le 21 janvier 2014.
Sous le n° 1900357, M. G... D..., Mme O... D..., M. N... A..., M. R... A..., M. H... A..., Mme P... A..., M. B... A..., Mme I... A..., M. J... A... et Mme E... A..., petits-enfants de F... D..., ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde à leur verser une somme globale de 100 000 euros en réparation de leur préjudice d'affection.
Par un jugement nos 1700558, 1900357 du 24 octobre 2019, le tribunal a condamné
le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde à verser à M. L... D..., Mme Q... D...
et Mme K... M... les sommes de 5 200 euros en leur qualité d'ayants droit et
de 2 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection, et à M. G... D..., Mme O... D..., M. N... A..., M. R... A..., M. H... A..., Mme P... A..., M. B... A..., Mme I... A..., M. J... A... et Mme E... A... une somme globale
de 10 000 euros au titre de leur préjudice d'affection.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 décembre 2019 et des mémoires enregistrés
le 23 décembre 2020 et le 23 décembre 2021, M. L... D..., Mme Q... D... et Mme K... M..., représentés par la SELARL Dutin, demandent à la cour :
1°) de réformer ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde à leur verser les sommes
de 49 000 euros en leur qualité d'ayants droit, de 3 875 euros au titre des frais d'obsèques et
de 16 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde une somme
de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- les petits-enfants ont pris acte du jugement et n'entendent pas interjeter appel ;
- comme l'a conclu l'expert missionné par la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), le décès résulte d'un défaut de prise en charge de l'insuffisance cardiaque que présentait la patiente, et cette faute est à l'origine d'une perte de chance de survie de 40 % ;
- le déficit fonctionnel temporaire total du 7 au 21 janvier 2014 doit être indemnisé dès lors qu'il a été retenu par l'avis de la CCI du 23 mars 2016, dont l'assureur du centre hospitalier avait accepté les termes ; ce préjudice doit être évalué à 1 000 euros et indemnisé intégralement dès lors que l'expert n'a conclu à aucun abattement ;
- compte tenu des difficultés respiratoires, de la désorientation et des œdèmes
des membres inférieurs durant de longs jours, les souffrances endurées doivent être indemnisées à hauteur de 30 000 euros ;
- leur mère, qui était autonome avant son hospitalisation et lucide quant à l'aggravation de son état de santé, a pu ressentir ses forces la quitter ; le préjudice d'angoisse de mort imminente doit être indemnisé à hauteur de 18 000 euros ;
- dès lors que le décès est en lien avec une négligence du service hospitalier, ils n'ont pas à supporter les frais d'obsèques, et sollicitent le remboursement intégral de la somme
de 3 875 euros, à raison de 1 291,60 euros chacun ;
- le préjudice d'affection doit être fixé à 16 000 euros pour chacun d'eux, car ils se sont trouvés particulièrement démunis devant l'absence de prise en charge de leur mère et ont dû attendre l'expertise pour connaître les raisons du décès.
Par un mémoire en défense enregistré le 25 mars 2020, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut au rejet de toute demande d'indemnisation qui serait le cas échéant formulée à son encontre.
Il fait valoir que :
- les manquements retenus par l'expert engagent la responsabilité pour faute du centre hospitalier ;
- la part du dommage non prise en compte au titre de la perte de chance de survie relève de l'état antérieur de Mme D... et n'ouvre pas droit à une indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Par des mémoires en défense enregistrés le 30 novembre 2020 et les 20 septembre
et 8 décembre 2021, le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, représenté par Me Le Prado, conclut au rejet de la requête et des demandes de la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime et, par la voie de l'appel incident, demande à la cour de réduire
les indemnités allouées par le tribunal.
Il fait valoir que :
- les requérants ne contestent pas le taux de perte de chance applicable à l'indemnisation des préjudices ;
- c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les demandes relatives au déficit fonctionnel temporaire au motif que l'état de santé de Mme D... nécessitait son hospitalisation ;
- l'évaluation des souffrances endurées à 13 000 euros avant application du taux
de perte de chance est excessive et doit être réduite au regard de la jurisprudence allouant
de 7 500 à 10 000 euros pour des souffrances évaluées à 5 sur 7 ;
- comme l'a retenu le tribunal, rien n'établit que Mme D... aurait eu conscience de sa fin prochaine, et en admettant qu'un préjudice d'angoisse de mort imminente puisse être retenu, l'indemnité allouée ne saurait excéder 400 euros après application du taux de perte de chance ;
- dès lors qu'une somme de 3 000 euros a été allouée par une cour administrative d'appel à des enfants majeurs du fait du décès de leur père âgé de 71 ans, l'évaluation
du préjudice d'affection de chacun des requérants à 6 000 euros par les premiers juges,
soit 2 000 euros après application du taux de perte de chance, est excessive ;
- le préjudice financier constitué par les frais d'obsèques, réglés par un virement émanant du compte bancaire de Mme D... après son décès, n'a pas pu faire naître dans le patrimoine de l'intéressée un droit transmis à ses héritiers, et les frais en cause ne sont pas restés à la charge des requérants ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a rejeté la demande présentée à ce titre ;
- la CPAM de la Charente-Maritime, qui a été mise en mesure de faire valoir ses droits en première instance et a indiqué par un mémoire enregistré le 3 octobre 2018 qu'elle n'avait aucune créance à faire valoir, n'est pas recevable à demander le remboursement de ses débours pour la première fois en appel ;
- par erreur, il a été versé un total de 143 500 euros au lieu de 22 700 euros aux consorts D..., auxquels il appartiendra de régulariser la situation dans les meilleurs délais.
Par un mémoire enregistré le 9 septembre 2021, la CPAM de la Charente-Maritime demande à la cour de condamner le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde à lui verser
les sommes de 11 095,49 euros en remboursement de ses débours et de 1 098 euros au titre
de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Par ordonnance du 8 décembre 2021, la clôture d'instruction a été fixée
au 10 janvier 2022.
Un mémoire présenté pour la CPAM de la Charente-Maritime a été enregistré
le 21 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code monétaire et financier ;
- le code de la santé publique ;
- le code de la sécurité sociale ;
- l'arrêté du 7 mai 2015 pris pour l'application de l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,
- et les observations de Me Dutin, représentant les consorts D....
Considérant ce qui suit :
1. F... D..., née en 1926, était suivie depuis 2005 par le service de cardiologie du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde où elle avait été hospitalisée à deux reprises, en 2005 et 2012, pour la décompensation d'une insuffisance cardiaque. Le 7 janvier 2014, elle a été adressée par son médecin traitant au service des urgences de cet établissement pour une altération sévère de son état général depuis quinze jours, avec asthénie et anorexie. La patiente a été prise en charge dans le service de chirurgie digestive où le diagnostic de fistule vésicale évoqué dans le service des urgences n'a pas été retenu, et où elle a été réhydratée dans l'attente de son transfert dans le service de gériatrie, effectué le 14 janvier 2014. A cette date,
F... D..., dont l'état s'était progressivement dégradé avec l'apparition d'une dyspnée
et d'œdèmes, présentait une désorientation temporo-spatiale et une insuffisance cardiaque globale avec un syndrome œdémateux généralisé. Le diagnostic de décompensation cardiaque
a été établi dans le service de gériatrie, et un traitement a été mis en place. F... D...
est décédée à l'hôpital le 21 janvier 2014 des suites de l'insuffisance cardiaque.
2. La commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI) de la région Limousin, saisie par deux des cinq enfants S... F... D..., a organisé une expertise, réalisée le 18 décembre 2015, dont le rapport a conclu à un retard de prise en charge, le service de chirurgie digestive s'étant abstenu de contacter le service de cardiologie et de rechercher un diagnostic après avoir exclu le problème digestif, alors que les hospitalisations antérieures étaient notées dans le recueil de données de l'infirmière et que la patiente, hypertendue et en fibrillation auriculaire, suivait à son admission à l'hôpital un traitement diurétique et anti-hypertenseur. Compte tenu de l'âge de F... D... (87 ans) et de son état antérieur lourd avec deux hospitalisations pour décompensation cardiaque, l'expert a estimé que cette faute était à l'origine d'une perte de chance de 40 % d'éviter le décès. La CCI ayant rendu le 23 mars 2016 un avis favorable à une indemnisation par l'assureur du centre hospitalier, ce dernier a présenté une offre de transaction qui a été acceptée par deux des enfants S... F... D.... Les trois autres, M. L... D..., Mme Q... D... et Mme K... D... épouse M..., ont demandé au tribunal administratif de Limoges de condamner le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde à leur verser les sommes de 49 000 euros en leur qualité d'ayants droit, de 3 875 euros au titre des frais d'obsèques et de 16 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection. Par un jugement du 24 octobre 2019, le tribunal, après application d'un taux de perte de chance de 40 %, a condamné l'établissement hospitalier à leur verser les sommes de 5 200 euros en leur qualité d'ayants droit et de 2 000 euros chacun au titre de leur préjudice d'affection, et a alloué une somme globale
de 10 000 euros aux dix petits-enfants de la défunte au titre de leur préjudice d'affection,
soit 1 000 euros chacun, outre une somme globale de 750 euros au titre des frais générés par la requête des petits-enfants. M. L... D..., Mme Q... D... et Mme K... D... épouse M... relèvent appel de ce jugement en ce qui les concerne, en tant qu'il a rejeté le surplus de leur demande. Par la voie de l'appel incident, le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde demande à la cour de réduire les montants des sommes allouées aux enfants S... F... D... par les premiers juges.
Sur le principe de la créance des consorts D... :
3. Ni la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, ni le taux de perte de chance de 40 % retenus par les premiers juges ne sont contestés. Dans les circonstances de l'espèce et au regard des causes du décès exposées ci-dessus, l'ONIAM peut être mis hors de cause comme il le demande.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices de F... D... entrés dans sa succession :
4. En premier lieu, les requérants ne critiquent pas dans leurs écritures l'appréciation du tribunal selon laquelle le déficit fonctionnel temporaire total retenu par l'expert pour la période du 7 au 21 janvier 2014 n'est pas en relation directe et certaine avec les manquements du centre hospitalier dès lors que F... D... aurait dû être hospitalisée durant cette période, même si elle avait bénéficié d'une prise en charge adaptée dès son admission à l'hôpital. En se bornant à faire valoir que l'avis de la CCI et la proposition d'indemnisation de l'assureur du centre hospitalier, lesquels ne liaient pas le juge, avaient retenu ce déficit fonctionnel temporaire comme indemnisable, ils ne contestent pas utilement le rejet de la demande présentée à ce titre.
5. En deuxième lieu, les souffrances endurées ont été évaluées à 5 sur 7 pour des douleurs abdominales du fait de l'infiltration œdémateuse progressive jusqu'à un tableau d'anasarque, ainsi que pour des difficultés respiratoires. Les premiers juges ont fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à 13 000 euros et en condamnant le centre hospitalier
à verser à ce titre la somme de 5 200 euros après application du taux de perte de chance.
6. En troisième lieu, les pièces du dossier médical citées par l'expertise font apparaître que F... D... présentait un état d'asthénie et d'aboulie lorsqu'elle a été adressée à l'hôpital par son médecin traitant, que le 8 janvier 2014, un " état mental bon " a été noté par l'infirmière le matin, qu'à son arrivée dans le service de gériatrie le 14 janvier, la patiente présentait une désorientation temporo-spatiale, et que le 20 janvier, elle était somnolente et non réveillable. Ainsi, comme l'ont relevé les premiers juges, aucun élément du dossier ne permet d'établir qu'elle aurait pris conscience d'une dégradation progressive et anormale de son état de santé et de sa fin prochaine. Les consorts D... ne contestent pas utilement le rejet de leur demande relative à un préjudice d'angoisse de mort imminente en se bornant à alléguer que leur mère était lucide quant à l'aggravation de son état de santé et qu'elle avait pu ressentir ses forces la quitter.
En ce qui concerne les frais d'obsèques :
7. Aux termes de l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier : " La personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt peut obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur les comptes de paiement du défunt, dans la limite du solde créditeur de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires, auprès des banques teneuses desdits comptes, dans la limite d'un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l'économie. / (...). " Aux termes de l'article unique de l'arrêté du 7 mai 2015 pris
pour l'application de ces dispositions : " Le montant mentionné au premier alinéa de
l'article L. 312-1-4 du code monétaire et financier est fixé à 5 000 euros. (...) / Les montants mentionnés au présent article sont revalorisés annuellement en fonction de l'indice INSEE des prix à la consommation hors tabac. "
8. La circonstance que le règlement des frais d'obsèques d'un montant de 3 875 euros est intervenu par virement du compte bancaire de la défunte n'est pas de nature, alors qu'une telle pratique est autorisée par les dispositions précitées, à remettre en cause, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, le préjudice subi par les héritiers du fait de la réduction à due concurrence de l'héritage qui leur est transmis. Par suite, les consorts D... sont fondés à demander
le remboursement de ces frais, dans la limite du taux de perte de chance qui s'applique
à l'ensemble des préjudices nés du décès, soit une somme de 1 550 euros, à verser à la succession de F... D....
En ce qui concerne le préjudice d'affection :
9. Les premiers juges ont fait une appréciation du préjudice d'affection des enfants S... F... D... qui n'est ni insuffisante, ni excessive, en l'évaluant à 5 000 euros chacun, soit 2 000 euros après application du taux de perte de chance.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le jugement du tribunal administratif de Limoges nos 1700558, 1900357 du 24 octobre 2019 doit être réformé en tant seulement qu'il a rejeté la demande des consorts D... relative aux frais d'obsèques, et que l'appel incident du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde doit être rejeté.
Sur la demande de la CPAM de la Charente-Maritime :
11. Une caisse primaire d'assurance-maladie ayant été mise à même de faire valoir ses droits devant le tribunal administratif mais ayant omis de demander en temps utile le remboursement des frais exposés antérieurement au jugement de ce tribunal n'est plus recevable à le demander devant le juge d'appel. La CPAM de la Charente-Maritime, appelée en cause par les premiers juges, a indiqué devant le tribunal, par un mémoire enregistré le 20 octobre 2018, qu'elle n'avait aucune créance à faire valoir. Par suite, il y a lieu de faire droit à la fin
de non-recevoir opposée par le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, tirée de l'irrecevabilité de sa demande de remboursement de ses débours présentée pour la première fois en appel. Par voie de conséquence, les conclusions de la caisse relatives à l'indemnité forfaitaire de gestion ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge du centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ONIAM est mis hors de cause.
Article 2 : Le centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde est condamné à verser à la succession de F... D... une somme de 1 550 euros au titre des frais d'obsèques.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Limoges nos 1700558, 1900357 du
24 octobre 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. L... D..., représentant unique pour l'ensemble des requérants, au centre hospitalier de Brive-la-Gaillarde, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 17 février 2022.
La rapporteure,
Anne C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 19BX04947