Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 23 août 2016, M.E..., représenté par MeC..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 juin 2016 ;
2°) de condamner, à titre principal, l'ONIAM et, à titre subsidiaire, le centre hospitalier de La Rochelle, à lui verser la somme totale de 852 407,88 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter de la date de la demande préalable, qui produiront eux-mêmes intérêts sur le fondement de l'article 1154 du code civil ;
3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une nouvelle expertise ;
4°) de mettre à la charge, in solidum, du centre hospitalier de La Rochelle et de l'ONIAM la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
5°) de mettre les dépens à la charge, in solidum, du centre hospitalier de La Rochelle et de l'ONIAM.
Il soutient que :
- il soutient qu'il peut être tenu compte du rapport d'expertise de M.G..., à supposer même qu'il aurait été établi sans respecter le principe du contradictoire ;
- les séquelles dont il a été atteint et dont il reste en partie atteint sont consécutives à des infections nosocomiales, contrairement à ce qu'a estimé M. F...dans son rapport d'expertise, qui a indiqué à tort que l'intervention avait eu lieu dès le 13 février, alors qu'elle n'a été réalisée que le lendemain ;
- si la cour ne retient pas ce lien de causalité, elle constatera que le syndrome des loges a pour origine l'acte chirurgical lui-même ;
- eu égard à leur importance, les séquelles précitées doivent être réparées par l'ONIAM ;
- à titre subsidiaire il faudrait, compte tenu de la contrariété des conclusions auxquelles sont parvenues les experts, ordonner une nouvelle expertise ;
- il est en droit d'obtenir la réparation de l'ensemble de ses préjudices patrimoniaux et extrapatrimoniaux.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 novembre 2016, l'ONIAM, représenté par MeB..., conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- les préjudices subis par l'appelant ne sont pas imputables à un acte de prévention, diagnostic ou soin ;
- en conséquence, ils n'ouvrent pas droit à indemnisation au titre de la solidarité nationale.
Par deux mémoires, enregistrés le 16 novembre 2016 et le 22 décembre 2017, la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne, représentée par MeD..., conclut à ce que le centre hospitalier de La Rochelle soit condamné à lui verser la somme de 136 505,13 euros en remboursement de ses débours ainsi que celle de 1 055 euros au titre de l'indemnité forfaitaire de gestion.
Elle soutient qu'il existe un lien entre les préjudices subis par M. E...et l'infection nosocomiale qu'il a contractée au centre hospitalier de La Rochelle.
Par un mémoire, enregistré le 15 décembre 2017, le centre hospitalier de La Rochelle conclut au rejet de la requête ainsi que des conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.
Il soutient que :
- il n'existe pas de lien de causalité entre les dommages invoqués par l'appelant et l'infection nosocomiale contractée par lui lors de son hospitalisation consécutivement à son accident ;
- en effet, la circonstance qu'un syndrome des loges n'a pas été constaté lors de l'intervention du 14 février 2008 ou le lendemain de celle-ci ne permet pas d'en inférer le lien de causalité revendiqué par M.E... ;
- en tout état de cause et dans le cas contraire, il appartiendrait à l'ONIAM de réparer les conséquences de cette infection nosocomiale et il en irait de même dans l'hypothèse d'un aléa thérapeutique ;
- par ailleurs, les demandes indemnitaires de M. E...doivent être ramenées à de plus justes proportions ;
- enfin, c'est à tort que la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne prétend que ses débours devraient être mis à la charge du centre hospitalier même dans l'hypothèse où la solidarité nationale jouerait au profit de M. E...et, en tout état de cause, il conviendrait d'extourner de la somme sollicitée les frais qui auraient de toute façon été exposés en raison de l'accident survenu le 12 février 2008.
Par ordonnance du 2 août 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 17 août 2018.
Par une décision du 29 septembre 2016, la demande de bénéfice de l'aide juridictionnelle de M. E...a été rejetée.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
- les conclusions de M. Normand, rapporteur public,
- et les observations de MeD..., représentant la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., alors âgé de 30 ans, a été hospitalisé en début de matinée le 13 février 2008 au centre hospitalier de La Rochelle pour une fracture fermée articulaire de l'extrémité supérieure de la jambe gauche survenue la veille à 23 h 30. Le 14 février 2008 dans la matinée, il a bénéficié d'une ostéosynthèse. Cependant, il a présenté, à compter du 16 février 2008 au matin, de la fièvre et un déficit des releveurs de pied évoquant un syndrome des loges. Le 17 février 2008, il a subi une nouvelle opération au cours de laquelle des prélèvements bactériologiques ont été réalisés, lesquels ont révélé la présence de deux staphylocoques. Les suites ont été marquées par la réalisation de cinq autres interventions chirurgicales destinées à évacuer la nécrose des muscles de la loge antéro-externe de la jambe. Par ordonnance du 30 juin 2011 le juge des référés du tribunal administratif de Poitiers a, sur la demande de M.E..., désigné un expert, M.G..., lequel a déposé son rapport le 4 novembre 2011. M. E...a ensuite demandé au tribunal administratif précité la condamnation de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), ou à défaut du centre hospitalier de La Rochelle, à lui verser la somme totale de 828 430,45 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait des complications liées à l'intervention chirurgicale du 14 février 2008. La caisse primaire d'assurance de la Vienne a sollicité la condamnation du centre hospitalier à lui verser le montant des prestations allouées à son assuré. Cependant, par un jugement avant-dire droit du 16 juillet 2015, le tribunal a ordonné qu'il soit procédé à une nouvelle expertise avant de se prononcer. L'expert, M.F..., a déposé son rapport le 23 décembre 2015. M. E...forme appel à l'encontre du jugement du tribunal administratif de Poitiers du 30 juin 2016 qui a rejeté sa demande de condamnation de l'ONIAM et, à défaut, du centre hospitalier de La Rochelle et porte le montant de la somme qu'il demande à 852 407,88 euros. La caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne demande également l'annulation du jugement en tant qu'il n'a pas accueilli ses conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier à lui rembourser ses débours.
Sur les conclusions de M. E...:
En ce qui concerne le lien de causalité avec l'infection nosocomiale :
2. Il est constant que, dans les suites de l'ostéosynthèse de l'extrémité supérieure du tibia réalisée le 14 février 2008 au centre hospitalier de La Rochelle, M. E...a contracté une infection nosocomiale et que cette dernière est en lien avec cette intervention. Toutefois, il ne résulte pas de l'instruction que le syndrome des loges avec atteinte du nerf fibulaire également apparu le 16 février 2008 aurait pour origine au moins probable ladite infection, demeurée du reste superficielle, alors même que les premiers signes d'un syndrome des loges n'ont été constatés qu'un peu plus de 48 heures après l'accident. Par ailleurs, il résulte de l'instruction et notamment du second rapport d'expertise, que " la part uniquement imputable à l'infection est nulle car elle a guéri avec un traitement antibiotique sans nécessité d'ablation de matériel qui aurait compromis le résultat final ". Dès lors, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé que les préjudices subis par M. E...ne sont pas en lien avec l'infection nosocomiale survenue au deuxième jour postopératoire.
En ce qui concerne l'existence d'un aléa thérapeutique :
3. Le II de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique prévoit que : " Lorsque la responsabilité d'un professionnel, d'un établissement, service ou organisme mentionné au I ou d'un producteur de produits n'est pas engagée, un accident médical, une affection iatrogène ou une infection nosocomiale ouvre droit à la réparation des préjudices du patient, et, en cas de décès, de ses ayants droit au titre de la solidarité nationale, lorsqu'ils sont directement imputables à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins et qu'ils ont eu pour le patient des conséquences anormales au regard de son état de santé comme de l'évolution prévisible de celui-ci et présentent un caractère de gravité, fixé par décret, apprécié au regard de la perte de capacités fonctionnelles et des conséquences sur la vie privée et professionnelle mesurées en tenant notamment compte du taux d'atteinte permanente à l'intégrité physique ou psychique, de la durée de l'arrêt temporaire des activités professionnelles ou de celle du déficit fonctionnel temporaire / (...) ".
4. Si M.E..., qui a présenté, ainsi qu'il a été dit, simultanément avec l'infection nosocomiale, un syndrome de loge causant la paralysie du nerf fibulaire, soutient que ce dernier doit être regardé, dans l'hypothèse où il serait sans lien avec l'infection, comme ayant été causé par l'intervention chirurgicale elle-même, il résulte cependant de l'instruction et notamment des rapports d'expertise précités que ce lien ne peut être regardé comme probable. En revanche, et ainsi que l'a relevé M. F...dans son rapport " toutes les fractures, de la plus simple à la plus complexe, peuvent se compliquer d'un syndrome de loge ". De même M.H..., dans son rapport d'expertise de novembre 2011 signale l'existence de ce syndrome après fracture de jambe. Par conséquent et dans la mesure où, comme l'ont justement relevé les premiers juges, aucun lien direct et certain ne peut être établi entre les dommages de M. E... et l'intervention chirurgicale d'ostéosynthèse réalisée au centre hospitalier de La Rochelle, l'appelant ne saurait prétendre obtenir l'indemnisation de ses préjudices sur le fondement de la solidarité nationale et en raison de l'existence d'un aléa thérapeutique.
Sur les conclusions de la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne :
5. Il résulte de ce qui a été dit précédemment que les dépenses engagées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne pour le compte de M.E..., son assuré, sont sans lien avec l'existence d'une faute engageant la responsabilité du centre hospitalier de la Rochelle et, en tout état de cause, avec celle d'un aléa thérapeutique. Il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal a rejeté les conclusions de ladite caisse tendant à obtenir le remboursement de ses débours et le versement de l'indemnité forfaitaire de gestion.
6. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de procéder à une nouvelle expertise, M. E...et la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier de La Rochelle et de l'ONIAM, qui ne sont pas parties perdantes à l'instance, la somme que demande M. E...au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. E...est rejetée.
Article 2 : Les conclusions d'appel incident présentées par la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...E..., au centre hospitalier de La Rochelle, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 11 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 9 octobre 2018.
Le président-assesseur,
Didier Salvi
Le président
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre des solidarités et de la santé en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 16BX02892