Par un jugement n° 1403362 du 2 février 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 31 mars 2017 et 16 janvier 2018, la société Ryanair designated activity company, venant aux droits de la société Ryanair limited et la société Airport marketing services limited, représentées par Me C...et MeB..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 2 février 2017 ;
2°) d'annuler le titre exécutoire émis à leur encontre le 9 octobre 2014 par le syndicat mixte des aéroports de Charente en vue du recouvrement de la somme de 1 001 431,27 euros :
3°) de prononcer la décharge de l'obligation de payer ladite somme ;
4°) subsidiairement, de surseoir à statuer dans l'attente de la décision du tribunal de l'Union européenne ;
5°) de mettre à la charge du syndicat mixte des aéroports de Charente le paiement de la somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;
- le titre exécutoire litigieux a été pris par une autorité incompétente ;
- le titre exécutoire litigieux est insuffisamment motivé dès lors qu'il ne précise ni les modalités de calcul utilisées pour déterminer le montant de la créance et des intérêts, ni les bases de liquidation de la créance ;
- la décision de la Commission européenne du 23 juillet 2014, qui a été contestée devant le Tribunal de l'Union européenne, a méconnu les droits procéduraux de Ryanair, est insuffisamment motivée, est entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation et retient une évaluation " indicative " de la somme réclamée qui est erronée, de sorte que son illégalité prive de base légale le titre exécutoire litigieux ;
- le syndicat mixte des aéroports de Charente n'a pas ajusté le montant indicatif de l'aide sur le fondement des flux réels de paiements et de recettes alors qu'une estimation des ajustements nécessaires conduirait à une réduction de la créance ;
- elles ont procédé au règlement de la créance, en partie par compensation avec des sommes qui leur étaient dues, de sorte que les sommes réclamées sont infondées alors qu'un refus de compensation méconnaîtrait l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la demande de reversement méconnaît le principe de confiance légitime.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 novembre 2017, le syndicat mixte des aéroports de Charente, représenté par MeD..., conclut au rejet de la requête et, en outre, à ce qu'il soit mis à la charge des sociétés Ryanair designated activity company et
Airport marketing services limited le paiement de la somme de 3 000 euros en application
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens soulevés par les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services limited ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement du Conseil européen n° 659/1999 du 22 mars 1999 ;
- le code général des collectivités territoriales ;
- le décret n° 2012-1246 du 7 novembre 2012 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A...,
- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Dans le cadre de l'exploitation de l'aéroport d'Angoulême dont il a la charge,
le syndicat mixte des aéroports de Charente (SMAC) a, le 8 février 2008, conclu deux contrats, l'un avec la société Ryanair limited (Ltd) en vue de la mise en oeuvre d'une liaison aérienne régulière entre cet aéroport et celui de Londres Stansted, l'autre avec la société Airport marketing services limited (Ltd) en vue de promouvoir, au moyen d'espaces publicitaires mis
à disposition sur le site internet de Ryanair, la ville d'Angoulême comme destination de voyage. Ces contrats ont été résiliés à l'initiative des deux sociétés au cours de l'année 2010. Par décision du 23 juillet 2014, la Commission européenne a considéré que les aides versées par le SMAC
à ces sociétés constituaient des aides d'État illégales et incompatibles avec le marché intérieur et en a prescrit la récupération immédiate et effective. En exécution de cette décision, le SMAC
a émis, le 9 octobre 2014, à l'encontre des sociétés Ryanair Ltd et Airport marketing services Ltd un titre exécutoire en vue de recouvrer la somme de 1 001 431,27 euros. La société Ryanair designated activity company, venant aux droits de la société Ryanair Ltd et la société Airport marketing services Ltd relèvent appel du jugement du 2 février 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande tendant à l'annulation du titre exécutoire
du 9 octobre 2014 et à la décharge de l'obligation de payer la somme en cause.
Sur la régularité du jugement :
2. Si les sociétés appelantes soutiennent que le jugement attaqué du tribunal administratif de Poitiers du 2 février 2017 est insuffisamment motivé, elles n'assortissent ce moyen d'aucune précision permettant d'en apprécier le bien-fondé. Par suite, ce moyen doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. Aux termes de l'article 14 du règlement du Conseil n° 659/1999 du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 108 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne : " 1. En cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission décide que l'État membre concerné prend toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès de son bénéficiaire (ci-après dénommée "décision de récupération"). (...) 3. Sans préjudice d'une ordonnance de la Cour de justice des Communautés européennes prise en application de l'article 185 du traité, la récupération s'effectue sans délai et conformément aux procédures prévues par le droit national de l'État membre concerné, pour autant que
ces dernières permettent l'exécution immédiate et effective de la décision de la Commission. (...) ".
4. Aux termes de l'article L. 1511-1-1 du code général des collectivités territoriales : " L'État notifie à la Commission européenne les projets d'aides ou de régimes d'aides que
les collectivités territoriales et leurs groupements souhaitent mettre en oeuvre, sous réserve de leur compatibilité avec les stratégies de développement de l'État, telles qu'elles sont arrêtées en comité interministériel d'aménagement et de compétitivité des territoires. Toute collectivité territoriale, tout groupement de collectivités territoriales ayant accordé une aide
à une entreprise est tenu de procéder sans délai à sa récupération si une décision de la Commission européenne ou un arrêt de la Cour de justice des Communautés européennes l'enjoint, à titre provisoire ou définitif. À défaut, après une mise en demeure restée sans effet dans un délai d'un mois à compter de sa notification, le représentant de l'État territorialement compétent y procède d'office par tout moyen. (...) ".
5. En premier lieu, il résulte des dispositions précitées que, contrairement à ce que soutiennent les sociétés appelantes, la récupération des aides illégales ne relève pas exclusivement de la compétence des autorités de l'État français mais également de toute collectivité territoriale ou tout groupement de collectivités territoriales ayant initialement accordé une aide dont la récupération a été décidée par la commission européenne. Par suite,
le SMAC était compétent pour émettre le titre exécutoire en litige afin de recouvrer les aides qu'il avait initialement accordées aux sociétés Ryanair Ltd et Airport marketing services Ltd et qui ont été déclarées illégales et incompatibles avec le marché intérieur par
la Commission européenne. À cet égard, les sociétés appelantes ne peuvent utilement
se prévaloir de ce que le versement des sommes en cause serait constitutif d'une aide d'État illégale versée au SMAC en qualité d'opérateur économique.
6. En deuxième lieu, aux termes de l'article 24 du décret n° 2012-1246
du 7 novembre 2012 relatif à la gestion budgétaire et comptable publique, applicable, en vertu de son article premier, aux collectivités territoriales et à leurs groupements : " Dans les conditions prévues pour chaque catégorie d'entre elles, les recettes sont liquidées avant d'être recouvrées. La liquidation a pour objet de déterminer le montant de la dette des redevables. Les recettes sont liquidées pour leur montant intégral, sans contraction avec les dépenses. Toute créance liquidée faisant l'objet d'une déclaration ou d'un ordre de recouvrer indique les bases de la liquidation. (...). ". En application de ce principe, un titre de recettes exécutoire est suffisamment motivé s'il indique, soit par lui-même, soit par référence à un document qui lui est joint ou qui a été précédemment adressé au débiteur, les bases et les éléments de calcul sur lesquels son auteur
se fonde pour mettre les sommes en cause à la charge du redevable.
7. Le titre exécutoire en litige comporte la mention suivante : " objet de la créance : décision de la commission européenne du 23 juillet 2014 concernant l'aide d'État SA.33963 " et est accompagné, en annexe, d'un document comportant deux tableaux faisant apparaître le montant nominal des aides illégales accordées au 31 décembre 2008 et au 31 décembre 2009 telles que retenues par la décision du 23 juillet 2014, notamment en ses points 417 et 419 selon les modalités de calcul précisées en son point 414, ainsi que le montant des intérêts liés à ces créances dont il est indiqué qu'ils ont été calculés à la date du 31 octobre 2014. Il n'est pas contesté que la décision de la Commission européenne a été notifiée aux sociétés appelantes antérieurement à l'émission du titre exécutoire litigieux alors même que cette décision aurait été postérieurement publiée. Dans ces conditions, les sociétés appelantes ne sont pas fondées à soutenir que le titre exécutoire litigieux ne mentionnait pas d'une manière suffisante, notamment par sa référence à la décision de la Commission européenne du 23 juillet 2014, les bases
de liquidation de la créance mise à leur charge.
8. En troisième lieu, si les sociétés appelantes font valoir qu'elles ont saisi le Tribunal de l'Union européenne d'une demande d'annulation de la décision de la Commission européenne du 23 juillet 2014, ce recours n'est, en tout état de cause, pas suspensif en vertu de
l'article 278 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Du reste, par un arrêt
du 13 décembre 2018, le Tribunal de l'Union européenne a rejeté ce recours. Par suite, la décision de la Commission européenne demeure exécutoire à la date du présent arrêt.
9. En quatrième lieu, il n'appartient pas à la cour d'apprécier le bien-fondé d'une décision de la Commission européenne portant sur la récupération d'une aide illégale et sur
le fondement de laquelle la créance en cause a été établie et chiffrée par les autorités françaises, dès lors que le juge européen a une compétence exclusive pour statuer sur le bien-fondé d'une telle décision, et peut, le cas échéant, en ordonner la suspension ainsi que l'a rappelé
la Cour de justice de l'Union européenne dans un arrêt du 5 octobre 2006, Commission/France (aff. C-232/05, points 57 à 60). Par suite, les sociétés appelantes ne peuvent utilement se prévaloir, au soutien de leur demande dirigée contre le titre exécutoire litigieux, de l'illégalité de la décision de la Commission européenne du 23 juillet 2014 en ce qu'elle aurait méconnu leurs droits procéduraux, aurait été insuffisamment motivée, serait entachée d'une erreur de droit et d'une erreur manifeste d'appréciation et retiendrait une évaluation erronée de la somme réclamée.
10. En cinquième lieu, si ces sociétés appelantes soutiennent que le montant de la créance établie par le SMAC serait erroné dès lors que ce dernier se serait contenté de reprendre le montant " indicatif " établi par la Commission européenne, elles se limitent à produire un document, établi par un cabinet d'économistes, critique de l'évaluation opérée par cette Commission dans sa décision du 23 juillet 2014 dont il a déjà été dit que le bien-fondé ne peut utilement être contesté dans le cadre de la présente instance. Elles n'apportent en revanche pas d'éléments susceptibles d'établir que le montant de la créance retenu par le SMAC au regard
du montant déterminé par la Commission européenne serait erroné.
11. En sixième lieu, la condamnation du SMAC à payer une somme aux sociétés appelantes en vertu d'une sentence arbitrale relative aux conditions de résiliation des contrats conclus entre les parties au litige est, en application du principe de non-compensation des créances publiques, sans incidence sur le droit du SMAC à recouvrer intégralement les aides dont la récupération a été prescrite par la Commission européenne. En outre, le recouvrement intégral des aides en litige n'affecte pas le droit des mêmes sociétés au paiement par
le SMAC des sommes qui leur sont dues en exécution de la sentence du tribunal arbitral de Londres. Par suite, les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services Ltd ne sont pas fondées à soutenir que le SMAC aurait, en émettant le titre litigieux, méconnu les stipulations de l'article 1er du 1er protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. En septième et dernier lieu, il résulte des dispositions précitées aux points 4 et 5 que les autorités nationales étaient tenues, en vertu de la décision de la Commission européenne du 23 juillet 2014, dont la validité a du reste été confirmée par le Tribunal de l'Union européenne, de procéder à la récupération des aides auprès de leurs bénéficiaires. Par suite, les sociétés appelantes ne peuvent utilement se prévaloir du principe de confiance légitime pour demander l'annulation du titre exécutoire litigieux et obtenir la décharge de l'obligation de payer.
13. Il résulte de tout ce qui précède que les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services Ltd ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté leur demande. Leur requête, doit ainsi, sans qu'il y ait lieu de surseoir à statuer, être rejetée.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du SMAC, qui n'est pas partie perdante à l'instance, la somme que demandent les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services Ltd au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens.
15. Il y a lieu, en revanche, en application des mêmes dispositions, de mettre à la charge des sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services Ltd, parties perdantes à l'instance, la somme globale de 1 500 euros à verser au SMAC au titre des frais qu'il a exposés et qui ne sont pas compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête est rejetée.
Article 2 : Les sociétés Ryanair designated activity company et Airport marketing services Ltd verseront au SMAC la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code
de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Ryanair designated activity company,
à la société Airport marketing services limited et au syndicat mixte des aéroports de Charente.
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2019.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au préfet de la Charente en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01045