Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 21 décembre 2017 et 5 avril 2019, le département de Lot-et-Garonne, représenté par Me H..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 octobre 2017 en tant qu'il l'a condamné à verser à M. et Mme D... la somme totale de 23 000 euros et qu'il a mis les frais de l'expertise à sa charge ;
2°) de rejeter la demande présentée par les époux D... ;
3°) de mettre à la charge de M. et Mme D... le paiement de la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Le département soutient que :
- c'est, tout d'abord, à tort que le tribunal administratif a considéré que les époux D... subissaient des nuisances visuelles en raison de la construction d'un mur anti-bruit au droit de leur propriété, située à Villeneuve-sur-Lot ; en effet, ils ne pouvaient bénéficier d'un droit acquis à une vue permanente sur un horizon dégagé ; de plus, le rapport d'expertise nuance l'impact de cette construction dès lors qu'un lotissement était en tout état de cause prévu sur les parcelles voisines en litige, au droit de la construction des intimés, de sorte que l'occultation de la vue est moindre avec le mur anti-bruit, du fait de sa hauteur modérée, qu'elle ne l'aurait été avec de nouvelles maisons d'habitation ; la vue sur le village classé du coteau voisin n'est d'ailleurs pas masquée, alors même qu'il ne résulte pas de l'instruction qu'elle aurait présenté un caractère exceptionnel ;
- c'est également à tort que le tribunal a estimé que la construction de la déviation engendrait une pollution chimique émanant des gaz d'échappement des véhicules et des poussières générées par le trafic routier, le rapport d'expertise n'ayant pas retenu de telles nuisances, la déviation se situant en contrebas de la propriété en litige ; au surplus, la voie située immédiatement au droit de la propriété des époux D... a été reconfigurée en impasse de sorte que le trafic routier de proximité et les nuisances liées aux poussières et à la pollution ont été sensiblement diminués ;
- le caractère anormal et spécial du préjudice invoqué n'est pas établi au regard de la comparaison entre l'état antérieur et l'état de l'environnement après réalisation des travaux, celui-ci n'ayant pas été dégradé dans des proportions manifestes ; la seule combinaison de nuisances visuelles et de pollutions diverses, retenues par les premiers juges, ne permet pas d'en déduire que la déviation, qui ne constitue pas une autoroute mais une voie routière limitée à 70 km/h, causerait aux intéressés un préjudice anormal et spécial ; qui plus est, le caractère de spécialité du préjudice n'est pas davantage établi dès lors que de nombreuses autres habitations seraient susceptibles d'être impactées par la présence de la rocade ;
- les époux D... n'ont pas davantage apporté la preuve de l'existence d'un préjudice moral, si bien que les premiers juges ont retenu à tort l'indemnisation d'un tel chef de préjudice ;
- c'est ensuite à tort que le tribunal s'est fondé sur le rapport du sapiteur immobilier aux fins d'évaluer la dépréciation de la valeur vénale du bien des époux D..., ce rapport ne reposant sur aucun élément fiable et vérifiable, en l'absence d'indications sur la méthode d'évaluation retenue et de toute production d'éléments de comparaison pour établir la valeur du bien avant ouverture de la déviation ; de plus, la méthode par comparaison visiblement utilisée pour établir cette valeur après ouverture de la déviation est entachée d'un biais méthodologique, les déclarations d'intention d'aliéner ne constituant pas des termes de comparaison fiables ; en outre, cette évaluation du sapiteur prend en compte des nuisances sonores que le rapport de l'expert ne retient pas ; il n'a pas été tenu compte de l'évolution générale du prix de l'immobilier sur la région du Villeneuvois, laquelle a conduit à une baisse du prix médian de vente de l'ordre de 4 % sur les cinq dernières années ; la réalisation d'un mur de clôture par les époux D... ne saurait être prise en compte dans l'évaluation de leur préjudice matériel dès lors que rien ne démontre qu'il a été réalisé à raison de la présence de la rocade et qu'en tout état de cause, il ne s'agit pas d'un préjudice en lien direct et certain avec les travaux publics litigieux ; au demeurant, dès lors que les époux D... ne prévoyaient pas de vendre leur bien, le préjudice de perte de valeur vénale n'est qu'éventuel ;
- enfin, c'est donc à tort que le tribunal a mis à sa charge les frais de l'expertise ordonnée en référé ;
- en revanche, le jugement du tribunal administratif devra être confirmé en ce qu'il rejette la demande des époux D... au titre de prétendus troubles de voisinage pendant les travaux de construction de la rocade et de prétendues nuisances sonores ;
- statuant dans le cadre de l'effet dévolutif, la cour devra rejeter la demande des époux D... dès lors que le caractère anormal et spécial des préjudices invoqués, que ce soit pendant ou à l'issue des travaux, n'est pas établi ; ainsi, aucune pièce de l'instruction ne corrobore l'allégation de nuisances pendant la phase de travaux, qui n'a pas duré 18 mois au droit de leur propriété contrairement à ce que les intimés allèguent, dès lors qu'il s'agit de la durée totale de réalisation de la rocade ; les nuisances sonores invoquées sont contredites par les données acoustiques relevées par le rapport d'expertise, avant et après travaux, en particulier celles faites au droit de la propriété des époux D... ; elles demeurent inférieures aux seuils réglementaires admissibles ; les nuisances visuelles supposées ou celles causées par le trafic routier, non plus que le préjudice moral, ne sont établis ; aucun merlon n'est, à cet égard, visible depuis la propriété des intéressés ; enfin, la dépréciation de la valeur immobilière du bien après mise en service de la rocade n'est pas prouvée.
Par un mémoire en défense, enregistré le 22 mars 2018, M. et Mme D..., représentés par Me G..., concluent à ce que la cour :
1°) rejette la requête du département de Lot-et-Garonne ;
2°) réformant le jugement du tribunal administratif de Bordeaux, condamne le département de Lot-et-Garonne à leur verser la somme totale de 54 237 euros au titre des préjudices subis, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2016 ;
3°) mette à la charge du département de Lot-et-Garonne le paiement de la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils font valoir que :
- les travaux de construction de la rocade, des merlons et des murs anti-bruit ont duré 18 mois à hauteur de leur maison d'habitation alors que cet ouvrage est situé à 30 mètres de leur propriété ; ils ont, dès lors, nécessairement subi d'importants troubles liés au voisinage du chantier, l'anormalité de ces troubles résultant de la durée même du chantier et de l'importance des travaux en cause ; le département n'apporte pas la preuve contraire tenant notamment à la prise de mesures particulières de protection pour limiter ces nuisances pendant la phase de travaux ; ces troubles de jouissance devront être indemnisés à hauteur de 5 000 euros ;
- la présence de l'ouvrage se traduit également par d'importantes nuisances sonores ; à cet égard, l'étude de la société Synacoustique, réalisée et produite par le département, ne saurait être prise en compte dès lors qu'aucune mesure n'a été effectuée au droit de leur habitation ; c'est, par suite, à tort que les premiers juges ont pris en considération cette étude alors que le rapport de l'expertise, ordonnée en référé, fait clairement état du caractère anormal des troubles sonores qu'ils subissent depuis l'ouverture de la rocade, en dépit de la construction d'un mur anti-bruit, et au regard de la situation qui prédominait antérieurement à la réalisation de l'ouvrage ; l'expert conclut d'ailleurs son rapport sur ce point en indiquant qu'il existe un trouble sonore réel et supérieur à celui qu'ils pouvaient connaître antérieurement ;
- les nuisances visuelles ont été retenues à bon droit par le tribunal dès lors qu'ils subissent une perte de vue sur le panorama exceptionnel constitué par un village classé situé sur le coteau voisin ; le mur anti-bruit est d'une hauteur bien supérieure au mur de clôture qu'ils ont été contraints d'édifier ; le rapport d'expertise a également reconnu l'existence de ce préjudice de vue, lequel est accru par le caractère particulièrement disgracieux du mur anti-bruit et des merlons, qui ne sont pas végétalisés ;
- les nuisances liées à des pollutions diverses sont aggravées par des vents dominants d'ouest / nord-ouest sous lesquels est placée leur maison d'habitation ; les nuisances liées aux gaz d'échappement, aux odeurs et aux poussières sont avérées quand bien même elles n'ont pas été mesurées dans le cadre de l'expertise ; il en va de même de leur préjudice moral, si bien que l'ensemble des troubles de jouissance et le préjudice moral seront justement indemnisés par l'octroi d'une somme de 20 000 euros ;
- enfin, c'est également à raison que les premiers juges ont reconnu le principe d'une perte de valeur vénale de leur habitation, à hauteur de 12 % par rapport à sa valeur initiale ; en revanche, le montant alloué à ce titre devra être réformé et fixé au regard de l'évaluation réalisée par le sapiteur expert immobilier, soit 25 000 euros, le tribunal ayant commis une erreur de calcul sur ce point ; ce montant est confirmé par trois expertises réalisées à leur demande par des agents immobiliers ; au surplus, le sapiteur a omis de prendre en compte le coût réel du mur de clôture qu'ils ont dû édifier, si bien que le préjudice subi au titre de la perte de valeur vénale s'élève, en réalité à 29 237 euros.
Par une ordonnance du 9 mai 2019 prise en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a pris effet le même jour.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C... ;
- les conclusions de Mme Chauvin, rapporteur public ;
- et les observations de Me E..., représentant le département de Lot-et-Garonne et de Me F..., représentant M. et Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. M. et Mme D... sont propriétaires à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) d'une maison d'habitation qu'ils ont fait construire et où ils résident depuis 1987. A la suite de la déclaration d'utilité publique de la déviation sud-ouest de Villeneuve-sur Lot, par un arrêté du préfet de ce département du 20 mars 2006, les travaux de la rocade entre la route départementale 911 à l'ouest et la route nationale 21 au sud ont finalement été réalisés à l'initiative du département de Lot-et-Garonne, maître de l'ouvrage, au cours des années 2012 et 2013. Estimant que la construction puis la mise en service de cet ouvrage public, dont la limite d'emprise se situe à environ 35 mètres à l'ouest de leur propriété, étaient à l'origine de troubles anormaux et spéciaux dans leurs conditions d'existence, les époux D... ont sollicité et obtenu du juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux l'organisation d'une mesure d'expertise aux fins de décrire, en particulier, les éventuelles nuisances causées aux intéressés par l'extension de la route départementale 911 au droit de leur propriété. Le rapport d'expertise définitif a été déposé le 1er février 2016 au greffe du tribunal. La réclamation du 1er mars 2016 de M. et Mme D... tendant à la réparation des préjudices qu'ils estimaient avoir subis ayant été implicitement rejetée par le département de Lot-et-Garonne, les intéressés ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande de condamnation du département à leur verser la somme globale de 54 237 euros au titre de leurs troubles de jouissance, constitués par des nuisances sonores, visuelles, olfactives et de pollutions diverses générées par l'ouvrage, ainsi que d'un préjudice moral et de la perte de valeur vénale de leur propriété.
2. Le département de Lot-et-Garonne relève appel du jugement du 24 octobre 2017 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux l'a condamné à verser à M. et Mme D... la somme totale de 23 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2016, et mis à sa charge définitive les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 7 589,75 euros, ainsi qu'une somme de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Les époux D... demandent, par la voie de l'appel incident, la réformation de ce même jugement et la condamnation du département de Lot-et-Garonne à leur verser la somme totale de 54 237 euros au titre de l'ensemble des préjudices qu'ils estiment avoir subis, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 7 mars 2016.
Sur la responsabilité :
3. Le maître d'un ouvrage public est responsable, même en l'absence de faute, des dommages causés aux tiers à raison de l'existence ou du fonctionnement de cet ouvrage dès lors que, le lien de causalité entre le trouble allégué et l'existence ou le fonctionnement de l'ouvrage étant au préalable établi, le préjudice subi excède les inconvénients que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les propriétaires de fonds voisins de cet ouvrage et qu'il présente un caractère spécial. Les tiers à l'ouvrage qui entendent engager la responsabilité de la puissance publique sur ce fondement doivent apporter la preuve de la réalité des préjudices qu'ils allèguent avoir subis et de l'existence d'un lien de causalité entre l'ouvrage public et les préjudices invoqués.
4. Saisi de conclusions indemnitaires en ce sens, il appartient au juge du plein contentieux de porter une appréciation globale sur l'ensemble des chefs de préjudice allégués, aux fins de caractériser l'existence ou non d'un dommage revêtant, pris dans son ensemble, un caractère anormal et spécial, en lien avec l'existence ou le fonctionnement de l'ouvrage public en cause.
En ce qui concerne les nuisances liées aux travaux de construction de la rocade :
5. Si M. et Mme D..., qui ont la qualité de tiers à l'ouvrage, ont fait valoir qu'ils avaient subi, lors des travaux de construction de la rocade, des nuisances tenant notamment à l'émission de bruits et de poussières provoqués par les engins de chantier, ils n'apportent toutefois en appel aucune pièce ni aucun élément nouveau susceptible de corroborer leurs dires et de remettre en cause l'appréciation portée sur ce point par les premiers juges, lesquels ont justement souligné qu'il ne résultait d'aucune des pièces de l'instruction que ces nuisances alléguées auraient excédé celles que les riverains d'une voie publique en construction sont tenus de supporter sans contrepartie dans un but d'intérêt général. En outre, et comme l'a aussi relevé à juste titre le tribunal, les intimés n'établissent pas davantage que les difficultés temporaires d'accès à leur domicile qu'ils invoquent, à les supposer même établies, auraient revêtu un tel caractère d'anormalité et de spécialité.
En ce qui concerne les nuisances liées à l'existence et au fonctionnement de la voie routière :
S'agissant des nuisances sonores :
6. Des mesures acoustiques ont été effectuées par deux sociétés spécialisées et indépendantes, mandatées successivement par le département de Lot-et-Garonne puis dans le cadre du rapport d'expertise, en juin et septembre 2014 puis en janvier 2015, au droit et à l'intérieur même de la propriété de M. et Mme D.... Il en ressort que les émergences sonores relevées, de jour comme de nuit, sont inférieures aux limites acceptables prévues par la règlementation en vigueur, laquelle prévoit pour les constructions de routes nouvelles, des seuils moyens de 60 dB(A) en période de jour et 55 dB(A) de nuit, en façade des locaux d'habitation situés en zone d'ambiance sonore initialement modérée, comme c'est le cas en l'espèce de l'habitation de M.et Mme D.... Ainsi, le schéma détaillé inséré dans les annexes jointes au rapport d'expertise souligne que les mesures acoustiques effectuées ont permis d'établir que les émergences sonores moyennes en lien avec la voie routière étaient au maximum équivalentes, en décibels, à des bruits de conversation. Si des dépassements de ces émergences compris entre 60 et 70 dB (A) le jour ont été constatés, ils ne sont que ponctuels et brefs, inférieurs à quelques minutes sur toute la journée, l'intensité sonore moyenne sur une semaine s'établissant, selon les deux études menées, entre 45,9 et 48 dB(A) le jour et entre 38 et 41,7 dB(A) la nuit. Ces données s'établissaient, avant la réalisation de la voie routière, respectivement à 45,24 dB(A) le jour et 40 dB(A) de nuit. Comme l'ont également relevé les premiers juges, si l'étude acoustique réalisée pour le département a déterminé des secteurs d'habitation et des habitations pour lesquelles des protections acoustiques à la source étaient nécessaires sous forme de merlons ou d'écrans, il ne résultait pas de cette étude que la propriété des requérants était au nombre de celles qui auraient nécessité de telles protections, le rapport d'expertise n'apportant à cet égard aucune indication contraire. Enfin, s'il ressort certes de ce rapport et de ce qui vient d'être exposé que les émergences sonores subies par les intéressés peuvent être regardées comme légèrement supérieures en moyenne à celles qu'ils pouvaient précédemment connaître, outre qu'elles respectent la réglementation en vigueur, cette circonstance ne saurait caractériser en elle-même une nuisance sonore qui excède celle que les riverains d'une voie publique sont tenus de supporter sans contrepartie dans un but d'intérêt général, compte tenu tant des émergences moyennes que de l'intensité très limitée et très brève dans leur durée des pics sonores relevés, toujours inférieurs à 70dB(A).
S'agissant des nuisances visuelles :
7. M. et Mme D... ont fait état des inconvénients esthétiques dus à la construction d'un mur antibruit qui ne leur permettrait plus de bénéficier de la vue, qu'ils qualifient d'exceptionnelle, qu'offrait leur terrain sur un village classé du coteau voisin. Il résulte certes de l'instruction, notamment du reportage photographique joint au dossier de première instance et au rapport d'expertise, que ce mur se situe à proximité de leur propriété, de l'autre côté de la voie de desserte de leur lotissement et qu'il est en partie constitué de palplanches à l'aspect assez disgracieux et de panneaux translucides, au niveau des merlons, lesquels ne comportent par ailleurs aucune plantation arbustive. Il est vrai également que ce mur de protection présente une hauteur telle que les conditions de jouissance de leur habitation en sont, en partie, modifiées dès lors que M. et Mme D... ne peuvent plus bénéficier, au niveau du rez-de-chaussée, d'une vue dégagée sur le coteau urbanisé opposé à leur habitation, sans pour autant que cette vue ne présente, avant les travaux et au regard des pièces produites, de caractère particulièrement remarquable. Il doit également être tenu compte, dans cette appréciation des nuisances invoquées, de la réalisation par les intéressés, au printemps 2013, d'un mur de clôture occultant situé en limite de leur propriété, qui contribue à accentuer cette perte de perspective. Dans ces conditions, l'existence de ce mur antibruit édifié lors de la construction de la voie routière doit être regardé comme ayant partiellement affecté les conditions de jouissance de leur bien par les époux D..., en altérant la vue dégagée dont ils disposaient auparavant au niveau du rez-de-chaussée de leur habitation.
S'agissant des autres nuisances invoquées tenant à divers troubles de jouissance :
8. M. et Mme D... ont invoqué, devant les premiers juges, un " préjudice moral " tiré de leurs troubles de jouissance, d'une part en ce qu'ils ne pourraient plus dormir la fenêtre ouverte en été, ni déjeuner sur la terrasse, ni profiter d'un environnement paisible, antérieurement calme et verdoyant, d'autre part en ce qu'ils subiraient diverses nuisances causées par la pollution liée aux gaz d'échappement et aux poussières générées par le trafic routier. Cependant, s'il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que la voie litigieuse se situe à 30 mètres de leur immeuble d'habitation, aucun élément du dossier d'instruction, tant en première instance qu'en appel, ne permet de corroborer l'existence des désordres invoqués, qu'il s'agisse de la pollution et des odeurs liées aux gaz d'échappement des véhicules ou encore de la poussière générée par le trafic routier de cette voie non plus que l'impossibilité de profiter de la terrasse extérieure ou de bénéficier de l'ouverture des fenêtres la nuit, alors que le trafic routier est sensiblement modéré en période nocturne, en particulier, dans sa fréquence et son intensité sonore, comme le relèvent les deux études acoustiques précitées. En toute hypothèse, il ne résulte pas de l'instruction que ces désordres excéderaient ceux que tout propriétaire de fonds voisins d'une voie publique doit normalement supporter dans l'intérêt général. Le rapport de l'expert et le rapport du sapiteur immobilier, qui se sont rendus sur place à plusieurs reprises en journée, ne relèvent à cet égard aucun élément notable, les intimés n'ayant d'ailleurs pas accédé à la demande de l'expert judiciaire de procéder à la mesure de ces désagréments invoqués mais nullement documentés. Dès lors, les troubles de jouissance allégués ne peuvent être regardés comme révélant un dommage à caractère anormal et spécial.
S'agissant du dommage lié à la perte de la valeur vénale de la maison des époux D... :
9. Le rapport de l'expert sapiteur, spécialiste en évaluations immobilières et mandaté à cet effet, indique que les nuisances générées par la construction de la déviation de la RD 911 (nuisances de vue, nuisances sonores, vue directe sur la rocade) ont un impact sur la jouissance du bien. Il en déduit que la valeur vénale actuelle de la propriété des époux D..., après mise en service de l'ouvrage public, doit être estimée à 190 000 euros, comparée à une valeur vénale estimée de 213 000 à 216 000 euros, abstraction faite de l'ouvrage, selon la méthode d'estimation retenue, par sol et constructions ou par comparaison, soit une perte de valeur comprise entre 10,8 et 12 %. Toutefois, l'expert sapiteur, invité au cours des opérations d'expertise à fournir les éléments de comparaison sur lesquels il a entendu se fonder pour fixer la valeur au m² avant et après travaux, n'a pas précisé, en réponse aux dires, les données concrètes sur lesquelles il a entendu fonder son analyse, en dehors d'une référence générale à une étude des déclarations d'intention d'aliéner " récemment réalisée ", sans autre précision. De plus, si son rapport souligne le caractère sinistré du marché immobilier de Villeneuve-sur-Lot il n'expose pas dans quelle mesure il a entendu en tenir compte dans son analyse. Qui plus est, s'il souligne les " nuisances incontestables " liées à la mise en oeuvre de l'ouvrage aux fins de justifier son évaluation après travaux, il indique, dans le même temps, que " même si l'environnement de la maison étudiée a été modifié (...), les modifications intervenues n'ont pas un caractère rédhibitoire ". Enfin, la prise en compte des nuisances sonores par le sapiteur se fonde uniquement sur les déclarations des époux D... sans vérification ni prise en considération des données objectives issues du rapport d'expertise et des deux analyses techniques réalisées par des sociétés spécialisées.
10. Dans ces conditions, ce rapport est entaché de biais méthodologiques et apparaît insuffisamment documenté, rendant incertaines les évaluations de valeur vénale proposées. Compte tenu de l'ensemble des éléments produits par les époux D... en première instance, en particulier des deux évaluations réalisées par des agents immobiliers distincts, en juin 2015 et juin 2017, la perte de valeur vénale estimée doit être regardée comme comprise entre 10 et 12 % au maximum, dont il conviendrait de retirer la part liée à la dépréciation générale du marché immobilier des maisons pavillonnaires, de l'ordre de 4 % dans la région du Villeneuvois, constatée entre 2013 et 2017, dont ces deux expertises ne font pas expressément état ainsi que le souligne le département de Lot-et-Garonne sans être utilement contredit. Dès lors, les troubles de jouissance résultant de la présence et du fonctionnement de la voie en litige, s'ils ont pu participer à la diminution de la valeur vénale estimée de la propriété de M. et Mme D..., n'en constituent pas la cause exclusive.
11. Il résulte de ce tout qui précède qu'appréciés globalement, les préjudices invoqués par M. et Mme D... soit n'apparaissent pas établis s'agissant des désagréments durant la phase de travaux, des nuisances sonores ou des autres nuisances invoquées au titre des autres troubles de jouissance, soit ne permettent pas de caractériser l'existence d'un dommage revêtant, pris dans son ensemble, un caractère anormal, en lien avec l'existence ou le fonctionnement de l'ouvrage public en cause, compte tenu, d'une part, du caractère limité du préjudice visuel et de la seule part de perte de valeur vénale du bien en lien direct avec l'existence et le fonctionnement de l'ouvrage public et, d'autre part, des inconvénients que doivent normalement supporter dans l'intérêt général les propriétaires des fonds voisins de cet ouvrage d'utilité publique. Au surplus, au regard de la configuration des lieux et notamment des données cartographiques et photographiques produites par le département de Lot-et-Garonne, non sérieusement contestées, le caractère de spécialité du dommage ne peut être davantage retenu dès lors que de nombreuses autres habitations pavillonnaires sont situées au droit de la voie de contournement ainsi créée, de part et d'autre de celle-ci et à une distance comparable ou inférieure à celle des requérants.
12. Il suit de là que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département de Lot-et-Garonne à verser à M. et Mme D... la somme totale de 23 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date de réception de leur réclamation préalable le 7 mars 2016, en réparation des préjudices qu'ils invoquaient au soutien de leur demande. Le département de Lot-et-Garonne est, dès lors, fondé à demander l'annulation du jugement du 24 octobre 2017 en tant qu'il a fait partiellement droit aux conclusions indemnitaires des époux D..., et l'appel incident de ceux-ci sur le montant accordé ne peut qu'être rejeté.
Sur les dépens :
13. Aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".
14. Dans les circonstances particulières de l'espèce, il y a lieu de laisser les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 7 589,75 euros par une ordonnance du 5 février 2016 du président du tribunal administratif de Bordeaux, à la charge du département de Lot-et-Garonne.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soient mis à la charge du département de Lot-et-Garonne les frais que M. et Mme D... indiquent avoir exposés et non compris dans les dépens. Par ailleurs et dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge des époux D... le paiement au département de Lot-et-Garonne de la somme qu'il sollicite sur ce même fondement.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 octobre 2017 est annulé.
Article 2 : La demande indemnitaire de M. et Mme D... est rejetée.
Article 3 : Les frais d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 7 589,75 euros par ordonnance du 5 février 2016 du président du tribunal administratif de Bordeaux, sont mis à la charge du département de Lot-et-Garonne.
Article 4 : Les conclusions des parties présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département de Lot-et-Garonne et à M. et Mme B... D....
Délibéré après l'audience du 22 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, président,
Mme Anne Meyer, président-assesseur,
M. Thierry C..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 19 novembre 2019.
Le rapporteur,
Thierry C...Le président,
Catherine Girault
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au préfet de Lot-et-Garonne en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 17BX04056