Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 mars 2020, M. D... C..., représenté par
Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 9 décembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 novembre 2019 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un formulaire de demande d'asile et une attestation de demandeur d'asile en " procédure normale " ou, à défaut, de réexaminer sa situation dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision attaquée a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 dès lors que, d'une part, si un interprète en langue peul est intervenu par téléphone pour la notification de l'arrêté de transfert le
19 novembre 2019 et pour la notification des brochures A et B et l'entretien individuel le
15 juillet 2019, la durée de ces interventions, pour la première de 6 minutes et pour la seconde de 17 minutes, est trop courte pour considérer qu'il a reçu une notification effective des volumineuses informations dont il est en droit de disposer et que, d'autre part, il s'est vu remettre les brochures en langue française qu'il ne parle pas et ne lit pas ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de l'article 17 du règlement n° 604/2013 dès lors qu'en cas de retour en Italie, il ne pourra pas bénéficier d'une procédure de réexamen de sa demande d'asile dans les garanties procédurales exigées ni de conditions d'accueil suffisantes.
Par un mémoire enregistré le 5 juin 2020, M. D... C... a déclaré se désister de ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en " procédure normale ".
Par un mémoire en défense enregistré le 17 août 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. C..., qui a été transféré en Italie le 31 janvier 2020, n'est fondé.
M. D... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 23 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- la directive 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. D... C..., ressortissant guinéen né le 10 octobre 1993, est selon ses déclarations entré irrégulièrement en France le 4 juillet 2019. Il s'est présenté le
15 juillet 2019 à la préfecture des Yvelines pour y formuler une demande d'asile. Ayant constaté, au vu du résultat du relevé de ses empreintes décadactylaires, que l'intéressé avait sollicité l'asile en Italie le 24 février 2016, l'autorité préfectorale a adressé, le 22 juillet 2019, une demande de reprise en charge aux autorités italiennes, sur le fondement de l'article 18.1-d du règlement n° 604/2013, que lesdites autorités ont implicitement acceptée le 6 août 2019. Par un arrêté du 19 novembre 2019, le préfet de la Gironde a prononcé le transfert de M. C... aux autorités italiennes. M. C... relève appel du jugement du 9 décembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté.
Sur l'étendue du litige :
2. Par un mémoire enregistré le 5 juin 2020, M. C... a déclaré se désister de ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en " procédure normale ". Ce désistement partiel est pur et simple, rien ne s'oppose à ce qu'il en soit donné acte.
Sur le surplus des conclusions :
3. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un Etat membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement, et notamment : / a) des objectifs du présent règlement et des conséquences de la présentation d'une autre demande dans un Etat membre différent ainsi que des conséquences du passage d'un Etat membre à un autre pendant les phases au cours desquelles l'Etat membre responsable en vertu du présent règlement est déterminé et la demande de protection internationale est examinée ; / b) des critères de détermination de l'Etat membre responsable, de la hiérarchie de ces critères au cours des différentes étapes de la procédure et de leur durée, y compris du fait qu'une demande de protection internationale introduite dans un Etat membre peut mener à la désignation de cet Etat membre comme responsable en vertu du présent règlement même si cette responsabilité n'est pas fondée sur ces critères ; / c) de l'entretien individuel en vertu de l'article 5 et de la possibilité de fournir des informations sur la présence de membres de la famille, de proches ou de tout autre parent dans les Etats membres, y compris des moyens par lesquels le demandeur peut fournir ces informations ; / d) de la possibilité de contester une décision de transfert et, le cas échéant, de demander une suspension du transfert ; / e) du fait que les autorités compétentes des Etats membres peuvent échanger des données le concernant aux seules fins d'exécuter leurs obligations découlant du présent règlement ; / f) de l'existence du droit d'accès aux données le concernant et du droit de demander que ces données soient rectifiées si elles sont inexactes ou supprimées si elles ont fait l'objet d'un traitement illicite, ainsi que des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris des coordonnées des autorités visées à l'article 35 et des autorités nationales chargées de la protection des données qui sont compétentes pour examiner les réclamations relatives à la protection des données à caractère personnel. / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les Etats membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. / (...) ". Aux termes de l'article 5 du même règlement : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. / (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. C... s'est vu remettre, le 15 juillet 2019, le guide du demandeur d'asile ainsi que l'information sur les règlements communautaires, à savoir les brochures A " j'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de l'analyse de ma demande ' " et B " je suis sous procédure Dublin - qu'est-ce que cela signifie ' " en langue française. Les informations contenues dans ces documents ont été portées à sa connaissance par l'intermédiaire d'un interprète en langue peul qu'il a déclaré comprendre comme en atteste la mention figurant sur la page de garde de ces documents signée par l'intéressé ainsi que le résumé de l'entretien individuel, également signé par
M. C..., certifiant que le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires lui ont été remis. Il n'est à cet égard pas démontré que l'intéressé n'aurait pas été en capacité de comprendre les informations qui lui ont été délivrées et de faire valoir toutes observations utiles au cours de l'entretien, ainsi que cela ressort du compte rendu qui en a été établi, en dépit de la durée de cet entretien. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écarté.
5. En deuxième lieu, il n'est pas davantage démontré que M. C... n'aurait pas été en mesure de comprendre l'arrêté de transfert attaqué qui lui a été notifié par l'intermédiaire d'un interprète en langue peul.
6. En troisième lieu, aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". Selon l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
7. L'Italie étant membre de l'Union Européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la convention de Genève ainsi qu'à celles de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Cette présomption est toutefois réfragable lorsque qu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient à l'administration d'apprécier dans chaque cas, au vu des pièces qui lui sont soumises et sous le contrôle du juge, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités italiennes répondent à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
8. M. C... se prévaut de ce que les autorités italiennes sont confrontées à un afflux massif de migrants entraînant des difficultés tant pour traiter les demandes d'asiles que pour accueillir les demandeurs d'asile dans des conditions d'hébergement décentes. Toutefois, les pièces produites, notamment les conclusions d'un rapport de l'OSAR et du DRC du
12 décembre 2018 et celles d'un rapport de mission d'observation de l'association luxembourgeoise " Passerell " du mois de janvier 2019, ne permettent pas d'établir que les autorités italiennes étaient, à la date de l'arrêté attaqué, dans l'incapacité structurelle d'examiner sa demande d'asile dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile.
9. Il suit de là que le moyen tiré de ce que le préfet de la Gironde a commis une erreur manifeste d'appréciation en ne mettant pas en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par les dispositions de l'article 17 du règlement n°604/2013 doit être écarté.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 novembre 2019. Par voie de conséquence, le surplus de ses conclusions à fin d'injonction, d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles
L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il est donné acte du désistement des conclusions de la requête de M. C... tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer une attestation de demandeur d'asile en " procédure normale ".
Article 2 : Le surplus de la requête de M. C... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 19 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... B..., présidente-assesseure,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2020.
Le rapporteur,
Karine B...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01197 2