Procédure devant la cour :
I - Par une requête enregistrée le 3 novembre 2021, sous le n° 21BX04120, le préfet
de la Haute-Garonne demande à la cour d'annuler le jugement du tribunal administratif de Toulouse du 13 octobre 2021 en tant qu'il a annulé les arrêtés du 5 août 2020 en tant qu'ils fixent le Sénégal comme pays de renvoi de Mme E... et le Mali comme pays de renvoi
de M. B..., et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à l'avocat
de M. B... et Mme E... en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 .
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que les arrêtés
du 5 août 2020 auraient porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des requérants et méconnu l'intérêt supérieur de leur enfant, alors que les arrêtés prévoient un renvoi de chacun des parents dans son pays d'origine ou tout autre pays dans lequel il est admissible, et qu'aucun obstacle à ce que la famille s'installe au Sénégal, dont leur enfant a la nationalité, ou au Mali n'est invoqué.
Par mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2022, Mme E... et M. B..., représentés par Me Brel, concluent au rejet de la requête, et demandent à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- le signataire de la requête du préfet n'était pas compétent ;
- le préfet n'établit pas qu'ils seraient respectivement admissibles dans le pays de leur concubin ;
- les décisions auront pour effet de scinder la famille binationale qu'ils constituent et sont entachées d'erreur manifeste d'appréciation ;
- elles méconnaissent l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- ils ont donné naissance le 9 juillet 2021 à une fille pour laquelle ils ont engagé des démarches de protection contre le risque d'excision qu'elle encourt tant au Mali qu'au Sénégal.
II. Par une requête enregistrée le 3 novembre 2021, sous le n° 21BX04124, le préfet de la Haute-Garonne demande à la cour d'ordonner le sursis à exécution du même jugement en tant qu'il a annulé les arrêtés du 5 août 2020 en tant qu'ils fixent le Sénégal comme pays de renvoi de Mme E... et le Mali comme pays de renvoi de M. B....
Il soutient que les conditions de l'obtention du sursis à exécution prévues par l'article R.811-15 du code de justice administrative sont remplies dès lors que sa requête au fond contient des moyens sérieux de nature à entraîner l'annulation du jugement et le rejet des conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants.
Par mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2022, Mme E... et M. B..., représentés par Me Brel, concluent au rejet de la requête, et demandent à la cour de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- le signataire de la requête du préfet n'était pas compétent ;
- les moyens de cette requête ne sont pas sérieux ;
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant malien entré en France en 2013 qui s'était vu refuser le séjour par un arrêté du préfet du Rhône du 9 octobre 2014, a sollicité en 2018 du préfet de
la Haute-Garonne un titre de séjour sur le fondement des dispositions des articles L.313-11 (7°) et L.313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et en qualité de salarié. Mme E..., ressortissante sénégalaise entrée en France en 2012 selon ses dires, qui a eu avec lui un fils, C..., né le 8 novembre 2014, a présenté au même préfet en 2019 les mêmes demandes. Par deux arrêtés du 5 août 2020, le préfet de la Haute-Garonne a rejeté leurs demandes, prononcé à l'encontre de M. B... et Mme E... une obligation de quitter le territoire français, a fixé notamment le Mali et le Sénégal comme pays de renvoi et a fait interdiction à M. B... de revenir sur le territoire français pour une durée de six mois. Le préfet relève appel du jugement du 13 octobre 2021 en tant que le tribunal administratif de Toulouse a annulé les décisions fixant les pays de renvoi contenues dans ces arrêtés, et demande à la cour d'en ordonner le sursis à exécution dans la même mesure.
Sur la jonction :
2. Les requêtes nos 21BX04120 et 21BX04124 du préfet de la Haute-Garonne tendent, pour l'une, à l'annulation et, pour l'autre, au sursis à exécution du même jugement. Il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt.
Sur le bien-fondé de l'annulation partielle des pays de renvoi :
3. Pour prononcer l'annulation des décisions fixant les pays de renvoi prises par le préfet de la Haute-Garonne " en tant qu'elles rendent possible l'éloignement de Mme E... et de M. B... à destination de deux pays différents ", le tribunal administratif de Toulouse a estimé que " l'arrêté du 5 août 2020 du préfet de la Haute-Garonne portant refus d'admission au séjour de Mme E... et obligation de quitter le territoire français dans un délai de 30 jours prévoit en son article 2 que l'intéressée pourra, à l'expiration de ce délai, être reconduite d'office à destination de son pays dont elle possède la nationalité, le Sénégal, ou de tout pays où elle est légalement admissible. L'arrêté similaire du même jour concernant son concubin M. B... prévoit que ce dernier pourra être reconduit à destination du pays dont il possède la nationalité, le Mali, ou de tout pays où il est légalement admissible. Chacun de ces deux arrêtés, faute de limiter l'éloignement des intéressés vers un pays où ils sont tous deux légalement admissibles avec leur enfant, permet de les renvoyer dans un pays différent, ce qui aurait nécessairement pour effet de séparer, même provisoirement, leur enfant de l'un de ses parents et de rompre l'unité de la cellule familiale. Dans cette mesure, l'exécution de la décision fixant le pays de renvoi de chacun des membres du couple méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ainsi que celles de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
4. Aux termes de l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors applicable : " L'étranger qui fait l'objet d'une mesure d'éloignement est éloigné : /1º A destination du pays dont il a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu le statut de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; /2º Ou, en application d'un accord ou arrangement de réadmission communautaire ou bilatéral, à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; /3º Ou, avec son accord, à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".
5. Le préfet soutient qu'aucun élément ne fait obstacle à ce que les intéressés désignent le pays vers lequel ils souhaiteraient être renvoyés ensemble, et qu'il n'est pas fait état d'obstacle à ce que la famille s'établisse soit au Mali, soit au Sénégal, où il n'est pas établi que M. B..., père d'un enfant sénégalais, ne serait pas admissible. S'il est exact que les intimés n'avaient pas justifié de tels obstacles, et ne peuvent utilement se prévaloir de la naissance, postérieure aux arrêtés en litige, d'une fille pour laquelle ils auraient entamé des démarches de protection contre un risque d'excision, le préfet ne conteste pas que les termes de ses arrêtés permettaient de reconduire les intéressés dans deux pays différents, ce qui emportait séparation de leur enfant pour l'un ou l'autre des concubins.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Haute-Garonne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a retenu une méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant pour annuler, dans la seule mesure où elles permettraient un renvoi dans deux pays différents, les décisions fixant les pays de renvoi de M. B... et de Mme E... contenues dans les arrêtés du 5 août 2020.
Sur la demande de sursis à exécution :
7. Le présent arrêt statuant au fond sur les conclusions du préfet de la Haute-Garonne tendant à l'annulation partielle du jugement du 13 octobre 2021 du tribunal administratif
de Toulouse, il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 21BX04124 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement dans la même mesure.
Sur les frais liés au litige :
8. Mme E... et M. B... ont obtenu l'aide juridictionnelle totale par décision
du 27 janvier 2022. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Haute-Garonne n° 21BX04120 est rejetée.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n°21BX04124 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Toulouse.
Article 3 : L'Etat versera à Me Brel une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. B... et Mme E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. A... B..., à Mme F... E... et à Me Brel. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Garonne.
Délibéré après l'audience du 25 janvier 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,
M. Olivier Cotte, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 17 février 2022.
La présidente-assesseure,
Anne Meyer
La présidente, rapporteure,
Catherine D...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 21BX04120, 21BX04124