Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 20 mars 2020, M. B..., représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 14 février 2020 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 14 janvier 2020 ;
3°) d'enjoindre à l'Etat de prendre en charge sa demande d'asile et de l'enregistrer en procédure normale ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision méconnaît les articles 4, 26 et 29 du règlement UE n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'elle omet de mentionner les modalités de prolongation du délai de transfert en cas de recours contentieux ;
- il n'a pas été reçu au cours d'un entretien, ce qui méconnaît l'article 5 du règlement n° 604/2013 ; l'agent qui a conduit cet entretien, dont l'identité n'est pas établie, n'était pas qualifié ; l'entretien présente un caractère incomplet ;
- il n'a pas été destinataire de la note d'information prévue aux articles L. 741-1 et L. 742-1 à L. 742-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; une telle omission entache la procédure d'irrégularité au regard de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- la décision attaquée est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des articles 3 et 17 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors qu'il ne peut bénéficier d'un traitement approprié à son état de santé en Allemagne ;
- elle est illégale faute pour le préfet de s'être assuré de la possibilité d'une prise en charge médicale après le transfert ;
- son transfert en Allemagne, où sa demande d'asile a déjà été rejetée et où il fait l'objet d'une mesure d'expulsion, conduira à son renvoi en Afghanistan où il sera exposé à des traitements prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et contraires à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- compte tenu de la pandémie mondiale, il n'existe plus de perspective sérieuse d'éloignement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 août 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés et renvoie au mémoire en défense qu'elle a produit devant le tribunal.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... E...,
- et les observations de Me H..., représentant M. B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant afghan né le 21 mars 1988, est entré en France, selon ses déclarations, le 14 août 2019 et a sollicité le bénéfice de l'asile à la préfecture de police de Paris le 27 août 2019. La consultation des données de l'unité centrale Eurodac lors de l'instruction de sa demande ayant révélé que ses empreintes avaient déjà été relevées en Allemagne, la préfète de la Gironde, département dans lequel l'intéressé a été déplacé, a décidé son transfert aux autorités allemandes par une décision du 14 janvier 2020. M. B... relève appel du jugement n° 2000357 du 14 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté. La préfète a informé la cour que M. B... ne s'étant pas présenté à ses rendez-vous, il a été déclaré en fuite, et que les autorités allemandes ont été informées que le délai d'exécution de la mesure a été porté à 18 mois.
2. Le requérant ne peut utilement soutenir que la décision attaquée méconnaîtrait les articles 4, 26 et 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 faute de mentionner les modalités de prolongation du délai de transfert en cas de recours contentieux, dès lors que ces dispositions n'imposent pas la présence d'une telle mention dans une décision de transfert.
3. Aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013: " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. / (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. B... a été reçu le 29 août 2019 dans les locaux de la préfecture de police de Paris afin de bénéficier de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées. Si l'intéressé soutient que cet entretien présente un caractère incomplet, il n'indique pas en quoi il aurait été empêché de présenter tous les éléments utiles à l'appréciation de sa situation.
5. M. B... soutient que la qualification de l'agent ayant conduit l'entretien n'est pas établie et ne peut être vérifiée en l'absence de mention de l'identité de ce dernier sur le compte-rendu. Toutefois, aucune disposition du règlement (UE) n° 604/2013 n'impose que le compte-rendu de l'entretien individuel mentionne l'identité de l'agent de préfecture l'ayant conduit. Dès lors, la circonstance que le nom ou la qualité de cet agent ne figure pas sur ce compte-rendu n'est pas de nature à démontrer, à elle seule, que l'entretien individuel n'aurait pas été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. M. B... n'apporte, par ailleurs, aucun élément permettant de contester les mentions portées sur le compte-rendu de l'entretien qui indiquent que l'agent de la préfecture de police de Paris concerné était bien qualifié.
6. Si le requérant soutient que la décision attaquée a été prise au terme d'une procédure irrégulière faute pour la préfète de lui avoir communiqué la note d'information prévue aux articles L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et aux articles L. 742-1 à L. 742-6 du même code, un tel moyen ne peut qu'être écarté dès lors que ces dispositions ne prévoient pas la remise d'une telle note à l'étranger qui sollicite l'asile en France. A supposer que l'intéressé ait entendu se prévaloir de la méconnaissance de l'article R. 741-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, un tel article est seulement applicable dans le cas où l'étranger se présente en personne auprès de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, des services de police ou de gendarmerie ou de l'administration pénitentiaire en vue de demander l'asile. Or, tel n'est pas le cas de M. B... qui a sollicité le bénéfice de l'asile auprès des services de la préfecture de police de Paris. Par suite, ce moyen ne peut qu'être écarté, ainsi que celui tiré de la méconnaissance de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
7. Contrairement à ce que soutient M. B..., il ressort des termes de la décision attaquée que la préfète de la Gironde a procédé à un examen particulier de sa situation.
8. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du
26 juin 2013 : " 1. Les Etats membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux (...). La demande est examinée par un seul Etat membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) 2. Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'Etat membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entrainent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'Etat membre procédant à la détermination de l'Etat membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre Etat membre peut être désigné comme responsable ". L'article 17 du même texte prévoit : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) ". Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
9. M. B... soutient souffrir de céphalées sévères, de douleurs abdominales ainsi que d'un syndrome de stress post-traumatique et avoir entrepris en France un traitement médical dont il n'avait pu bénéficier en Allemagne. Il justifie, par les pièces qu'il a produites, de deux passages aux urgences au mois de décembre 2019 en raison d'épisodes de céphalées paroxystiques hyperalgiques, dont il avait connu des épisodes similaires quatre ans auparavant, et en raison d'une rectorragie de faible abondance sans signe de gravité ainsi que du diagnostic récent d'une " AFV droite ". Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ne pourrait bénéficier d'une prise en charge médicale adaptée à ses besoins en Allemagne, où il a d'ailleurs commencé une prise en charge psychologique ainsi qu'en témoigne l'attestation d'un psychologue allemand du 25 juillet 2019 produite au dossier. Dans ces conditions, ainsi que le premier juge l'a retenu, le moyen tiré de l'illégalité de la décision attaquée faute pour le préfet de s'être assuré de la possibilité d'une prise en charge médicale en Allemagne ne peut qu'être écarté, ainsi que ceux tirés de l'erreur manifeste d'appréciation, compte tenu de l'état de santé du requérant, au regard des articles 3 et 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. Il ressort des pièces du dossier que la demande d'asile de M. B... a été rejetée le 31 mars 2017 par les autorités allemandes, que le recours qu'il a formé contre cette décision a été rejeté par le tribunal administratif de Munich par un jugement du 5 octobre 2018 et qu'une décision d'éloignement a été édictée à son encontre en Allemagne. M. B... soutient qu'en cas de transfert dans ce pays il sera nécessairement renvoyé en Afghanistan où il encourt des risques. Toutefois, la décision attaquée a seulement pour objet de renvoyer l'intéressé en Allemagne et non dans son pays d'origine. Par ailleurs, l'Allemagne, Etat membre de l'Union européenne, est partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... ne serait pas en mesure de faire valoir auprès des autorités allemandes, à l'occasion d'une éventuelle procédure d'éloignement, tout élément nouveau relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut en Afghanistan, ni que les autorités allemandes n'évalueront pas d'office les risques réels de mauvais traitements auxquels il serait exposé en cas de renvoi dans son pays d'origine. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce qu'en ne mettant pas en oeuvre la clause dérogatoire prévue à l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, la préfète de la Gironde aurait commis une erreur manifeste d'appréciation, et méconnu l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.
11. Enfin, M. B... ne saurait utilement se prévaloir de la circonstance, postérieure à la décision attaquée, qu'il n'existerait pas de perspective sérieuse d'éloignement en raison de la pandémie mondiale.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à se plaindre que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Il y a lieu, par suite, de rejeter sa requête y compris les conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme G... F..., présidente,
Mme A... D..., présidente-assesseure,
Mme C... E..., conseillère.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
La rapporteure,
Kolia E...
La présidente,
Catherine F...
Le greffier,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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20BX01054