Procédure devant la cour :
I°/ Par une requête, enregistrée le 17 mai 2018 sous le n° 18BX01998, la commune de Saint-Estèphe, représentée par MeB..., demande à la cour :
1°) d'ordonner avant dire-droit une expertise en vue d'évaluer l'état de santé psychologique de Mme E...au mois d'avril 2016 et de rechercher si elle souffrait d'un trouble psychique à la date où elle a été mise en demeure de reprendre ses fonctions ;
2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mars 2018 ;
3°) de rejeter la demande de Mme E...;
4°) de mettre à la charge de Mme E...la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a annulé la décision de radiation des cadres pris à l'encontre de Mme E...le 20 avril 2016 au motif que son état psychologique ne lui permettait pas d'apprécier la portée de la mise en demeure de reprendre son service qui lui a été adressée et de prendre les dispositions nécessaires pour y répondre ; l'intéressée n'établit pas, par les pièces versées au dossier de première instance, qu'elle n'aurait pas disposé de facultés intellectuelles suffisantes pour comprendre ce document ; les premiers juges ne pouvaient utilement se fonder sur des certificats médicaux et un jugement du juge des tutelles postérieurs à la radiation de la requérante ; par ailleurs, Mme E...a suivi au long de sa carrière des formations et des stages sans difficulté apparente, de même qu'elle a accompli ses fonctions au sein de la commune sans qu'il soit fait état de problème particulier, ce qui laisse perplexe sur ses difficultés de compréhension ;
- le contenu de la mise en demeure de reprendre le travail, qui était tout à fait explicite, lui a de surcroît été expliqué par le maire lors d'un entretien qui s'est tenu le 14 avril 2016 en présence de membres du conseil municipal et de fonctionnaires communaux dont les témoignages figurent au dossier ; ainsi, en ne se présentant sur son lieu de travail le jour imparti, soit le 18 avril 2016, et en l'absence de production de justificatif d'ordre médical, Mme E...s'est placée en situation d'abandon de poste ;
- il est demandé, en tout état de cause, sur le fondement de l'article R. 621-1 du code de justice administrative, que soit ordonnée une expertise médicale en vue, notamment, de déterminer l'état de santé de Mme E...sur le plan psychologique au moment où elle a été destinataire de la mise en demeure ;
- statuant par l'effet dévolutif de l'appel, la cour devra rejeter la requête présentée par Mme E...en première instance ;
- au titre de la légalité externe, Mme E...n'est pas fondée à se prévaloir de vices de procédure dès lors que, d'une part, la mise en demeure est intervenue dans des conditions régulières, d'autre part, l'intéressée a bénéficié d'un délai approprié pour réintégrer son poste, enfin, l'arrêté portant radiation des cadres ne saurait être regardé comme ayant été édicté trop rapidement après la mise en demeure ;
- au titre de la légalité interne, Mme E...ne pouvait utilement soutenir que, étant en position régulière de maladie jusqu'au 30 avril 2016, la lettre du 14 avril 2016 ne constituait pas une mise en demeure valable puisque, le 3 mars 2016, elle avait été reconnue apte à reprendre ses fonctions par un médecin agréé et que la commission départementale de réforme avait statué le 6 avril 2016 sur son aptitude à rejoindre son poste ; de surcroît, l'intéressée n'a pas contesté l'avis de cette instance et n'a produit aucun document médical nouveau de nature à justifier sa non-reprise de travail.
Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2018, Mme D...épouse E...conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la commune de Saint-Estèphe à lui verser la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- la mesure d'expertise sollicitée par la commune est inutile ;
- il a été démontré qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier la portée de la mise ne demeure, de sorte que le jugement doit être confirmé ;
- les autres moyens invoqués en première instance justifieraient, s'il en était besoin, l'annulation prononcée.
II°/ Par une requête enregistrée le 24 mai 2018 sous le n° 18BX02094, la commune de Saint-Estèphe, représentée par MeB..., demande à la cour, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de surseoir à l'exécution du jugement susvisé n° 1603290 du 21 mars 2018 du tribunal administratif de Bordeaux.
Elle soutient que les moyens qu'elle invoque à l'appui du recours au fond sont sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation du jugement attaqué, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce jugement.
Par un mémoire enregistré le 3 octobre 2018, Mme D...épouse E...conclut au rejet de la requête.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l'application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Aymard de Malafosse,
- les conclusions de Mme Déborah de Paz, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant la commune de Saint-Estèphe, et de Me A..., représentant Mme D...épouseE....
Considérant ce qui suit :
1. MmeE..., adjointe technique territoriale employée depuis le 1er septembre 2002 par la commune de saint-Estèphe, a été victime d'un accident, le 18 février 2016, dans le cadre de son activité professionnelle. Elle a, à ce titre, été placée en congé de maladie ordinaire du 19 février 2016 au 4 mars 2016. Lors de sa séance du 6 avril 2016, la commission départementale de réforme des agents des collectivités territoriales a reconnu cet accident imputable au service et a déclaré l'intéressée apte à reprendre le travail sur son poste, la consolidation de son état étant fixée au 3 mars 2016. Par une lettre du 14 avril 2016, le maire l'a mise en demeure de réintégrer ses fonctions au plus tard le 18 avril 2016 à 8 heures 30 et lui a précisé qu'à défaut, sa radiation des cadres sans procédure disciplinaire préalable serait prononcée. MmeE..., qui n'a pas déféré à cette injonction, a été radiée des cadres à compter du 25 avril 2016 pour abandon de poste par un arrêté du 20 avril 2016 du maire de Saint-Estèphe. Son recours gracieux contre cette décision a été rejeté le 23 juin 2016. Par une requête enregistrée sous le n° 18BX01998, la commune de Saint-Estèphe relève appel du jugement du 21 mars 2018 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a annulé ces deux décisions. Par une requête enregistrée sous le n° 18BX02094, la commune demande qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement.
Sur la requête n° 18BX01998 :
2. Il ressort des pièces du dossier, en particulier du certificat médical établi par le docteur Holle, médecin spécialiste, le 1er juin 2016, soit moins de deux mois après la radiation des cadres de MmeE..., que celle-ci souffre d'un " retard mental léger avec une idéation lente et pauvre, des troubles de la compréhension... ". Le docteur Coularis, médecin psychiatre exerçant au centre hospitalier Charles Perrens, qui a examiné l'intéressée dans le cadre d'une demande de reconnaissance de la qualité d'handicapé auprès de la maison départementale des personnes handicapées, souligne dans un certificat du 31 juillet 2017 que ce retard existe " depuis son jeune âge ", que l'intéressée rencontre des difficultés dans les apprentissages et a besoin d'aide dans la gestion du budget et du quotidien. Mme E...a par ailleurs été placée sous curatelle renforcée par un jugement du tribunal d'instance de Bordeaux le 31 octobre 2016. Même si ces éléments sont postérieurs à l'arrêté attaqué, ils révèlent l'existence d'un état pathologique antérieur de nature à troubler le discernement de Mme E...au moment où est intervenue la mise en demeure du 14 avril 2016. Dans ces conditions, il doit être regardé comme établi que l'intéressée, à qui son médecin traitant avait remis le 31 mars 2016 un certificat d'arrêt de travail valable jusqu'au 30 avril, n'a pas été en mesure d'apprécier la portée des conséquences de la mise en demeure de rejoindre son poste, quand bien même la teneur de ce document lui aurait été expliquée oralement par le maire de la commune. Dès lors, la commune de Saint-Estèphe n'a pu légalement radier des cadres pour abandon de poste MmeE....
3. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'ordonner la mesure d'expertise demandée par la commune de Saint-Estèphe, que cette collectivité n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté du 20 avril 2016 de son maire prononçant la radiation des cadres de Mme E...à compter du 25 avril 2016 ainsi que la décision du 23 juin 2016 portant rejet du recours gracieux de l'intéressée. Par voie de conséquence, les conclusions de la commune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la commune le versement de la somme de 1 500 euros à Mme E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête n° 18BX02094 :
4. Dès lors que le présent arrêt statue sur la requête n° 18BX01998 tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 21 mars 2018, les conclusions de la requête n° 18BX02094 tendant au sursis à exécution de ce même jugement sont devenues sans objet.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 18BX02094.
Article 2 : La requête de la commune de Saint-Estèphe enregistrée sous le n° 18BX01998 est rejetée.
Article 3 : La commune de Saint-Estèphe versera la somme de 1 500 euros à Mme D...épouse E...au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de Saint-Estèphe et à Mme F...D...épouseE....
Délibéré après l'audience du 11 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Aymard de Malafosse, président,
M. Laurent Pouget, président-assesseur,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 29 octobre 2018.
Le président-assesseur,
Laurent POUGET
Le président-rapporteur,
Aymard de MALAFOSSE Le greffier,
Christophe PELLETIER
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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Nos 18BX01998, 18BX02094