Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 5 décembre 2017, la préfète de la Vienne demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 14 novembre 2017 et de rejeter les demandes présentées par M. et Mme E...devant le tribunal administratif de Poitiers.
Elle soutient que :
- les juges de première instance n'ont pris en compte ni ses mémoires, ni ses pièces complémentaires qui démontraient pourtant l'existence d'un traitement approprié et de structures médicales adaptées à la pathologie de M. E...dans son pays d'origine ;
- son arrêté ne méconnaît pas les dispositions du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile puisque le traitement suivi par M. E... est disponible en Arménie ainsi que le démontrent les documents produits, dont les fiches MedCOI, qui ne sauraient être écartés au seul motif qu'ils sont rédigés en anglais ;
- M. E...s'étant vu refuser à bon droit la délivrance d'un titre de séjour, le refus de titre de séjour opposé à son épouse ne méconnait pas les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle s'en remet à ses écritures de première instance concernant les autres moyens.
Par un mémoire enregistré le 13 février 2018, M. et Mme E...représentés par MeC..., demandent à la cour :
- de rejeter la requête de la préfète de la Vienne ;
- de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à la SCP Breillat-Dieumegard-C... au titre des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve pour la SCP de renoncer à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Ils soutiennent que :
- comme l'a jugé le tribunal, l'état de santé de M. E...nécessite une prise en charge médicale spécialisée dont le défaut serait susceptible d'entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et dont le traitement indispensable à son état de santé n'est pas disponible dans son pays d'origine ;
- l'administration ne produit aucun élément de nature à infirmer le sens de l'avis émis par le MARS ;
- la présence de son épouse à ses côtés est indispensable compte tenu de la gravité de son état de santé et de l'importance de son traitement médical ;
- Mme E...souffre également de problèmes psychiques qui se sont aggravés à la suite du décès de son fils ; toutes ses attaches familiales sont désormais en France, un pays que ne peut quitter son mari compte tenu de son état de santé ; ainsi, la décision de refus de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit de mener une vie privée et familiale normale, en méconnaissance de l'article 8 de la CESDH, et elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 12 janvier 2018, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 20 février 2018 à 12h00.
M. et Mme E...ont été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 22 mars 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Sabrina Ladoire a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. et MmeE..., ressortissants arméniens, déclarent être entrés en France le 2 novembre 2013. Leur demande d'asile a été rejetée par l'OFPRA le 24 août 2015, puis par la CNDA le 29 avril 2016. Ils ont sollicité le réexamen de leur demande d'asile, mais ces demandes ont été rejetées par l'OFPRA le 12 août 2016 pour irrecevabilité. Ces rejets ont été confirmés par la CNDA le 30 décembre 2016. En conséquence, par des arrêtés du 2 août 2017, la préfète de la Vienne a refusé de leur délivrer un titre de séjour, leur a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Par un jugement n°s 1701945, 1701946 du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Poitiers a annulé ces arrêtés et a enjoint à la préfète de réexaminer leur demande. La préfète relève appel de ce jugement.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Contrairement à ce que soutient la préfète, le tribunal administratif de Poitiers a examiné le bien-fondé de la demande des époux E...en prenant en considération l'ensemble des éléments qui avaient été présentés en défense par l'administration, et qui ont d'ailleurs été visés dans ce jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement serait, pour ce motif, entaché d'irrégularité, ne peut qu'être écarté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
3. En premier lieu, aux termes de l'article L.313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 11° A l'étranger résidant habituellement en France dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays dont il est originaire, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle appréciée par l'autorité administrative après avis du directeur général de l'agence régionale de santé, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative, après avis du médecin de l'agence régionale de santé de la région de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général de l'agence (...) ". En vertu de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour temporaire au vu d'un avis émis par le médecin de l'agence régionale de santé compétente au regard du lieu de résidence de l'intéressé, désigné par le directeur général. Par dérogation, à Paris, ce médecin est désigné par le préfet de police. / L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin agréé ou un médecin praticien hospitalier et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de traitement dans le pays d'origine de l'intéressé. Quand la commission médicale régionale a été saisie dans les conditions prévues à l'article R. 313-26, l'avis mentionne cette saisine. / L'étranger mentionné au 11° de l'article L. 313-11 qui ne remplirait pas la condition de résidence habituelle peut recevoir une autorisation provisoire de séjour renouvelable pendant la durée du traitement ". Enfin, l'arrêté du 9 novembre 2011 pris pour l'application de ces dispositions prévoit que le médecin de l'agence régionale de santé émet un avis précisant si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale, si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, s'il existe dans le pays dont l'étranger est originaire, un traitement approprié pour sa prise en charge médicale, quelle est la durée prévisible du traitement, et peut, dans le cas où un traitement approprié existe dans le pays d'origine, au vu des éléments du dossier du demandeur, indiquer si l'état de santé de l'étranger lui permet de voyager sans risque vers ce pays.
4. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi, sauf circonstance humanitaire exceptionnelle. La partie qui justifie d'un avis du médecin de l'agence régional de santé qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.
5. Il ressort des pièces du dossier que, saisi de la demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade de M.E..., le médecin de l'agence régionale de santé a estimé, par un avis du 14 février 2017, que l'état de santé de ce dernier nécessitait une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'il ne pourrait disposer d'un traitement approprié en Arménie. Pour annuler le refus opposé par le préfet à la demande de carte de séjour présentée par M. E...sur le fondement des dispositions citées au point 2, le tribunal administratif a estimé que le préfet, en produisant uniquement des documents rédigés en anglais et dépourvus de valeur probante, n'avait pas apporté d'éléments suffisants permettant de contredire cet avis du médecin de l'ARS en ce qui concerne les possibilités de prise en charge médicale des pathologies de l'intéressé en Arménie et la disponibilité dans ce pays des traitements qui lui sont prescrits.
6. Selon les certificats médicaux produits par M. E...et datés des 26 mai et 1er décembre 2016, ce dernier souffre notamment d'une cardiopathie ischémique ayant nécessité un quadruple pontage aorto-coronarien en 2014, et impliquant désormais l'administration d'un lourd traitement à visée coronarienne, ainsi qu'une surveillance cardiologique particulière et spécialisée dont il ne pourrait disposer en Arménie. Pour infirmer le sens de l'avis émis par le médecin de l'ARS, la préfète de la Vienne a relevé, dans l'arrêté attaqué, " que l'Arménie dispose des soins et équipements nécessaires au traitement de nombreuses pathologies et qu'ainsi, compte tenu de ces informations, rien ne s'oppose à ce que l'intéressé bénéficie des traitements nécessaires à sa pathologie dans son pays d'origine ". Cet arrêté a en outre souligné que M. E..." ne démontre pas une impossibilité d'accéder effectivement à des soins dans son pays d'origine, ni que la poursuite de son traitement ne puisse se dérouler qu'en France. ". Cependant, pour contredire l'ensemble des avis médicaux concernant l'état de santé du requérant et la disponibilité des soins en Arménie, la préfète s'est bornée à produire une liste d'hôpitaux publiée sur internet, proposant pour certains d'entre eux des consultations en cardiologie, à relever l'existence d'un centre médical spécialisé dans les interventions cardiaques, et à fournir une liste de médicaments disponibles dans ce pays. Or, ces documents généraux ne sont pas de nature à infirmer le sens de l'avis émis par le médecin de l'ARS et à établir que les soins nécessités par l'état de santé du requérant seraient disponibles en Arménie. Dans ces conditions, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé que le refus de séjour opposé à M. E...par la préfète de la Vienne méconnaissait les dispositions du 11° de l'article 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et ont donc prononcé l'annulation de cette décision, ainsi que, par voie de conséquence, des décisions portant éloignement et fixation du pays de renvoi.
7. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Mme E...est entrée avec son mari en novembre 2013 en France où sa fille, son gendre et ses petits-enfants résident de manière régulière et où son fils, décédé le 13 septembre 2014, a été inhumé. Dans la mesure où le présent jugement confirme l'annulation des décisions prises à l'encontre de son mari au motif que ce dernier ne pourrait disposer d'un traitement médical approprié dans son pays d'origine, la décision refusant à Mme E...la délivrance d'un titre de séjour porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale, en méconnaissance des stipulations précitées. Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont annulé la décision refusant à Mme E...la délivrance d'un titre de séjour, ainsi que, par voie de conséquence, les décisions lui faisant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de renvoi.
9. Il résulte de ce qui précède que la préfète de la Vienne n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé les arrêtés susvisés du 2 août 2017.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. M. et Mme E...ont obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, leur avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C...renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à MeC....
DECIDE :
Article 1er : La requête de la préfète de la Vienne est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me D...C...représentant M. et Mme E..., la somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à M. A...E...et Mme B...F...épouseE..., à Me D...C...et à la préfète de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 15 mars 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président- assesseur,
Mme Sabrina Ladoire, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 10 avril 2018.
Le rapporteur,
Sabrina LADOIRELe président,
Aymard de MALAFOSSELe greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt. Pour expédition certifiée conforme.
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N° 17BX03791