Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés les 12 février 2020 et 1er juillet 2020, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Pau du 17 septembre 2019 ;
2°) d'annuler la décision de fait par laquelle le directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a suspendu le bénéfice des conditions matérielles d'accueil dont il bénéficiait en sa qualité de demandeur d'asile ;
3°) d'enjoindre au directeur territorial de l'Office français de l'immigration et de l'intégration de lui verser rétroactivement l'allocation pour demandeur d'asile depuis le 12 décembre 2017 ;
4°) de mettre à la charge de l'Office français de l'immigration et de l'intégration la somme de 1 200 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- la décision en litige, qui n'est ni motivée ni écrite, méconnaît les dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'aucune des conditions prévues par ces dispositions n'est remplie.
- elle a été prise en méconnaissance des dispositions des articles L. 744-8 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle n'a pas pris en compte sa vulnérabilité.
Par une ordonnance du 6 mars 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 16 avril 2020 à 12 heures.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 juin 2020, l'Office français de l'immigration et de l'intégration conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. E... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 16 juin 2020, l'instruction a été rouverte.
Par une ordonnance du 18 juin 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 8 juillet 2020 à 12 heures.
Un mémoire présenté par l'Office français de l'immigration et de l'intégration a été enregistré le 30 octobre 2020 et n'a pas été communiqué.
Par une ordonnance du 20 octobre 2020, l'instruction a été rouverte.
Par une ordonnance du 20 octobre 2020, la clôture d'instruction a été fixée au 3 novembre 2020 à 12 heures.
Par une décision du 16 janvier 2020, M. E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale.
Vu/
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant soudanais, né le 1er mars 1993, déclare être entré en France le 27 mars 2017 en qualité de demandeur d'asile. Le 5 mai 2017, il a été placé en procédure " Dublin " et a accepté les conditions matérielles d'accueil proposées par l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). Par un arrêté du 22 septembre 2017, le préfet des Pyrénées-Atlantiques a décidé de transférer M. E... aux autorités italiennes pour l'examen de sa demande d'asile. Par un courrier du 12 décembre 2017, l'Office français de l'immigration et de l'intégration lui a notifié son intention de suspendre ses conditions matérielles d'accueil et l'a invité à formuler des observations dans un délai de quinze jours. Par un courrier du 28 décembre 2017, M. E... a fait part de ses observations. M. E... a demandé l'annulation de la décision par laquelle le directeur territorial de l'OFII a suspendu ses conditions matérielles d'accueil à compter de la fin du mois de décembre 2017. Par une ordonnance du 31 octobre 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a suspendu cette décision. Par un jugement n° 1802351 du 17 septembre 2019, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa requête à fin d'annulation. M. E... relève appel de ce jugement.
Sur la légalité de la décision de suspension des conditions matérielles d'accueil :
2. Il résulte de l'article 20 de la directive 2013/33/UE du 26 juin 2013 que, s'il est possible, dans des cas exceptionnels et dûment justifiés, de retirer les conditions matérielles d'accueil à un demandeur d'asile, d'une part ce retrait ne peut intervenir qu'après examen de la situation particulière de la personne et être motivé, d'autre part, l'intéressé doit pouvoir solliciter le rétablissement des conditions matérielles d'accueil lorsque le retrait a été fondé sur l'abandon du lieu de résidence sans information ou autorisation de l'autorité compétente, sur la méconnaissance de l'obligation de se présenter aux autorités ou de se rendre aux rendez-vous qu'elle fixe ou sur l'absence de réponse aux demandes d'information.
3. Aux termes de l'article L. 744-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au litige : " Le bénéfice des conditions matérielles d'accueil peut être : / 1° Suspendu si, sans motif légitime, le demandeur d'asile a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'informations ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile ; (...) La décision de suspension, de retrait ou de refus des conditions matérielles d'accueil est écrite et motivée. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur. / La décision est prise après que l'intéressé a été mis en mesure de présenter ses observations écrites dans les délais impartis. ". Aux termes de l'article D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au litige : " La décision de suspension, de retrait ou de refus de l'allocation est écrite, motivée et prise après que l'allocataire a été mis en mesure de présenter à l'Office français de l'immigration et de l'intégration ses observations écrites dans le délai de quinze jours. Elle prend en compte la vulnérabilité du demandeur ". Aux termes de l'article D. 744-35 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa version applicable au litige : " Le versement de l'allocation peut être suspendu lorsqu'un bénéficiaire : / 1° A refusé une proposition d'hébergement dans un lieu mentionné à l'article L. 744-3 ; / 2° Sans motif légitime, n'a pas respecté l'obligation de se présenter aux autorités, n'a pas répondu aux demandes d'information ou ne s'est pas rendu aux entretiens personnels concernant la procédure d'asile ; / 3° Sans motif légitime, a abandonné son lieu d'hébergement déterminé en application de l'article L. 744-7 ou s'est absenté du lieu d'hébergement sans justification valable pendant plus de cinq jours ; / 4° Cesse temporairement de remplir les conditions d'attribution ; / 5° Ne produit pas les documents nécessaires à la vérification de son droit à l'allocation. /L'interruption du versement de l'allocation prend effet à compter de la date de la décision de suspension. ".
4. Il résulte des pièces du dossier que l'OFII a notifié à M. E... son intention de suspendre ses conditions matérielles d'accueil par un courrier en date du 12 décembre 2017 qui mentionnait que l'intéressé n'avait " pas respecté son obligation de se présenter aux autorités et/ou n'avait pas répondu aux demandes d'information ". M. E... a présenté ses observations par un courrier du 28 décembre 2017 dans lequel il indique avoir respecté ses obligations de se présenter aux autorités et notamment aux autorités de police dans le cadre de son assignation à résidence.
5. Cependant il est constant que M. E... a été expulsé du centre d'hébergement pour demandeur d'asile dès la fin du mois de décembre 2017 et qu'il a cessé de percevoir dans le courant du même mois l'allocation pour demandeur d'asile. Ces circonstances révèlent l'existence d'une décision de fait, non formalisée, de suspension des conditions matérielles d'accueil.
6. A supposer que la mesure de suspension des conditions matérielles d'accueil de M. E... ait alors été fondée sur le non-respect de son obligation de se présenter aux autorités, comme le soutient l'OFII en défense, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé, alors d'ailleurs que même les procès-verbaux des services de police des 12 octobre et 7 décembre 2017, dans lesquels l'intéressé déclare refuser regagner l'Italie, comportent sa signature, qu'il ne serait pas resté à la disposition de l'administration et ne se serait pas présenté aux convocations qu'il a reçues. Par ailleurs et postérieurement, par une ordonnance n° 1800370 du 22 février 2018, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a considéré que l'intéressé ne pouvait être regardé comme s'étant soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l'autorité administrative et a suspendu la décision par laquelle l'autorité préfectorale l'avait déclaré en fuite.
7. Dans ces conditions, quand bien même l'autorité compétente aurait formalisé la décision le 23 février 2018, et alors qu'au demeurant la suspension des conditions matérielles d'accueil au mois de décembre 2017 n'a pas fait l'objet d'une décision écrite et motivée, cette suspension est intervenue en méconnaissance des dispositions précitées des articles L. 744-8, D. 744-35 et D. 744-38 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
8. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande et que ce jugement doit, dès lors, être annulé ainsi que la décision de décembre 2017 attaquée.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
9. Il résulte de l'instruction, d'une part, que M. E... a bénéficié, à la suite d'une ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau intervenue dans une procédure distincte, du versement rétroactif, à compter du mois de décembre 2017, de l'allocation pour demandeur d'asile, d'autre part, que l'intéressé a ensuite bénéficié de la protection subsidiaire accordée par une décision du 4 décembre 2019 de la cour nationale du droit d'asile. Il suit de là que ses conclusions tendant au rétablissement de son allocation pour demandeur d'asile ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions présentées en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
10. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, en application des dispositions précitées, de condamner l'OFII, partie perdante dans la présente instance, à verser la somme de 1 200 euros à Me D..., qui renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du 17 septembre 2019 du tribunal administratif de Pau et la décision du mois de décembre 2017 de l'OFII sont annulés.
Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 3 : L'OFII versera à Me D..., qui renonce au bénéfice de la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E... et à l'Office français de l'immigration et de l'intégration.
Délibéré après l'audience du 14 décembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. C... B..., président,
Mme F... G..., présidente-assesseure,
Mme Déborah de Paz, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 11 janvier 2021.
Le président,
Didier B...
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX00488 2