt pour demander l'annulation du jugement qui rejette la demande indemnitaire de Mme B... ;
- les premiers juges ont retenu à juste titre que la commune était la personne publique juridiquement responsable dès lors qu'elle est propriétaire et maître de l'ouvrage en cause et que l'Etat n'en a ni la garde ni la charge courante de l'entretien ;
- Mme B... ne justifie pas d'un préjudice anormal et spécial lui ouvrant droit à une indemnisation ;
- la réalité et l'évaluation des préjudices allégués par Mme B... ne sont pas justifiées ;
- les sommes demandées par la requérante sont surévaluées ;
- le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article 681 du code civil est nouveau en appel ;
- à titre subsidiaire, les conclusions présentées par la commune tendant à ce que l'Etat la garantisse des condamnations prononcées à son encontre ne pourront qu'être rejetées faute pour la commune d'établir qu'elle dispose d'un droit propre à engager la responsabilité de l'Etat et de démontrer l'existence d'une faute commise par ses services ;
- la responsabilité de l'Etat ne saurait être engagée du fait du comportement de l'architecte en chef des monuments historiques qui n'agissait pas, en l'espèce, en tant que représentant de l'Etat.
Par ordonnance du 1er décembre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 29 janvier 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme G... A...,
- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Courtet-Gout représentant Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... est propriétaire des parcelles cadastrées section B n° 231, 232, 234 et 235 sur le territoire de la commune de Saint-Cyr-la-Roche (Corrèze), son habitation ainsi qu'une cour et différents bâtiments annexes étant situés sur cette dernière parcelle. Ces parcelles jouxtent l'église Sainte-Julitte, implantée sur la place du Chanoine D... et classée au titre des monuments historiques, sur trois de ses façades. Cet édifice a fait l'objet d'importants travaux de restauration, portant notamment sur la mise en place de gouttières de récupération des eaux pluviales et de descentes d'eau, réceptionnés en mai 2013. Mme B... relève appel du jugement du 29 novembre 2018 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à la condamnation de la commune de Saint-Cyr-la-Roche à réparer les dommages qu'elle estime avoir subis à la suite de ces travaux.
2. Même en l'absence de faute, le maître d'ouvrage ainsi que, le cas échéant, le maître d'œuvre et l'entrepreneur chargés des travaux sont responsables vis-à-vis des tiers des dommages causés à ceux-ci par l'exécution de travaux publics, à moins que ces dommages ne soient imputables à un cas de force majeure ou à une faute de la victime. Il appartient au tiers à une opération de travaux publics qui entend obtenir réparation des dommages qu'il estime avoir subis à cette occasion d'établir le lien de causalité entre cette opération et les dommages invoqués. Ces tiers ne sont pas tenus de démontrer le caractère grave et spécial du préjudice qu'ils subissent lorsque le dommage présente un caractère accidentel.
3. Il résulte de l'instruction que les travaux réalisés en 2013 sur l'église Sainte-Julitte pour une rénovation totale de la toiture ont notamment consisté en la pose de gouttières, destinées à récupérer les eaux pluviales se déversant sur la toiture de l'ouvrage, reliées à quatre descentes d'eau, afin d'éviter le rejaillissement des eaux pluviales sur les parements inférieurs de l'édifice construit au XVe siècle. Deux de ces descentes d'eau ont été installées sur la face Nord de l'église, que jouxte la parcelle B n°232, et les deux autres descentes ont été installées sur la face Sud de l'ouvrage, contiguë à la parcelle B n°235 où se trouve le manoir. La requérante fait valoir que, faute de raccordement de ces descentes d'eau à un dispositif de collecte des eaux pluviales, les eaux en provenant se déversent directement sur ses parcelles. Mme B... soutient que ces travaux ont entraîné une modification du ruissellement des eaux pluviales, les débits d'eau étant désormais concentrés sur quatre points d'impact correspondant à l'arrivée des descentes d'eau. Elle affirme que les écoulements tels que résultant des travaux en cause ont dégradé la cour, la salle de jeux et les sous-sols de son habitation, et sollicite la réparation du préjudice de jouissance et du préjudice financier lié à la perte de valeur vénale de son immeuble en ayant, selon elle, résulté.
4. Il résulte cependant de l'instruction que les travaux en cause n'ont aucunement modifié le volume d'eaux de ruissellement se déversant sur les parcelles appartenant à la requérante et ne peuvent ainsi, selon une note établie le 22 octobre 2014 par un bureau d'architectes, être à l'origine des phénomènes d'inondation que la requérante leur impute. Mme B..., qui ne produit aucun élément de nature à remettre en cause cette analyse technique, ni d'ailleurs aucune pièce permettant de comparer l'état de sa propriété antérieurement et postérieurement aux travaux en cause, ne démontre pas l'existence d'un lien de causalité entre ces travaux et le dommage allégué. Au demeurant, il résulte de l'instruction qu'alors que la mise en place du système d'écoulement des eaux pluviales litigieux a eu pour finalité de conserver un monument historique et que les caractéristiques de l'édifice ne permettaient pas d'envisager une évacuation des eaux sur la Place du Chanoine D..., la requérante a refusé toute solution de collecte des eaux pluviales provenant des descentes d'eau litigieuses, notamment l'installation de bacs de collecte ou encore de canalisations destinées à relier ces descentes d'eau au réseau public de collecte des eaux pluviales via sa propriété, dont il n'est pas établi qu'elles auraient entraîné une perte de valeur de l'immeuble. Il s'ensuit que le dommage allégué trouve son origine directe et exclusive dans le refus de Mme B..., qui doit être regardé dans les circonstances de l'espèce comme constituant une faute de la victime de nature à exonérer la commune de toute responsabilité.
5. Il résulte de ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent, par suite, qu'être rejetées. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées sur le même fondement par la commune de Saint-Cyr-la-Roche.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Saint-Cyr-la-Roche au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B..., à la commune de Saint-Cyr-la-Roche et à la ministre de la culture. Copie en sera adressée à M. C... F... et au préfet de la région Nouvelle-Aquitaine.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
Mme Kolia Gallier, conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2021.
La rapporteure,
Marie-Pierre Beuve A...
La présidente,
Catherine Girault
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la préfète de la Corrèze en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX00312