Par une requête enregistrée le 20 septembre 2019, M. C..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 12 avril 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté de la préfète de la Gironde du 13 mars 2019 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de Gironde de lui délivrer une attestation de demande d'asile et de lui remettre un dossier de demande d'asile à transmettre à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides dans le délai de soixante-douze heures à compter de la décision à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans cette attente, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à lui verser en application des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement est irrégulier, dès lors que le premier juge a fait une mauvaise application de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 et a écarté de façon erronée les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'être entendu, de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement Dublin II et de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision attaquée est entachée d'incompétence de son auteur ;
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article 5 du règlement n° (UE) 604/2013 dès lors que l'administration ne justifie pas que l'entretien individuel a eu lieu dans des conditions garantissant la confidentialité, ni qu'il a été mené par une personne qualifiée en vertu du droit national ;
- les dispositions de l'article 10 du règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 ont été méconnues en l'absence de précisions sur l'heure d'arrivée et des modalités de sa remise aux autorités espagnoles ;
- l'arrêté méconnaît l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne dès lors qu'il n'a pas été informé de ce que l'Espagne était désignée comme responsable du traitement de sa demande d'asile à la date de l'entretien individuel ; il n'a pas été destinataire de la lettre d'information transmise par la préfecture ;
- le préfet a entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation en ne le faisant pas bénéficier de la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
La requête a été communiquée à la préfète de Gironde qui n'a pas produit de mémoire en défense.
Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 22 août 2019, M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par ordonnance du 24 octobre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 7 janvier 2020 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;
- le règlement (UE) n° 603/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... C..., ressortissant camerounais né le 29 décembre 1995, est entré irrégulièrement en France le 1er novembre 2018. Il s'est présenté le 29 novembre 2018 à la préfecture de Gironde afin de déposer une demande d'asile. Après avoir constaté que les empreintes de l'intéressé avaient été relevées en Espagne le 1er octobre 2018, la préfète de la Gironde a saisi, le 25 janvier 2019, les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge qui a été expressément acceptée le 20 février 2019. Par arrêté du 13 mars 2019, la préfète de la Gironde a décidé de sa remise aux autorités espagnoles en vue de l'examen de sa demande d'asile. L'intéressé a été remis aux autorités espagnoles le 29 mai 2019. M. C... relève appel du jugement du 12 avril 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Les moyens tirés de ce que le premier juge aurait fait une application erronée de l'article 5 du règlement (UE) n°604/2013 et écarté à tort les moyens tirés de la méconnaissance du droit d'être entendu garanti par l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux, de l'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 17 du règlement Dublin II et de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales sont relatifs non à la régularité du jugement attaqué mais à son bien-fondé.
Sur la légalité de l'arrêté du 13 mars 2019 :
3. En premier lieu, par un arrêté du 25 janvier 2019, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture de Gironde n°33-2019-010, la préfète a donné délégation à Mme B... A..., directrice des migrations et de l'intégration, à l'effet de signer, notamment, " Toutes décisions et correspondances prises en application du livre VII (partie législative et réglementaire) du Code de l'Entrée et du Séjour des Étrangers et du Droit d'Asile (CESEDA) ". Par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision en litige doit être écarté.
4. En deuxième lieu, l'arrêté préfectoral du 13 mars 2019 portant transfert de M. C... aux autorités espagnoles vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, notamment ses articles 3 et 8, ainsi que le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. L'arrêté précise que la consultation du fichier Eurodac a révélé que l'intéressé était entré sur le territoire des Etats membre par l'Espagne le 1er octobre 2018 et qu'ainsi l'Espagne devait être regardé comme l'Etat responsable de sa demande d'asile en application de l'article 13-1 du règlement (UE) n°604/2013 du 26 juin 2013. Par ailleurs, la préfète a fait mention de l'accord explicite, obtenu le 20 février 2019, par lequel les autorités espagnoles ont reconnu leur responsabilité. Il ressort, en outre, des mentions de l'arrêté litigieux que la préfète a examiné la situation de M. C... au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a conclu à l'absence de risque personnel de nature à constituer une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités de l'État responsable de la demande d'asile. Dans ces conditions, l'arrêté attaqué, qui mentionne avec une précision suffisante les motifs de droit et de fait justifiant l'application de la mesure de transfert, est suffisamment motivé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation doit être écarté.
5. En troisième lieu, aux termes de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) "
6. Il ressort des pièces du dossier que M. C... a bénéficié le 29 novembre 2018, dans les locaux de la préfecture de la Gironde, de l'entretien individuel requis par les dispositions précitées de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013. Cet entretien a été assuré par un agent du bureau de l'asile et guichet de la préfecture de Gironde, en français, langue que l'intéressé a déclaré comprendre. En l'absence de tout élément contraire versé au dossier, cet agent doit être regardé comme une personne qualifiée en vertu du droit national, alors même que son nom et sa qualité ne sont pas précisés dans le compte-rendu de cet entretien. Enfin, le requérant ne fait état, en tout état de cause, d'aucun élément permettant de retenir que cet entretien n'aurait pas été réalisé dans des conditions en garantissant la confidentialité au sens des dispositions précitées.
7. En quatrième lieu, aux termes de l'article 10 du règlement (CE) n° 1560/2003 portant modalités d'application du règlement (CE) n° 343/2003, modifié par le règlement (UE) n° 118/2014 de la commission du 30 janvier 2014 : " 1. Lorsque, en vertu de l'article 18, paragraphe 7, ou de l'article 20, paragraphe 1, point c), du règlement (CE) n° 343/2003, selon le cas, l'Etat membre requis est réputé avoir acquiescé à une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge, il incombe à l'Etat membre requérant d'engager les concertations nécessaires à l'organisation du transfert. 2. Lorsqu'il en est prié par l'Etat membre requérant, l'Etat membre responsable est tenu de confirmer, sans tarder et par écrit, qu'il reconnaît sa responsabilité résultant du dépassement du délai de réponse. L'Etat membre responsable est tenu de prendre dans les meilleurs délais les dispositions nécessaires pour déterminer le lieu d'arrivée du demandeur et, le cas échéant, convenir avec l'Etat membre requérant de l'heure d'arrivée et des modalités de la remise du demandeur aux autorités compétentes. ".
8. Le requérant ne peut utilement se prévaloir des dispositions de l'article 10 du règlement n° 1560/2003, qui a pour seul objet de permettre l'organisation de l'exécution d'une décision de transfert en cas d'acceptation implicite des autorités responsables de l'examen de la demande d'asile.
9. En cinquième lieu, si M. C... soutient que son droit à être entendu a été méconnu dès lors qu'il n'a pas reçu l'information relative à la désignation de l'Etat membre responsable, et n'a pu par suite, présenter ses observations, il ressort toutefois, du compte rendu de l'entretien individuel du 29 novembre 2018, qu'il a reconnu avoir été informé que les autorités espagnoles allaient être saisies en application du règlement Dublin et avoir compris que si l'Espagne reconnaissait sa responsabilité, il pourrait faire l'objet d'un départ organisé par la préfecture, et a été invité à présenter par tout moyen et à tout moment ses observations sur cette éventuelle décision de transfert. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu, qui fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union, doit être écarté.
10. En sixième lieu, l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 dispose que : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable (...) ". L'article 17 du même règlement dispose que : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". En vertu de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, " Nul ne peut être soumis à la torture, ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
11. Si M. C... soutient que son transfert en Espagne l'expose à des risques en raison de son orientation sexuelle, il n'apporte aucune précision à l'appui de ses allégations et aucun des éléments qu'il verse au dossier ne permet de les corroborer. Il ne ressort pas davantage des pièces du dossier que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, ni que ces autorités n'évalueront pas d'office les risques que le requérant indique encourir en cas de retour dans son pays alors que l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New York, et à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ces conditions, la préfète de la Gironde a pu, sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation, décider de ne pas faire application du paragraphe 1 de l'article 17 du règlement n° 604/2013. Pour les mêmes motifs le requérant n'est pas fondé à soutenir que la décision contestée serait contraire aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... C..., à Me F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Birsen D..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 3 novembre 2020.
Le rapporteur,
Birsen D...
La présidente,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N°19BX03898