Procédure devant la cour :
Par un recours sommaire et un mémoire ampliatif, enregistrés les 22 août 2017 et 8 juin 2018, le département de la Guadeloupe, représenté par MeB..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe daté du 18 mai 2017 ;
2°) de rejeter la requête de première instance de MmeD... ;
3°) de mettre à la charge de Mme D...la somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le contrat de prêt litigieux n'est pas un contrat administratif ; dès lors, le litige a été porté devant une juridiction incompétente ;
- le tribunal a commis une erreur de droit en écartant sa fin de non-recevoir tirée de la chose jugée ; en effet, le tribunal administratif de la Guadeloupe a été saisi d'un litige entre les mêmes parties relatif au même objet, la décharge de l'obligation de payer la créance résultant des mêmes prêts étudiant, et relatif à la même cause en ce que les arguments des parties relatifs à la prescription sont identiques ;
- en tout état de cause, le juge judiciaire est seul compétent pour se prononcer sur la légalité en la forme d'une opposition à tiers détenteur et sur les conditions de sa notification en application de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales ;
- il justifie d'un acte de poursuite intervenu le 24 mai 2013 qui a interrompu le délai de prescription ;
- aux termes de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, le titre de recettes peut être adressé par lettre simple au redevable ; et aux termes du dernier alinéa du 4° de cet article, seul le bordereau de titres de recettes est signé pour être produit en cas de contestation ; un avis des sommes à payer a été émis le 24 mai 2013, et il apporte la preuve en produisant le bordereau du titre de recettes, que ce titre existe et a été notifié à la requérante par pli simple ; la créance n'est donc pas prescrite.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 juin 2018, MmeD..., représentée par MeA..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 500 euros soit mise à la charge du département de la Guadeloupe en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par le département de la Guadeloupe ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 29 mai 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 29 juin 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marianne Pouget ;
- et les conclusions de Mme Sabrina Ladoire, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D...a saisi le tribunal administratif de la Guadeloupe d'une demande tendant à l'annulation de l'opposition à tiers détenteur du 29 novembre 2016 formée par la paierie départementale de la Guadeloupe auprès de son employeur pour le recouvrement d'une somme de 18 604,80 euros au titre du remboursement d'un prêt d'honneur qui lui avait été octroyé dans le cadre de ses études supérieures poursuivies de 1991 à 1997. Le département de la Guadeloupe interjette appel du jugement du 18 mai 2017 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a fait droit à la demande de Mme D...qu'il a regardée comme tendant à la décharge de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros procédant de l'acte de poursuite attaqué.
Sur la compétence de la juridiction administrative :
2. D'une part, le " contrat de prêt d'études " conclu par l'intéressée avec le président du conseil général de la Guadeloupe stipulait, notamment, dans son article 1er, que le prêt était consenti " aux clauses et conditions déterminées par le règlement départemental d'aide aux étudiants " et que l'emprunteur s'engageait " à se conformer aux prescriptions réglementaires pouvant résulter de décisions du président du conseil général postérieurement à la signature du présent acte ". L'existence d'une telle clause confère au contrat en cause le caractère d'un contrat administratif. Dès lors, la créance dont le comptable poursuivait le recouvrement à l'encontre de Mme D...est, elle-même, de nature administrative.
3. D'autre part, il résulte de l'instruction qu'à l'appui de ses conclusions tendant à l'annulation de l'opposition à tiers détenteur, Mme D...conteste l'existence de la créance et son exigibilité de sorte qu'elle doit être regardée comme demandant la décharge de l'obligation de payer la somme résultant de cette opposition à tiers détenteur. Par suite, l'action présentée par l'intéressée relève de la compétence de la juridiction administrative.
Sur l'exception de chose jugée soulevée par le département de la Guadeloupe :
4. Le département de la Guadeloupe soutient qu'en ayant fait droit à la demande de Mme D...en la déchargeant de l'obligation de payer la somme 18 604,80 euros, le tribunal administratif de la Guadeloupe a méconnu l'autorité de la chose jugée attachée à son jugement n° 1400134 du 19 mai 2016. Toutefois, si le tribunal était saisi d'une demande tendant à la décharge de l'obligation de payer la même somme, ladite obligation procédait d'un autre acte de poursuite et ce jugement a fait l'objet d'un pourvoi jugé le même jour sous le n°16BX02283 : il est ainsi dépourvu, en tout état de cause, de caractère définitif.
Sur la prescription de la créance :
5. Aux termes de l'article 2262 du code civil dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription : " Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi. ". Aux termes de l'article 2224 du même code dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 : " les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d'un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. ". Et aux termes de l'article 2222 du même code dans sa rédaction postérieure à la loi du 17 juin 2008 : " En cas de réduction de la durée du délai de prescription ou du délai de forclusion, ce nouveau délai court à compter du jour de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, sans que la durée totale puisse excéder la durée prévue par la loi antérieure. ". Il résulte de ces dernières dispositions que, lorsqu'une loi nouvelle modifiant le délai de prescription d'un droit, abrège ce délai, le délai nouveau est immédiatement applicable et commence à courir à compter de l'entrée en vigueur de la loi nouvelle. Par ailleurs, le délai ancien, s'il a commencé à courir avant l'entrée en vigueur de la loi nouvelle, ne demeure applicable que dans l'hypothèse où sa date d'expiration surviendrait antérieurement à la date d'expiration du délai nouveau.
6. En l'absence de toute autre disposition applicable, les causes d'interruption et de suspension de la prescription quinquennale instituée par les dispositions de l'article 2224 du code civil sont régies par les principes dont s'inspirent les dispositions du titre XX du livre III du même code. Il en résulte qu'un titre exécutoire émis par l'administration en vue de recouvrer une somme au titre du remboursement d'un prêt d'études interrompt la prescription à la date de sa notification et que la preuve de celle-ci incombe à l'administration.
7. Les contrats de prêt d'honneur conclus par Mme D... avec le département de la Guadeloupe stipulaient, à l'article V, que " l'emprunteur disposera d'un délai de dix années à compter de la fin ou de l'interruption de ses études, pour se libérer des sommes qui lui auront été versées (...) Le remboursement sera effectué à la convenance de l'emprunteur soit en une seule fois, soit en plusieurs versements (annualités, semestrialités, trimestrialités ou mensualités). Il pourra avoir lieu par anticipation ".
8. Le délai de prescription de la dette de Mme D...envers le département de la Guadeloupe a commencé à courir à la date à laquelle sa dette est devenue exigible, soit dix ans après la fin des études entreprises par cette dernière, en l'occurrence à l'issue de l'année universitaire 2006/2007. Ainsi, le délai de la prescription, alors trentenaire, de l'action du département tendant au remboursement du prêt d'honneur en litige, n'était pas parvenu à son terme lorsque la loi du 17 juin 2008 instaurant un nouveau délai de prescription de 5 ans est entrée en vigueur le 19 juin 2008. Le nouveau délai de prescription a commencé à courir le 19 juin 2008 et devait expirer le 18 juin 2013. Si le département de la Guadeloupe soutient qu'un titre de recettes a été émis le 24 mai 2013 de sorte que la prescription a été interrompue, il n'établit pas que ce titre, adressé en courrier simple, conformément aux dispositions du 4° de l'article L. 1617-5 du code général des collectivités territoriales, a été régulièrement notifié à la requérante antérieurement au 18 juin 2013 à minuit, date à laquelle le délai de prescription quinquennale est arrivé à expiration. Par suite, la collectivité n'établissant pas avoir interrompu le cours de la prescription quinquennale de droit commun, celle-ci doit être regardée comme étant acquise à la requérante.
9. Il résulte de ce qui précède que le département de la Guadeloupe n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guadeloupe a déchargé Mme D...de l'obligation de payer la somme de 18 604,80 euros procédant de l'acte de poursuites du 29 novembre 2016.
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les dépens :
10. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de MmeD..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de la Guadeloupe demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner le département de la Guadeloupe à verser à Mme D...la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du département de la Guadeloupe est rejetée.
Article 2 : Le département de la Guadeloupe versera à Mme D...une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Guadeloupe et à Mme C... D.... Copie en sera adressée au ministre de l'action et des comptes publics et au ministre des Outre-mer.
Délibéré après l'audience du 12 octobre 2018 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Sylvande Perdu, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 novembre 2018.
Le rapporteur,
Marianne Pouget
Le président,
Philippe Pouzoulet
Le greffier,
Catherine Jussy
La République mande et ordonne au ministre de l'action et des comptes publics, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX02863