Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 10 août 2020, M. E..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 19 juin 2020 ;
2°) d'annuler la décision du 5 février 2020 par laquelle le préfet de la Corrèze l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Corrèze de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " ou, à défaut, une autorisation provisoire de séjour et de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement, à son conseil, d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et du 2ème alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- la décision portant obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de droit et de fait ; la CNDA lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- les décisions fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour sur le territoire français sont dépourvues de base légale compte tenu de l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français ;
- les décisions fixant le pays de renvoi et l'interdiction de retour sur le territoire français méconnaissent l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 janvier 2021, la préfète de la Corrèze conclut au rejet de la requête. Elle soutient que les moyens ne sont pas fondés.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 août 2020.
Vu :
- les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et le protocole signé à New York le 31 janvier 1967 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... B..., a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant russe né le 24 novembre 1991 à Hrazdan, est entré en France le 13 août 2019 avec son épouse et ses deux enfants. Il a déposé une demande d'asile le 17 septembre 2019 qui a été rejetée par une décision du 31 décembre 2019 de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Suite à ce refus, par un arrêté du 5 février 2020, le préfet de la Corrèze a pris à son encontre une décision portant obligation de quitter le territoire français avec un délai de départ volontaire de trente jours, fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. M. E... relève appel du jugement du 19 juin 2020 par lequel le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire :
2. D'une part, aux termes du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n'est pas membre de la famille d'un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l'article L. 121-1, lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 6° Si la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé à l'étranger ou si l'étranger ne bénéficie plus du droit de se maintenir sur le territoire français en application de l'article L. 743-2, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité. (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " En cas de reconnaissance de la qualité de réfugié ou d'octroi de la protection subsidiaire, l'autorité administrative abroge l'obligation de quitter le territoire français qui, le cas échéant, a été prise. Elle délivre sans délai au réfugié la carte de résident prévue au 8° de l'article L. 314-11 et au bénéficiaire de la protection subsidiaire la carte de séjour temporaire prévue à l'article L. 313-13. Une mesure d'éloignement ne peut être prise à l'encontre de l'étranger bénéficiant d'un droit au séjour. ". Il résulte de ces dispositions que l'octroi de la protection subsidiaire fait en tout état de cause obstacle à l'éloignement d'un étranger.
3. Par une décision n° 20008022, 20008023 du 16 juin 2020, la Cour nationale du droit d'asile a annulé la décision du 31 décembre 2019 par laquelle le directeur de l'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande d'admission à l'asile de M. E... et a accordé à ce dernier le bénéfice de la protection subsidiaire. La décision d'accorder le bénéfice de la protection subsidiaire revêtant un caractère recognitif, elle a eu pour effet de rétroagir à la date de la décision litigieuse. Ainsi, M. E... est fondé à s'en prévaloir pour contester la légalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire français prise antérieurement à son intervention. Dès lors, la préfète de la Corrèze ne pouvait pas légalement prendre l'obligation de quitter le territoire en litige.
4. Par suite, M. E... est fondé à soutenir que les décisions fixant le pays de renvoi et prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an sont illégales.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.
Sur les mesures d'injonction :
6. Aux termes de l'article L. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour pluriannuelle d'une durée maximale de quatre ans est délivrée, dès sa première admission au séjour : 1° A l'étranger qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en application de l'article L. 712-1 (...) ".
7. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en application des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet de la Corrèze, en l'absence de changement de circonstances de droit ou de fait y faisant obstacle, de délivrer une carte de séjour à M. E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
8. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que le conseil de M. E... renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle, de mettre à la charge de l'Etat, le versement d'une somme de 800 euros à Me D... au titre des frais exposés devant la cour et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 5 février 2020 du préfet de la Corrèze est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Corrèze de délivrer une carte de séjour à M. E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il est mis à la charge de l'Etat le versement à Me D... de la somme de 800 euros sur le fondement des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... E..., à Me F... D... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera délivrée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 2 mars 2021 à laquelle siégeaient :
Mme Evelyne Balzamo, présidente,
M. Dominique Ferrari, président-assesseur,
M. C... B..., premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 30 mars 2021.
La présidente,
Evelyne Balzamo
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX02564