Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 avril 2014 et le 5 décembre 2014, le département de La Réunion, représenté par MeA..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 9 janvier 2014 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité de 13 436 347 euros, à parfaire, assortie des intérêts moratoires eux-mêmes capitalisés ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- du fait de l'annulation contentieuse des arrêtés du 30 janvier 2006 fixant le nombre d'emplois de TOS transférés et de l'absence d'adoption de nouveaux arrêtés ayant le même objet, force est de considérer qu'aucun arrêté n'est réputé être jamais intervenu pour fixer le nombre d'emplois de l'Etat affectés aux services ou parties de services transférés au département de La Réunion ;
- le jugement est entaché d'un défaut de motivation dans la réponse qu'il a apportée au moyen tiré de l'exclusion irrégulière des bases de transfert de plusieurs agents non titulaires qui occupaient des emplois permanents dans les collèges et au moyen tiré de l'erreur d'appréciation de l'Etat dans la détermination du nombre d'agents titulaires à prendre en compte au titre des services transférés ; les premiers juges ont écarté ces moyens sans examiner les pièces produites qui ne sont pas même visées ni s'expliquer sur les raisons pour lesquelles ces pièces pouvaient être écartées ;
- les premiers juges, en écartant les pièces justificatives qu'il avait produites sans faire usage de leurs pouvoirs d'instruction, ont méconnu leur office et commis une erreur de droit ;
- le tribunal administratif a commis une erreur de droit en considérant que les dispositions du II de l'article 104 de la loi du 13 août 2004 imposaient de retenir, pour le décompte des effectifs à lui transférer, celle des deux dates du 31 décembre 2002 et du 31 décembre 2004 qui lui était la plus favorable et non celle du 31 décembre 2005 comme il le soutenait ;
- le tribunal administratif a entaché son jugement d'une erreur de droit en considérant que les personnels recrutés par voie de contrats aidés ne devaient pas être pris en compte dans le décompte des effectifs transférés en application de l'article 110 de la loi du 13 août 2004 ; la jurisprudence " Département des Landes " (CE, 17 octobre 2007, n° 290009) n'est pas transposable eu égard au recours illégal de l'Etat aux contrats aidés dans le département de La Réunion pour pallier le défaut de recrutement d'agents publics à la mesure des besoins pérennes en personnels TOS ; l'exclusion de cette catégorie d'agents est fautive dès lors qu'elle a pour effet de diminuer le montant de la compensation financière et méconnaît les dispositions de l'article L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales et celles de l'article 72-2 de la Constitution ;
- c'est à tort que dans le décompte des effectifs transférés et par suite, dans le calcul du montant du droit à compensation, aucun agent contractuel de droit public de l'Etat n'a été pris en compte ; l'Etat ne peut affirmer qu'à la date du transfert de compétence, il n'employait aucun agent contractuel de droit public dès lors que sa pratique, contraire à la directive n° 1999/70/CE du 28 janvier juin 1999 consistait, dans le but de ne pas devoir conclure des contrats à durée indéterminée, à avoir recours à des contrats successifs à durée déterminée qui prenaient fin à la veille des vacances de fin d'année ; sans ces emplois de contractuels de droit public à durée déterminée, l'Etat n'aurait pu faire face à ses besoins de personnels techniciens, ouvriers et de service des collèges et lycées ; il est constant qu'à la date du calcul de la dotation de compensation, le département de La Réunion était davantage confronté que les autres départements à l'existence d'écarts importants entre les besoins de personnels techniciens, ouvriers et de service des collèges et lycées et les effectifs réels de ces personnels ; pour les besoins de la détermination exacte du montant du préjudice correspondant à la soustraction d'ETP au titre de l'indemnité de compensation, la cour devra mettre en demeure le ministre de l'éducation nationale de produire le nombre de contrats de droit public à durée déterminée conclus au cours des années 2002 et 2004 et au cours des mois de janvier et février 2003 et 2005 ;
- dans l'hypothèse où les dispositions de la loi du 13 août 2014 devraient être regardées comme excluant la prise en compte au stade de la compensation financière de l'Etat des contrats aidés, le département serait fondé à rechercher la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de la loi dès lors que le législateur n'a pas entendu exclure toute indemnisation des préjudices qui pourraient découler de l'adoption de cette loi d'une part et que le préjudice qu'il subit est à la fois grave et spécial d'autre part.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2014, le ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par le département de la Réunion ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 14 octobre 2015, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 26 novembre 2015 à 12h00.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- la Constitution et notamment son article 72-2 ;
- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;
-le code général des collectivités territoriales ;
- le code de l'éducation ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Marianne Pouget,
- et les conclusions de Mme Frédérique Munoz-Pauziès, rapporteur public,
1. Le département de La Réunion relève appel du jugement du 9 janvier 2014 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 13 436 347 euros, à parfaire, assortie des intérêts moratoires eux mêmes capitalisés, en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi du fait de l'insuffisance de la compensation financière qui lui a été allouée au titre du transfert des personnels techniciens, ouvriers et de services (TOS).
Sur la régularité du jugement :
2. Le département de La Réunion soutient que les premiers juges se sont bornés à écarter les moyens tirés de " l'exclusion irrégulière des bases de transfert de plusieurs agents non titulaires qui occupaient des emplois permanents dans les collèges " et de " l'erreur d'appréciation qu'aurait commise l'Etat dans la détermination du nombre d'agents titulaires à prendre en compte au titre des services transférés " sans examiner les pièces produites, qui ne sont pas même visées, ni expliquer les raisons pour lesquelles ces pièces pouvaient être écartées. Toutefois, la circonstance que certaines pièces jointes au dossier n'ont pas été expressément visées dans le jugement attaqué n'est pas de nature par elle-même à l'entacher d'irrégularité. De plus, le tribunal a répondu de façon suffisante à ces moyens dans les points 5 et 6 du jugement attaqué en se fondant sur les résultats de l'instruction et donc les pièces produites par les parties. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le tribunal a pu régulièrement considérer qu'il était suffisamment éclairé par les pièces du dossier pour statuer sur le caractère suffisant ou non de la compensation des charges liées au transfert de compétence en matière de personnels TOS des collèges et que, contrairement à ce que soutient le département de La Réunion, il lui était inutile de demander aux parties la production de pièces complémentaires. Par suite, les moyens tirés de l'irrégularité du jugement doivent être écartés.
Sur le bien-fondé du jugement :
3. L'article 82 de la loi du 13 aout 2004 a posé le principe du transfert aux départements de la compétence précédemment exercée par l'Etat en matière d'accueil, de restauration et d'entretien dans les collèges et précisé que ce transfert concernait notamment les personnels techniciens, ouvriers et de service (TOS) des collèges. Aux termes du II de l'article 104 de la même loi : " Les services et parties de services mentionnés au I sont transférés selon les modalités prévues aux articles L. 1321-1 à L. 1321-8 du code général des collectivités territoriales et celles qui sont définies ci-après. / Seules donnent lieu à compensation financière, après détermination d'un nombre entier d'emplois à temps plein susceptibles d'être transférés, les fractions d'emplois ne pouvant donner lieu à transfert. / Dans l'attente de la signature des conventions visées au III ou, à défaut, des arrêtés visés au IV, et à compter de la date de transfert des compétences, (...) le président du conseil général (...) donne ses instructions aux chefs des services de l'Etat en charge des compétences transférées. / Seront transférés aux collectivités territoriales ou à leurs groupements les emplois pourvus au 31 décembre de l'année précédant l'année du transfert sous réserve que leur nombre global ne soit pas inférieur à celui constaté le 31 décembre 2002 (...) ". Aux termes de l'article 110 : " A la date d'entrée en vigueur des décrets en Conseil d'Etat fixant les transferts définitifs des services ou parties de services auxquels ils sont affectés, les agents non titulaires de droit public de l'Etat et de ses établissements publics deviennent agents non titulaires de droit public de la fonction publique territoriale (...) " ; Aux termes de l'article 119 : " (...) les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans la présente loi et ayant pour conséquence d'accroître les charges des collectivités territoriales ou de leurs groupements ouvrent droit à une compensation financière dans les conditions fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales. / Les ressources attribuées au titre de cette compensation sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, par l'Etat, à l'exercice des compétences transférées (...) / Le droit à compensation des charges de fonctionnement transférées par la présente loi est égal à la moyenne des dépenses actualisées constatées sur une période de trois ans précédant le transfert de compétences (...). L'article 199 dispose que : " Les dispositions des titres Ier à VIII sont applicables, sous réserve de l'entrée en vigueur des dispositions relevant de la loi de finances et sauf disposition particulière de la présente loi, à compter du 1er janvier 2005.
Les décrets d'application prévus par la présente loi peuvent être pris dès sa publication ".
4. Il résulte tout d'abord de la décision n° 326861, 326907 du 4 novembre 2009 du Conseil d'Etat que les arrêtés du 30 janvier 2006 du ministre de l'éducation nationale fixant le nombre d'emplois et de fractions d'emplois affectés aux services ou parties de services transférés par l'Etat au département de La Réunion et participant aux missions de recrutement et de gestion des personnels techniciens, ouvriers et de service et aux missions d'accueil, de restauration, d'hébergement et d'entretien général et technique dans les établissements dont il a la charge ont été annulés à compter du 31 mars 2010. Pour satisfaire à l'injonction de prendre l'ensemble des mesures nécessaires pour que soient légalement mises en oeuvre les dispositions du VII de l'article 104 de la loi du 13 août 2004, l'Etat devait seulement achever de prendre les mesures administratives et financières nécessaires au transfert effectif des personnels et au versement au département de La Réunion de la compensation financière à laquelle il avait droit, et non reprendre un décret et des arrêtés ayant le même objet que ceux qui avaient été annulés. Par suite, le département ne peut utilement soutenir qu'aucun arrêté n'est intervenu en exécution de l'article 2 de la décision du Conseil d'Etat alors que les arrêtés en vertu desquels le transfert des personnels concernés a été opéré avant le 31 mars 2010 ont ainsi été maintenus temporairement en application.
5. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées que la date à retenir pour évaluer le nombre d'emplois transférés donnant lieu à compensation financière est soit le 31 décembre 2002 soit le 31 décembre de l'année précédant l'année du transfert de compétences, et non le 31 décembre de l'année précédant celle du transfert des services comme le soutient à tort le département. En l'espèce, la compétence en matière d'éducation a été transférée par l'Etat aux collectivités territoriales à compter du 1er janvier 2005 : la date à retenir était ainsi le 31 décembre 2004. Par suite, le département requérant n'est pas fondé à soutenir qu'en se plaçant à la date du 31 décembre 2004, et non à celle du 31 décembre 2005, pour déterminer le nombre d'emplois transférés, les services de l'Etat auraient commis une erreur de droit.
6. Selon le département de La Réunion, la pratique des services de l'Etat aurait consisté à recruter par contrats successifs des agents contractuels à durée déterminée pour exercer des fonctions permanentes et à suspendre ces contrats en fin d'année, période de grandes vacances scolaires. Mais ces affirmations non justifiées par les pièces produites au dossier ne suffisent pas à établir qu'au 31 décembre 2004, des emplois équivalents temps plein se rattachant aux personnels TOS des collèges de La Réunion auraient été pourvus par des agents publics contractuels de l'Etat. Par suite, le moyen tiré de ce que les services de l'Etat ont irrégulièrement exclu des bases du transfert un certain nombre d'agents non titulaires de droit public qui occupaient des emplois permanents dans les collèges réunionnais doit être écarté.
7. Les personnels recrutés au sein des collèges par contrats aidés tels que les contrats-emploi-solidarité ou les contrats-emploi-consolidé sont des salariés des établissements publics locaux d'enseignement relevant d'un statut de droit privé. N'ayant pas la qualité d'agents de l'Etat, ils ne relèvent pas des dispositions de l'article 110 de la loi du 13 août 2004 relatives à la situation des fonctionnaires et agents non titulaires de droit public exerçant leurs fonctions dans des services ou parties de services transférés. Dès lors, c'est à bon droit qu'ils n'ont pas été pris en compte au titre des agents transférés.
8. Le département soutient que l'exclusion des contrats aidés du champ d'application de l'article 110 de la loi du 13 août 2004 méconnaît les articles L. 1614-1 du code général des collectivités territoriales et 72-2 de la Constitution aux termes desquels tout accroissement net de charges résultant des transferts de compétences effectués entre l'Etat et les collectivités territoriales est accompagné du transfert concomitant par l'Etat aux communes, aux départements et aux régions des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. Toutefois, un arrêté a été pris le 29 mars 2007 en application de l'article 119 de la loi du 13 août 2004 qui prévoit, en son paragraphe I, et conformément aux exigences résultant des dispositions précitées, que la compensation des charges entraînées par les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans cette loi s'opère par l'attribution de ressources équivalentes aux dépenses consacrées par l'Etat, à la date du transfert, à l'exercice des compétences transférées. En application de cet arrêté, une somme globale de 17 386 468 euros en valeur 2004 a été allouée aux départements au titre du droit à compensation résultant du transfert des emplois aidés de l'éducation nationale en application de l'article 82 de la loi du 13 août 2004. Par suite, il y a lieu d'écarter le moyen.
9. Le département de La Réunion soutient pour la première fois devant la cour qu'il est fondé à rechercher la responsabilité de l'Etat du fait de l'exclusion des contrats aidés de l'article 110 de la loi du 13 août 2004 sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation du préjudice né de l'adoption de ces dispositions législatives.
10. La responsabilité de l'Etat du fait des lois est susceptible d'être engagée sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de l'adoption d'une loi, à la condition que cette loi n'ait pas entendu exclure toute indemnisation et que le préjudice dont il est demandé réparation, revêtant un caractère grave et spécial, ne puisse, dès lors, être regardé comme une charge incombant normalement aux intéressés.
11. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 7, les contrats aidés ont donné lieu à compensation en application de l'article 82 de la loi du 13 août 2004 par l'arrêté susvisé du 29 mars 2007 pris sur le fondement de l'article 119 de la même loi. Il n'est pas établi ni même allégué que la somme de 683 553 euros allouée au département de La Réunion à titre de compensation du transfert des emplois aidés de l'éducation nationale serait insuffisante. Ainsi, l'existence d'un préjudice résultant de l'application de l'article 110 de la loi du 13 août 2004 n'est pas même établie. Dans ces conditions, le département de La Réunion n'est pas fondé à soutenir que la responsabilité de l'Etat du fait des lois est engagée.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le département de La Réunion n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de La Réunion a rejeté sa demande.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Ces dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas partie perdante dans la présente instance, la somme que le département de La Réunion demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.
DECIDE
Article 1er : La requête du département de La Réunion est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département de La Réunion et au ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Copie en sera délivrée au ministre des outre-mer et au préfet de La Réunion.
Délibéré après l'audience du 1er décembre 2016 à laquelle siégeaient :
M. Philippe Pouzoulet, président,
Mme Marianne Pouget, président-assesseur,
Mme Florence Madelaigue, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 30 décembre 2016.
Le rapporteur,
Marianne Pouget
Le président,
Philippe Pouzoulet
Le greffier,
Florence Deligey
La République mande et ordonne au ministre de l'éducation nationale en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 14BX01202