Par un jugement n° 1500316 du 27 septembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 novembre 2017 et 13 septembre 2018, MmeE..., veuveC..., représentée par MeD..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 27 septembre 2017 ;
2°) d'annuler la décision du 2 octobre 2014 par laquelle le ministre de la défense
a rejeté sa demande d'indemnisation présentée sur le fondement de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français ;
3°) d'enjoindre au ministre de réexaminer sa demande, dans un délai de deux mois
à compter de la notification de l'arrêt, en vue de lui proposer une indemnisation ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 3 500 euros à verser à son conseil
en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi
du 10 juillet 1991, au titre des frais exposés tant en première instance qu'en appel, sous réserve que son conseil renonce à percevoir la somme correspond à la part contributive de l'État
au titre de l'aide juridictionnelle.
Elle soutient que :
- le tribunal a, à tort, omis de faire application des dispositions de la loi
du 28 février 2017 en retenant le caractère négligeable du risque auquel son défunt mari a été soumis ;
- le jugement est insuffisamment motivé, d'une part, sur les raisons pour lesquelles
la probabilité d'une relation de causalité, évaluée à 0,02% par le CIVEN, entre l'exposition
aux rayonnements ionisants et la maladie radio-induite serait de nature à considérer que
son défunt mari n'a été exposé à aucun rayonnement ionisant alors que le calcul du forfait dosimétrique est erroné, d'autre part, sur les raisons qui permettent d'écarter la critique scientifique du logiciel employé par le CIVEN, enfin sur les relevés du service mixte de sécurité radiologique qui établissent la réalité de retombées anormalement élevées dans la zone sud-est
de Mururoa où se trouvait le bâtiment Foch dans les suites de l'essai Aldébaran
du 2 juillet 1966 ;
- le tribunal n'a pas pris en compte les éléments issus du rapport de la commission d'enquête sur les conséquences des essais nucléaires en Polynésie française par l'Assemblée territoriale de la Polynésie française de 2006, reprenant notamment le rapport de l'expertise
de l'AIEA sur Mururoa et Fangataufa de 1998, selon lequel la seule retombée radioactive reconnue officiellement pour l'essai Aldébaran est de 5,5 mSv sur Mangareva, ni le fait que
des retombées de l'essai Sirius du 4 et 5 octobre 1966 ont été détectées sur Papeete
et sur l'ensemble de la Polynésie française au moins jusqu'au 25 octobre 1966 ;
- seuls deux relevés sont évoqués par le ministre alors que l'intéressé a participé
à cinq essais, de sorte que la présomption de causalité ne peut être renversée, alors au surplus
que le caractère probant de ces relevés n'est pas établi, qu'aucun relevé pour le mois d'août 1966 n'est produit, qu'aucun relevé n'a été effectué lors des essais Bételgeuse du 11 septembre 1966, Rigel du 24 septembre 1966 et Sirius du 4 octobre 1966, que l'intéressé n'a fait l'objet d'aucune mesure de contamination interne, que les résultats présentés par le ministre montrent que certains militaires embarqués sur le bâtiment Foch lors de la campagne de 1966 ont reçu des doses comprises entre 1 et 5 mSv.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 août 2018, le ministre des armées conclut
au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par MmeE..., veuveC...,
ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 17 septembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée
au 19 novembre 2018.
Les parties ont été informées, le 14 février 2019, en application des dispositions
de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'application de l'article 232 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018, lequel a modifié l'article 4 de la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 relative
à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français.
Mme C...a présenté, le 22 février 2019, ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.
Le ministre des armées a présenté, le 25 mars 2019, ses observations sur le moyen susceptible d'être relevé d'office.
Mme C...a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle à hauteur
de 25 % par une décision du 30 novembre 2017.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2010-2 du 5 janvier 2010 ;
- la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 ;
- le décret n° 2014-1049 du 15 septembre 2014 ;
- le code de justice administrative ;
- l'avis du Conseil d'État n° 409777 du 28 juin 2017.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M.A... ;
- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. GuyC..., militaire de carrière, a été affecté en qualité de mécanicien aéronautique au sein de la flottille 31F embarquée sur le porte-avions Foch pendant la période allant
du 2 juillet au 7 décembre 1966 au cours de laquelle ce bâtiment a participé à la force
de protection de cinq essais nucléaires atmosphériques en Polynésie française. GuyC..., atteint d'un cancer du poumon diagnostiqué en début d'année 1989 est décédé
le 14 octobre 1989. Mme B...E..., veuve C...a déposé, le 6 janvier 2011, en sa qualité d'ayant-droit de son défunt mari, une demande d'indemnisation sur le fondement de la loi
du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français. Le ministre de la défense a, en dernier lieu, rejeté cette demande par
une décision du 2 octobre 2014, sur avis du Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN) ayant estimé que le risque attribuable aux essais nucléaires dans la survenue de la maladie de Guy C...pouvait être considéré comme négligeable. Mme C...relève appel du jugement du 27 septembre 2017 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision et demande qu'il soit enjoint au ministre
de lui proposer une indemnisation.
2. Aux termes de l'article 1er de la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l'indemnisation des victimes des essais nucléaires français, dans sa rédaction issue de la loi
du 28 décembre 2018, applicable aux instances en cours au lendemain de la publication
de cette loi, comme en l'espèce : " I- Toute personne souffrant d'une maladie radio-induite résultant d'une exposition à des rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et inscrite sur une liste fixée par décret en Conseil d'État conformément aux travaux reconnus par la communauté scientifique internationale peut obtenir réparation intégrale de son préjudice dans les conditions prévues par la présente loi. (...) III.-Lorsqu'une demande d'indemnisation fondée sur le I de l'article 4 a fait l'objet d'une décision de rejet par le ministre de la défense ou par le comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017 de programmation relative à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, le demandeur ou ses ayants droit, s'il est décédé, peuvent présenter une nouvelle demande d'indemnisation avant
le 31 décembre 2020.". Aux termes de l'article 2 de cette même loi : " La personne souffrant d'une pathologie radio-induite doit avoir résidé ou séjourné :/ 1° Soit entre le 13 février 1960 et le 31 décembre 1967 au Centre saharien des expérimentations militaires, ou entre
le 7 novembre 1961 et le 31 décembre 1967 au Centre d'expérimentations militaires des oasis ou dans les zones périphériques à ces centres ;/ 2° Soit entre le 2 juillet 1966 et le 31 décembre 1998 en Polynésie française./ Un décret en Conseil d'État délimite les zones périphériques mentionnées au 1°. ". L'article 4 de ladite loi dispose que : " I. Les demandes d'indemnisation sont soumises au comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires (...). V. Ce comité examine si les conditions sont réunies. Lorsqu'elles le sont, l'intéressé bénéficie d'une présomption de causalité, à moins qu'il ne soit établi que la dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique. (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 1333-11 du code de la santé publique : " I.-Pour l'application du principe de limitation défini au 3° de l'article L. 1333-2, la limite de dose efficace pour l'expositio de la population à des rayonnements ionisants résultant de l'ensemble des activités nucléaires est fixée à 1 mSv par an, à l'exception des cas particuliers mentionnés à l'article R. 1333-12./ II.-La limite de dose équivalente est fixée pour : 1° Le cristallin à 15 mSv par an ; 2° La peau
à 50 mSv par an en valeur moyenne pour toute surface de 1 cm2 de peau, quelle que soit
la surface exposée. ".
3. Il résulte de ces dispositions que le législateur a entendu que, dès lors qu'un demandeur satisfait aux conditions de temps, de lieu et de pathologie prévues par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010 modifiée, il bénéficie de la présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français et la survenance de sa maladie.
Cette présomption ne peut être renversée que si l'administration établit que la dose annuelle
de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français reçue par l'intéressé a été inférieure à la limite de dose efficace pour l'exposition de la population à des rayonnements ionisants fixée, dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.
4. Il résulte de l'instruction que Guy C...a séjourné dans des lieux et pendant
une période définie par l'article 2 de la loi du 5 janvier 2010. La pathologie dont il a souffert figure sur la liste annexée au décret du 15 septembre 2014. Il bénéficie donc d'une présomption de causalité entre l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français
et la survenue de sa maladie.
5. Si le ministre se prévaut du port par Guy C...de deux dosimètres individuels externes pendant les périodes allant du 23 juin au 31 juillet puis du 1er septembre
au 11 octobre 1966 dont les résultats ont été nuls, il se limite à produire un relevé établi
le 15 février 2012 alors qu'il résulte de l'instruction que l'intéressé n'a fait l'objet d'aucune mesure de contamination interne, que certains des militaires embarqués sur le bâtiment Foch lors de la campagne de 1966, bien qu'affectés à d'autres fonctions, ont reçus des doses comprises entre 1 et 5 mSv et que l'essai Aldébaran du 2 juillet 1966 a entraîné des retombées radioactives sur l'archipel des Gambier où se trouvait le bâtiment. Dans ces conditions, le ministre ne peut être regardé comme établissant que Guy C...aurait reçu une dose annuelle de rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires français inférieure à la limite fixée dans les conditions prévues au 3° de l'article L. 1333-2 du code de la santé publique, à 1 mSv par an.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C...est fondée à soutenir que c'est
à tort que, par le jugement attaqué du 27 septembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers
a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de la défense
du 2 octobre 2014.
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
7. Il résulte des dispositions citées au point 2 que lorsque le juge statue sur une décision antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2017-256 du 28 février 2017, il se borne, s'il juge qu'elle est illégale, à l'annuler et à renvoyer au CIVEN le soin de réexaminer la demande.
8. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 7 que le présent arrêt implique nécessairement que le CIVEN réexamine la demande introduite par Mme C...et lui adresse une proposition d'indemnisation tendant à la réparation intégrale des préjudices subis
par son défunt mari en raison de l'exposition aux rayonnements ionisants dus aux essais nucléaires. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au CIVEN d'adresser à Mme C...une proposition d'indemnisation dans un délai de six mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Mme C...a obtenu l'aide juridictionnelle partielle au taux de 25 % par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 30 novembre 2017. Elle n'allègue pas avoir engagé d'autres frais que ceux partiellement pris en charge à ce titre. L'avocat de Mme C...demande que lui soit versée la somme correspondant aux frais exposés qu'il aurait réclamée à sa cliente si cette dernière n'avait pas bénéficié de l'aide juridictionnelle. Dans ces conditions, il y a lieu de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros, à verser à Me D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 27 septembre 2017 est annulé.
Article 2 : La décision du ministre de la défense du 2 octobre 2014 est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires d'adresser une proposition d'indemnisation à Mme C...dans le délai de six mois à compter
de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me D...une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative sous réserve que celui-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B...E..., veuveC...,
au ministre des armées et au Comité d'indemnisation des victimes des essais nucléaires et
à MeD....
Délibéré après l'audience du 28 mai 2019 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 25 juin 2019.
Le rapporteur,
Didier A...
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX003563