Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 4 novembre 2016, MmeA..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 4 octobre 2016, en ce qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;
2°) de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 90 415,44 euros au titre du préjudice de la perte de salaire et de 6 000 euros au titre du préjudice moral, sommes à assortir des intérêts à taux légal à compter du 13 mars 2014 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du département de la Gironde, outre les entiers dépens, la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il existe un lien de causalité certain entre la faute commise par le département et les préjudices qu'elle invoque ; le département ne saurait se prévaloir d'aucune cause exonératoire ;
- du 23 novembre 2010 au 8 janvier 2013, elle s'est retrouvée sans emploi et dans une situation financière très difficile ; son préjudice en perte de salaire, à raison de quatre enfants accueillis, s'élève à la somme de 90 415,44 euros ; les documents communiqués prouvent qu'elle n'a perçu aucun revenu de remplacement pour la fin 2010 et a reçu les allocations d'aide au retour à l'emploi de juin 2011 à novembre 2012 ; l'année suivante, elle a bénéficié d'environ 11 000 euros de revenus annuels, soit une somme bien plus faible que les 40 000 euros qu'elle percevait en tant qu'assistante maternelle ;
- elle a en outre subi un important préjudice moral, pour lequel elle réclame 4 000 euros, et s'est vue contrainte de régler des frais annexes à hauteur de 2 000 euros, notamment concernant des impôts, dont elle était exonérée lorsqu'elle bénéficiait du statut d'assistante maternelle ; en effet, les assistantes maternelles bénéficient d'un régime fiscal spécifique, fixé par l'article 80 sexies du code général des impôts, qu'elle a perdu ; elle a donc dû s'acquitter de l'impôt sur le revenu, alors précisément que ses revenus étaient moindres ;
- cette situation a entraîné pour elle de grosses difficultés financières.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2017, le département de la Gironde, représenté par la SCP CGCB et Associés, conclut au rejet de la requête et à la réformation du jugement en ce qu'il a accordé du préjudice moral à MmeA....
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable, dès lors que Mme A...ne présente pas de moyens tendant à établir les erreurs entachant le jugement attaqué ; la requête ne satisfait pas aux conditions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative, dès lors qu'elle est la reproduction intégrale de sa requête de première instance ;
- le préjudice financier allégué ne revêt aucun caractère certain et il, en tout état de cause, y aurait lieu d'en déduire les sommes perçues par l'intéressée pendant la période de responsabilité ;
- aucun lien de causalité ne peut être établi entre sa pathologie et un préjudice moral lié à la faute du département ; c'est à tort que les premiers juges lui ont accordé 3 000 euros à ce titre.
Par une ordonnance en date du 4 décembre 2017, la clôture de l'instruction a été fixée au 10 janvier 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'action sociale et des familles ;
- le code général des impôts ;
- le code civil ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- et les observations de MeB..., représentant le département de la Gironde.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C...A...bénéficiait depuis 2005 d'un agrément en qualité d'assistante maternelle en application des dispositions des articles L. 421-2 et suivants du code de l'action sociale et des familles. Cet agrément lui permettait d'accueillir deux enfants mineurs à la journée puis trois, à partir de décembre 2005. Le 23 septembre 2010, le président du conseil général de la Gironde a délivré à Mme A...une " attestation de décision d'agrément " valable jusqu'au 26 octobre 2015 pour accueillir à son domicile quatre mineurs à la journée. Cependant, par une autre décision du 23 novembre 2010, le président du conseil général estimant que l'accueil proposé par Mme A...n'était pas conforme aux dispositions de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles a retiré cet agrément. Par un arrêt du 8 janvier 2013 devenu définitif, la cour administrative d'appel de Bordeaux a annulé ce retrait d'agrément. Mme A...a formé un contentieux indemnitaire. Par un jugement du 4 octobre 2016, le tribunal administratif de Bordeaux a condamné le département de la Gironde à lui verser la somme de 3 000 euros en réparation de son préjudice moral. Mme A...fait appel de ce jugement, en ce qu'il a rejeté le surplus de ses conclusions tendant notamment à la réparation de son préjudice financier. Le département de la Gironde par la voie de l'appel incident, demande la réformation de ce même jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée par le département de la Gironde :
2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les noms et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ". La requête de MmeA..., alors même qu'elle reprend les mêmes moyens que ceux soulevés en première instance, ne consiste pas dans la seule reproduction littérale de la demande présentée au tribunal administratif. Elle énonce de manière précise les moyens invoqués à l'appui de ses conclusions indemnitaires et critique le jugement, en faisant notamment valoir que les premiers juges n'ont pas fait une exacte appréciation des faits et moyens qu'elle avait présentés. Elle satisfait ainsi aux prescriptions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative et n'est donc pas irrecevable.
Sur les conclusions indemnitaires :
En ce qui concerne le préjudice financier (sur l'appel principal) :
3. En vertu de l'arrêt précité de la cour administrative d'appel de Bordeaux, devenu définitif, la période de responsabilité du département de la Gironde s'étend du 23 novembre 2010, date du retrait d'agrément illégalement effectué, jusqu'au 8 janvier 2013, date de l'arrêt, soit une période de 25 mois et 15 jours.
4. Il résulte de l'instruction que, contrairement à ce que fait valoir le département, Mme A...pouvait, avant son retrait d'agrément, accueillir quatre enfants, dès lors qu'elle s'était vue délivrer, le 23 septembre 2010, par le président du conseil général de la Gironde, en vertu des dispositions des articles L. 421-6 et D. 421 15 du code de l'action sociale et des familles, une attestation de décision d'agrément d'assistante maternelle valable jusqu'au 26 octobre 2015 pour accueillir à son domicile quatre mineurs à la journée, ce que reconnaît d'ailleurs le département à travers son courrier recommandé du 20 mai 2014 adressé à Mme A....
5. Il résulte également de l'instruction que, pour le mois d'octobre 2010, dernier mois avant le retrait illégal de son agrément, elle percevait les salaire de 672,53 euros, 590,51 euros, 696,47 euros et 506,70 euros au titre des quatre enfants qu'elle accueillait, ce qui représente une somme mensuelle d'environ 2 466,21 euros, et, partant, dès lors que ces quatre contrats incluaient le paiement de ses congés payés, une somme annuelle d'environ 29 594,52 euros, ces montants correspondant à des salaires bruts. Il résulte par ailleurs de ses avis d'imposition qu'au titre de 2010, son revenu fiscal de référence s'établissait à 5 226 euros et elle n'était pas imposable, qu'au titre de 2011, son revenu fiscal de référence s'établissait à 11 608 euros et elle n'était pas imposable et qu'au titre de 2011, son revenu fiscal de référence s'établissait à 17 288 euros et elle était imposable à hauteur de 1 070 euros.
6. Aux termes de l'article 80 sexies du code général des impôts : " Pour l'assiette de l'impôt sur le revenu dont sont redevables les assistants maternels et les assistants familiaux régis par les articles L. 421-1 et suivants et L. 423-1 et suivants du code de l'action sociale et des familles, le revenu brut à retenir est égal à la différence entre, d'une part, le total des sommes versées tant à titre de rémunération que d'indemnités pour l'entretien et l'hébergement des enfants et, d'autre part, une somme égale à trois fois le montant horaire du salaire minimum de croissance, par jour et pour chacun des enfants qui leur sont confiés (...) ". Mme A...n'établissant pas qu'elle accueillait des enfants handicapés ou qu'elle aurait effectué des accueils de 24 heures consécutives, elle entre ainsi dans les prévisions du premier alinéa de l'article 80 sexies tel qu'il vient d'être énoncé. Par suite, et contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges au vu de ses avis d'imposition, elle n'a pas perçu des rémunérations plus élevées en 2011 et 2012 que lorsqu'elle était assistante maternelle agréée, dès lors que le revenu fiscal de référence mentionné sur sa feuille d'imposition 2011 sur les revenus 2010 est établi après le très important abattement prévu à l'article 80 sexies du code général des impôts. Dans ces conditions, il y a lieu de tenir compte, d'une part, des revenus nets réels que l'intéressée pouvait escompter percevoir de son activité au cours de la période de retrait, déterminés à partir du montant des salaires perçus par elle avant novembre 2010, hors indemnités spécifiques comme les indemnités d'entretien, et, d'autre part, des revenus réellement perçus par l'intéressée au cours de cette période.
7. En appliquant un pourcentage de 23 % aux revenus bruts annuels de Mme A...en tant qu'assistante familiale accueillant 4 enfants, dans la situation où elle était placée juste avant son retrait d'agrément, son salaire annuel net, pendant la période de référence, doit être calculé comme s'établissant à 22 788 euros. Sur une période de 25 mois et demi, cette rémunération nette se serait ainsi élevée à 48 424 euros. Pendant cette période, il résulte de l'instruction, et notamment des avis d'imposition, des attestations de Pôle Emploi et des attestations de paiement des indemnités journalières versées par la CPAM, que Mme A...a perçu 31 773 euros, desquels il y a lieu de déduire une imposition de 1 070 euros qu'elle n'aurait pas connu si elle avait poursuivi son activité d'assistante maternelle, eu égard à la spécificité de son régime fiscal. En outre, ayant été placée en arrêt-maladie du 29 novembre au 31 décembre 2010, Mme A...justifie avoir touché des prestations de l'assurance-maladie pour une somme de 1 177,80 euros. Dans ces conditions, Mme A...doit être regardée comme ayant subi, du fait de l'illégalité du retrait d'agrément, une perte de revenus de 16 544 euros pendant toute la période de responsabilité.
8. Mme A...ne justifiant pas de l'existence du préjudice constitué par les " frais annexes ", au demeurant non définis, qu'elle invoque, il y a en revanche lieu de rejeter ce chef de préjudice.
En ce qui concerne le préjudice moral (sur l'appel incident) :
9. Le département estime que le seul certificat médical produit, émanant d'un médecin généraliste, ne permet pas d'établir un lien de causalité entre une éventuelle dégradation de l'état psychologique de Mme A...et la mesure de retrait d'agrément dont elle a été victime. Toutefois, même si ledit certificat n'est pas très circonstancié, c'est à bon droit que les premiers juges ont relevé que " compte tenu de la nature des faits ayant motivé la décision de retrait de l'agrément, de la durée pendant laquelle Mme A...a exercé son activité d'assistante maternelle avant l'intervention de cette mesure ainsi que de l'atteinte portée à sa réputation personnelle et professionnelle ", l'intéressée avait subi un préjudice moral avéré, qu'ils ont justement évalué à la somme de 3 000 euros.
10. Il résulte de tout ce qui précède, d'une part, que Mme A...est fondée, par la voie de l'appel principal, à demander la réformation du jugement en ce qu'il n'a pas indemnisé son préjudice financier et à ce que celui-ci soit établi à la somme de 16 544 euros et, d'autre part, que le département de la Gironde n'est pas fondé, par la voie de l'appel incident, à demander la réformation du jugement en ce qui concerne l'évaluation du préjudice moral de l'intéressée.
Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :
11. Mme A...a droit aux intérêts au taux légal sur les sommes susmentionnées à compter du 20 mars 2014, date de réception de sa demande préalable par l'administration.
12. Aux termes de l'article 1343-2 du code civil : " Les intérêts échus, dus au moins pour une année entière, produisent intérêt si le contrat l'a prévu ou si une décision de justice le précise. ". Pour l'application de ces dispositions, la capitalisation des intérêts peut être demandée à tout moment devant le juge du fond, même si, à cette date, les intérêts sont dus depuis moins d'une année. En ce cas, cette demande ne prend toutefois effet qu'à la date à laquelle, pour la première fois, les intérêts sont dus pour une année entière. Mme A...a demandé la capitalisation des intérêts dans sa requête introductive d'instance devant le tribunal administratif enregistrée le 15 janvier 2015. Il y a lieu de faire droit à cette demande à compter du 20 mars 2015, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, ainsi qu'à chaque échéance annuelle à compter de cette date.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du département de la Gironde une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par Mme A...et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le département de la Gironde est condamné à verser à Mme A...la somme de 16 544 euros au titre de son préjudice financier. Cette somme sera majorée des intérêts au taux légal à compter du 20 mars 2014. Les intérêts échus le 20 mars 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date, seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.
Article 2 : Le jugement n° 1500176 du 4 octobre 2016 du tribunal administratif de Bordeaux est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er ci-dessus.
Article 3 : Le département versera à Mme A...une somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de l'appel principal et l'appel incident sont rejetés.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C...A...et au département de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 24 septembre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX03556