Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 11 mai 2017 et 20 juillet 2018,
M. B... du Plouy, représenté par la société d'avocats Legal et Ressources, demande
à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 28 février 2017 ;
2°) de condamner l'État à lui verser la somme de 35 000 euros en réparation de son préjudice moral et une somme de 18 000 euros au titre de ses préjudices matériels ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 4 200 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont estimé qu'il n'apportait aucun élément de nature à justifier son préjudice moral alors que celui-ci est caractérisé du fait de l'illégalité de la décision de licenciement pour insuffisance professionnelle dont il a fait l'objet et des différents comportements fautifs de l'administration qui l'ont conduite à adopter la prolongation de stage puis cette décision de radiation des cadres ;
- contrairement à ce qu'a jugé le tribunal administratif de Toulouse, il a exposé des dépenses à la suite de la décision fautive de l'administration du 12 juillet 2002, notamment pour retrouver un poste d'ingénieur d'études correspondant à ses qualifications et ses compétences et a, à ce titre, passé les concours organisés par les établissements universitaires d'Évry, Orléans, Pau et Nantes et a engagé des frais de déplacement, de séjour et de bouche pour lesquels il réclame une indemnité de 3 500 euros ; son licenciement illégal l'a également exposé à des frais de déménagement d'un montant de 4 500 euros et de résiliation d'un contrat de service
de 450 euros ;
- la reconstitution de carrière dont il a bénéficié n'a pas indemnisé le préjudice de progression professionnelle liée à la perte d'une chance d'accéder au grade d'ingénieur d'études de 1ère classe dans des conditions équivalentes à celles des autres membres du corps compte tenu de son parcours professionnel et de bénéficier des mêmes conditions d'avancement d'échelon que ses homologues du grade.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juin 2018, le ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- c'est à bon droit que le tribunal administratif de Toulouse a relevé que le requérant n'apportait aucune précision ou élément de nature à justifier le préjudice moral allégué, dont la réparation à hauteur de 35 000 euros est en tout état de cause manifestement excessive ;
- M. B...du Plouy n'est pas fondé à demander une réparation au titre de la prolongation de son stage et ne peut davantage invoquer des préjudices financiers liés à des déménagements, la vente d'un bien immobilier, la résiliation d'un contrat de rencontres matrimoniales ou des frais de déplacement de séjour et de bouche pour se porter candidat à d'autres concours, dès lors que ces préjudices résultent de choix personnels, qu'il n'est pas établi qu'ils présenteraient un lien de causalité direct et certain avec la faute commise par l'État et qu'il n'apporte, au demeurant, aucun élément, à l'exception de deux billets de train, de nature à en établir le montant ni même la réalité ;
- il n'est pas fondé à se prévaloir d'une perte de chance sérieuse d'accéder au grade d'ingénieur d'études de 1ère classe dès lors que l'avancement à ce grade, auquel il ne peut prétendre avant d'avoir accompli au moins un an au 8ème échelon de la 2ème classe, se fait au choix et ne constitue pas un droit, de sorte que la perte de chance invoquée ne peut constituer un préjudice certain ; il ne peut se plaindre de ce qu'il n'aurait pas bénéficié d'un avancement minimal d'échelon lors de la reconstitution de carrière.
Par ordonnance du 23 juillet 2018, la clôture d'instruction a été fixée
au 5 septembre 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- et les conclusions de M. Normand, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...du Plouy, qui avait été nommé ingénieur d'études et affecté au sein du laboratoire d'optique à l'université de Franche-Comté en qualité de stagiaire à compter
du 1er septembre 2000 par arrêté ministériel du 20 novembre 2000, et dont le stage avait été prolongé d'une année à compter du 1er septembre 2001, a été radié des cadres par un arrêté ministériel du 12 juillet 2012. La présente cour a, par un arrêt du 19 février 2009, annulé cette décision aux motifs que l'évaluation, au terme de laquelle le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a été conduit à refuser la titularisation de l'intéressé, a été engagée moins de sept mois après le début de la période de prolongation de son stage et qu'en conséquence l'appréciation de la manière de servir avait porté sur une période globale de stage inférieure de cinq mois à la durée statutaire du stage après prolongation, en méconnaissance des dispositions de l'article 133 du décret du 31 décembre 1985 fixant les dispositions statutaires applicables aux ingénieurs et personnels techniques et administratifs de recherche et de formation du ministère de l'éducation nationale. En exécution de cet arrêt, M. B...du Plouy a été placé de nouveau en situation de stage dans le corps des ingénieurs des études auprès de l'Université Paul Sabatier à Toulouse, et, par un arrêté du 16 décembre 2010, a été titularisé à compter du 1er septembre 2002 avec reconstitution de carrière.
2. Se plaignant d'avoir été victime de dysfonctionnements dans la mise en oeuvre de son stage probatoire au sein de l'Université de Franche-Comté et se fondant sur l'illégalité de l'arrêté du 12 juillet 2002, M. B...du Plouy a formé, le 21 octobre 2010, auprès du ministre chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche une réclamation préalable indemnitaire tendant à la réparation de ses préjudices matériels et moraux et, en l'absence de réponse, a saisi le tribunal administratif de Toulouse. Il relève appel du jugement n° 1400430 du 28 février 2017, par lequel le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande et conclut dans la présente instance à la condamnation de l'État à lui verser une indemnité de 35 000 euros au titre de ses préjudices moraux et une somme de 18 000 euros au titre de ses préjudices matériels.
3. En principe, toute illégalité commise par l'administration constitue une faute susceptible d'engager sa responsabilité, pour autant qu'il en soit résulté un préjudice direct et certain.
4. En premier lieu et ainsi que l'a rappelé le tribunal administratif de Toulouse, l'illégalité dont est entaché l'arrêté du 12 juillet 2002 ayant mis fin aux fonctions
de M. B...du Plouy à compter du 31 août 2002, est constitutive d'une faute. Si l'appelant demande le remboursement de frais de déplacement, de séjour et de bouche qu'il aurait exposés à l'occasion des démarches qu'il a été contraint d'engager pour retrouver un emploi d'ingénieur à la suite de son éviction illégale, il ne justifie pas, par la seule production des courriers des universités concernant les concours qu'il a passés en 2003 à Évry, Pau et Orléans et à Nantes en 2007, de la réalité et du montant de 3 500 euros qu'il réclame en réparation du préjudice matériel en résultant. Il en est de même de la matérialité des frais de déménagement pour lesquels il réclame une indemnité de 4 500 euros en l'absence de toutes pièces justificatives. Il n'établit pas non plus que la vente de son logement toulousain à la suite de la résiliation du bail de ses locataires serait directement liée à un changement d'habitation rendu nécessaire par cette décision du 12 juillet 2002. Il ne peut davantage se prévaloir, en l'absence de tout lien de causalité avec l'illégalité de la décision du 12 juillet 2002 d'un préjudice issu de la résiliation d'un contrat de service qu'il avait souscrit auprès d'une agence matrimoniale à Besançon
en juin 2001. Ainsi, c'est à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande d'indemnisation.
5. En deuxième lieu, il est constant que l'avancement au choix ne constitue pas un droit. La situation dont se plaint M. B...du Plouy, tirée de ce qu'il ne pourra se prévaloir lors de la présentation de sa candidature pour une inscription sur la liste d'aptitude au corps supérieur d'ingénieur d'études 1ère classe, d'une expérience professionnelle concrète dans les fonctions d'ingénieur des études depuis le 1er septembre 2002, à la différence de ses collègues qui ont réellement occupé de telles fonctions, n'est pas de nature à établir l'existence d'un préjudice de carrière. Ainsi, la perte de chance d'avancement à ce grade ne peut constituer un préjudice certain pour M. B...du Plouy. Ce dernier ne justifie pas non plus, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Toulouse, de l'existence d'un préjudice de carrière résultant des avancements d'échelon dont il a bénéficié au titre de la reconstitution de sa carrière à laquelle il a été procédé par l'arrêté du 16 décembre 2000. M. B...du Plouy n'est par suite pas fondé à demander l'indemnisation d'un préjudice de carrière.
6. S'agissant, en troisième et dernier lieu, du préjudice moral dont M. B...du Plouy fait valoir qu'il découle des conditions suivant lesquelles la prolongation de son stage d'abord et sa radiation des cadres ensuite ont été décidées, il en sera fait une juste appréciation, eu égard à la faute commise et aux modalités de maintien dans la qualité de stagiaire, en l'évaluant à la somme de 5 000 euros.
7. Il résulte de ce qui précède que M. B...du Plouy est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulouse a rejeté sa demande indemnitaire. L'État doit être condamné à lui verser une indemnité limitée à la somme
de 5 000 euros.
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B...du Plouy et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1400430 du 28 février 2017 du tribunal administratif de Toulouse est annulé.
Article 2 : L'État est condamné à verser à M. B...du Plouy une indemnité de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral.
Article 3 : L'État versera à M. B...du Plouy une somme de 1 500 euros au titre de
l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B...du Plouy est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B...du Plouy et au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.
Délibéré après l'audience du 30 avril 2019, à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
M. Didier Salvi, président-assesseur,
Mme Aurélie Chauvin, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 mai 2019.
Le rapporteur,
Aurélie A...
Le président,
Éric Rey-BèthbéderLe greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01496