Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 7 décembre 2018 et le 13 décembre 2019, le préfet de la Gironde demande à la cour d'annuler le jugement n°1702640 du tribunal administratif de Bordeaux et d'annuler le permis de construire du 6 février 2017 ainsi que la décision rejetant sa demande de retrait de cette autorisation.
Il soutient que :
- le terrain d'assiette du projet est situé en bordure immédiate du domaine public maritime dans le secteur compris entre la jetée de Bélisaire et la racine du Mimbeau qui a été identifié comme soumis à un phénomène de recul du trait de côte lié à l'érosion marine ;
- en délivrant le permis de construire en litige, le maire a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme qui permettent de refuser l'octroi d'une autorisation d'urbanisme lorsque le projet présente un risque pour la sécurité publique ;
- ce risque a été établi par plusieurs études réalisées sur la parcelle de M. E... ; le fait que le projet n'est pas interdit par le plan de prévention des risques d'avancée dunaire ne fait pas obstacle à l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, d'autant que ce plan a été élaboré en 2001 alors que des études plus récentes ont démontré la réalité du risque auquel est soumis le terrain d'assiette du projet ;
- le phénomène d'érosion marine s'aggrave ainsi que l'ont montré les études réalisées ; les ouvrages de protection existants sont établis de manière discontinue, ce qui diminue leur efficacité ; ils sont de plus en mauvais état et ne présentent aucune garantie ;
- l'hypothèse d'un recul de trait de côte de 0,5 m par an retenue par le tribunal correspond à un scenario très optimiste car elle suppose un entretien régulier de tous les ouvrages de protection de la part de la commune mais aussi des propriétaires privés responsables ; de plus, ces ouvrages sont déjà en mauvais état ; le maire n'a pas tenu compte du fait que le projet est situé dans la bande des 50 mètres du trait de côte dans laquelle les constructions doivent être interdites ; par ailleurs, dans l'hypothèse où les ouvrages n'étaient pas entretenus et ne rempliraient pas leur fonction de protection, le recul du trait de côte atteindrait 2 mètres par an, soumettant ainsi le terrain d'assiette du projet à un risque encore plus important ; la protection naturelle que constitue la flèche du Mimbeau, qui est une bande de sable émergée et non bâtie, présente des vulnérabilités en cas de tempête et elle ne cesse de se déplacer vers le nord-ouest du fait des intempéries ;
- le risque d'inondation marine auquel est exposé le terrain d'assiette s'ajoute au risque d'érosion existant ; cette conjonction de risques doit être prise en compte pour l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2019, la commune de Lège-Cap Ferret, représentée par Me H..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 4 novembre 2019, M. A... E..., représenté par Me G..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat la somme de 10 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Par une ordonnance du 5 novembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 16 décembre 2019 à 12h00.
M. E... a présenté un mémoire le 22 septembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. F... B...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me C..., représentant la commune de Lège-Cap Ferret, et de Me D..., M. E....
Considérant ce qui suit :
1. Le 6 février 2017, le maire de Lège-Cap Ferret a délivré à M. E..., au nom de la commune, un permis de construire une maison à usage d'habitation sur la parcelle cadastrée section LN n°123 située 26 avenue de la Conche. Dans le cadre du contrôle de légalité, le préfet de la Gironde a adressé au maire une lettre d'observation du 4 avril 2017 lui demandant de retirer le permis de construire. Le maire ayant refusé de donner suite à cette demande dans sa réponse du 13 avril 2017, le préfet de la Gironde a saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'un déféré tendant à l'annulation du permis de construire délivré le 6 février 2017. Le préfet relève appel du jugement rendu le 9 octobre 2018 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.
2. Aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. "
3. Il appartient à l'autorité d'urbanisme compétente et au juge de l'excès de pouvoir, pour apprécier si les risques d'atteinte à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement des dispositions précitées, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s'ils se réalisent. Pour l'application de cet article concernant les risques d'érosion ou de submersion marine, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, en l'état des données scientifiques disponibles, ces risques en prenant en compte notamment la situation de la zone du projet au regard du niveau de la mer, sa situation à l'arrière d'un ouvrage de défense contre la mer, le cas échéant, le risque de rupture ou de submersion de cet ouvrage en tenant compte notamment de son état, de sa solidité et des précédents connus de rupture ou de submersion.
4. Le terrain d'assiette du projet de M. E... se trouve dans la zone du Mimbeau, laquelle est située entre la jetée de Bélisaire et la racine du Mimbeau, secteur soumis à un phénomène d'érosion marine que les tempêtes survenues au cours de l'hiver 2013-2014 ont aggravé. A cet égard, le rapport d'évaluation de l'impact de ces tempêtes établi par l'observatoire de la Côte Aquitaine a relevé que la flèche sableuse du Mimbeau, qui constitue d'ordinaire pour une partie du littoral oriental de la péninsule du Cap Ferret une protection naturelle contre l'érosion, a subi au cours de ces épisodes météorologiques plusieurs brèches de quelques mètres à plusieurs dizaines de mètres, des entailles d'érosion et une érosion du pied de dune bien que les tempêtes survenues n'aient pas présenté, individuellement, de caractère exceptionnel. Quant aux ouvrages de protection existants, à savoir les perrés, les quais et autres enrochements dispersés sur le littoral, un certain nombre d'entre eux présente un mauvais état qui a été accentué par les tempêtes, selon le compte-rendu établi par le Bureau de recherche géologique et minière à la suite de ces évènements.
5. Le phénomène de l'érosion marine observé à Lège-Cap Ferret y compris dans la zone du Mimbeau a fait l'objet d'une étude réalisée en novembre 2015 par le cabinet Artelia. Elle porte sur le recul du trait de côte, lequel est défini comme la ligne d'intersection de la surface topographique avec le niveau des plus hautes mers et, par extension, la limite entre la mer et la terre. Les indicateurs de référence sont le pied de dune qui peut être marqué par une rupture morphologique franche dans les zones en érosion ou, le cas échéant, le pied d'ouvrage. Les auteurs de l'étude ont alors élaboré plusieurs scenarios prospectifs d'évolution du trait de côte aux horizons 2020, 2025 et 2045 en fonction de deux hypothèses : la première correspondant à l'absence d'ouvrages de protection, la seconde à la présence de ces ouvrages. L'étude conclut à un recul du trait de côte de 2 mètres par an dans le premier cas de figure et à un recul de 0,5 mètre par an dans le second. Selon une autre étude réalisée en novembre 2016 et mars 2017 par le cabinet Casagec, la fonction de protection naturelle contre l'érosion assurée par la flèche du Mimbeau, qui a été sensiblement endommagée au cours de l'hiver 2013-2014, ne pourra être maintenue qu'en cas d'interventions sur celle-ci. Cette étude précise que seule une " lutte active " permettra d'arrêter le phénomène d'érosion, qui prendra la forme de transferts sableux et de travaux d'enrochements sachant qu'en cas d'inaction, la flèche du Mimbeau est vouée à disparaitre tandis qu'un simple transfert de sable ne suffirait pas à empêcher le recul du trait de côte estimé à 2 mètres par an. Dans ces conditions, la flèche du Mimbeau, dans l'état dans lequel elle se trouvait à la date du permis en litige, ne peut être considérée comme un ouvrage naturel stable et pérenne garantissant la protection des terrains soumis au risque d'érosion marine.
6. Pour apprécier le risque que le recul du trait de côte fait peser sur la sécurité publique au regard de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, le préfet et ses services ont retenu l'hypothèse minimale d'une érosion marine de 0,5 mètres par an, ce qui les a conduits à identifier une bande de 50 mètres à partir du trait de côte comme étant soumise à un aléa fort d'érosion. Cette bande des 50 mètres correspond aux effets de l'érosion évalués sur un siècle, période correspondant à la durée de vie moyenne du bâti, en présence d'ouvrages de protection en bon état permettant ainsi une protection efficace. Pour autant, il ressort des pièces du dossier que nombre des ouvrages de protection existants sont établis de manière discontinue et appartiennent à des personnes privées qui les ont édifiés sans autorisation préalable, si bien que leur confortement et leur entretien sont laissés à leur discrétion et nécessitent, de plus, une régularisation administrative préalable qui n'est pas de droit. Un nombre non négligeable de ces ouvrages présentent un état préoccupant comme le montre le tableau de classification des désordres contenu dans l'étude Casagec. En outre, les ouvrages existants, vu les conditions dans lesquels ils ont été édifiés, sont pour un certain nombre d'entre eux inconnus de l'administration et ne présentent pas nécessairement toutes les garanties de solidité requises. Il en allait ainsi notamment, à la date de la décision attaquée, du perré présent sur la propriété de M. E... qui a été contraint de solliciter une autorisation de conforter cet ouvrage près de deux ans après la délivrance de son permis de construire. Quant à l'étude Casagec, si elle a défini des actions, d'ailleurs lourdes, censées interrompre le phénomène d'érosion dunaire, il n'en demeure pas moins que leur mise en oeuvre ne constitue pas une obligation pour la commune pour la protection de projets qui, comme celui de M. E..., sont situés à 50 mètres et moins du trait de côte. Est enfin sans incidence sur l'appréciation du risque encouru par le terrain d'assiette du projet, pour l'application de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme, la circonstance que celui-ci n'ait pas été classé en zone d'aléa par le plan de prévention des risques du littoral approuvé le 31 décembre 2001 selon les données scientifiques connues alors.
7. Il résulte des considérations qui précèdent que le terrain d'assiette du projet de M. E... est soumis à un phénomène d'érosion marine avéré. Il convient de souligner que la mesure à 0,5 mètres par an de l'érosion, à laquelle fait référence le préfet à l'appui de son moyen et qui correspond à un recul du trait de côte de 50 mètres à l'horizon d'un siècle, soit la durée de vie moyenne du bâti, constitue le scenario le moins défavorable retenu dans les études précitées. Celles-ci ont néanmoins relevé que l'efficacité de la protection contre l'érosion censée être assurée par les ouvrages disposés sur le littoral n'est pas certaine en raison notamment de leur état d'entretien, de sorte que l'hypothèse d'un recul plus rapide du trait de côte demeure tout aussi envisageable. De plus, il ressort des pièces du dossier, et notamment des plans composant la demande de permis ainsi que des vues aériennes qui y ont été produites, que le terrain de M. E... se situe à environ 20 mètres seulement du trait de côte dont le recul est, ainsi qu'il a été dit, avéré et irréversible. Aucun élément du dossier ne permet d'estimer que le terrain d'assiette du projet et le secteur environnant seraient, eu égard notamment à leur très grande proximité de l'océan, exempts de tout risque d'effondrement soudain du sol dont la survenance est de nature à entraîner des conséquences graves pour les vies humaines. Dans ces circonstances, le préfet de la Gironde est fondé à soutenir qu'en délivrant le permis de construire en litige, le maire de Lège-Cap Ferret a commis une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme sans qu'il soit nécessaire d'apprécier si, par ailleurs, le terrain d'assiette du projet est également soumis à un risque de submersion marine.
8. Au demeurant, il ressort des pièces du dossier que le plan local d'urbanisme communal, adopté postérieurement au permis de construire en litige, a rendu inconstructible à raison du risque d'érosion une bande de terrain de 50 mètres décomptée à partir du rivage au sein de laquelle se trouve précisément la parcelle de M. E....
9. C'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté le déféré du préfet. Dès lors, il y a lieu d'annuler le jugement du tribunal, le permis de construire du 6 février 2017 et la décision du maire du 13 avril 2017 refusant de retirer ce permis.
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par la commune de Lège Cap-Ferret et par M. E... tendant à ce que l'Etat, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, leur verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n°1702460 du tribunal administratif de Bordeaux du 9 octobre 2018, le permis de construire du 6 février 2017 et la décision du maire de Lège Cap-Ferret du 13 avril 2017 sont annulés.
Article 2 : Les conclusions présentées par la commune de Lège-Cap Ferret et par M. E... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, au ministre de la transition écologique, à la commune de Lège-Cap Ferret et à M. A... E.... Copie en sera transmise, en application de l'article R. 751-11 du code de justice administrative, au procureur de la République près le tribunal judiciaire de Bordeaux. Copie pour information en sera délivrée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. F... B..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
Le rapporteur,
Frédéric B...
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
4
N° 18BX04220