Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 15 mai 2020 et le 26 août 2020, Mme A..., représentée par Me F..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 6 novembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 12 juin 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", dans le délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard, et, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, dans le même délai sous la même astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
S'agissant de l'arrêté pris dans son ensemble :
- le préfet de la Gironde a méconnu l'autorité de la chose jugée dès lors que l'arrêté contesté du 12 juin 2019 est en tous points identique à celui du 28 août 2017 annulé par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 octobre 2018.
S'agissant de la décision portant refus de titre de séjour :
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle est entachée d'erreur de droit en ce que le préfet s'est abstenu de lui délivrer le titre de séjour sollicité alors que le tribunal lui avait adressé une injonction à cet effet ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L. 313-11-6° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors que le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité n'est pas établi ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
S'agissant de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle a été prise par une autorité incompétente ;
- elle est entachée d'un défaut de motivation ;
- elle a été prise en méconnaissance du droit d'être entendu ;
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant refus de titre de séjour ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; elle est entachée d'erreur d'appréciation des conséquences qu'elle emporte sur sa situation personnelle ;
- elle est entachée d'erreur de droit et d'erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.
S'agissant de la décision portant fixation du pays de destination :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 juillet 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- la requête est irrecevable en l'absence de production de la décision accordant l'aide juridictionnelle ;
- aucun des moyens soulevés par Mme A... n'est fondé.
Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 23 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., ressortissante nigériane née en 1978, est entrée irrégulièrement en France le 22 octobre 2013. La demande d'asile qu'elle a présentée a été rejetée le 22 octobre 2015 par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides confirmée le 30 mai 2016 par la Cour nationale du droit d'asile. Après avoir donné naissance, le 29 juin 2015, à un fils qui a été reconnu par anticipation par M. D..., ressortissant français, Mme A... a sollicité, le 7 janvier 2016, la délivrance d'un titre de séjour, en qualité de parent d'enfant français, sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Cette demande a été rejetée par un arrêté préfectoral du 28 août 2017 qui a été annulé par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 octobre 2018 au motif que les éléments recueillis par le préfet de la Gironde ne permettaient pas d'établir que la reconnaissance de paternité du fils de Mme A... avait été effectuée dans le but de lui faciliter l'obtention d'un titre de séjour. Se trouvant ressaisi de la demande de Mme A..., le préfet de la Gironde, par un arrêté du 12 juin 2019, a une nouvelle fois refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 6 novembre 2019, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté. Mme A... relève appel de ce jugement.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :
2. Mme A... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 avril 2020 qu'elle produit. Au demeurant, l'absence de production de la décision lui accordant l'aide juridictionnelle ne constitue pas en soi un vice de forme qui rendrait la requête irrecevable. Ainsi, la fin de non-recevoir opposée en défense par le préfet de la Gironde ne peut qu'être écartée.
Sur la légalité de l'arrêté du 12 juin 2019 :
3. Pour refuser une première fois à Mme A..., par sa décision du 28 août 2017, la délivrance d'un titre de séjour en sa qualité de mère d'un enfant français, le préfet de la Gironde s'était fondé sur le motif tiré de ce que la reconnaissance de paternité du fils Mme A..., effectuée par déclaration conjointe anticipée, le 26 janvier 2015, était frauduleuse et avait été souscrite dans le seul but de lui permettre d'obtenir un titre de séjour, au regard de son peu de connaissance du père de l'enfant, qui ne participe ni à son entretien ni à son éducation et ne lui a pas donné son nom, du fait qu'elle a eu, trois ans après, un deuxième enfant avec un compatriote nigérian avec lequel elle a une relation durable au moins depuis son arrivée en France, de la rapidité avec laquelle elle a fait établir une carte d'identité française pour son premier enfant et de ses liens avec des compatriotes impliqués dans des cas de reconnaissances frauduleuses de paternité.
4. Cette décision a été annulée par un jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 29 octobre 2018, devenu définitif, au motif que ces éléments ne permettaient pas d'établir que la reconnaissance de paternité du fils de Mme A... aurait été souscrite dans le but de lui faciliter l'obtention d'un titre de séjour. L'autorité de chose jugée s'attachant au dispositif de ce jugement définitif ainsi qu'au motif qui en constituait le support nécessaire faisait obstacle à ce que, en l'absence de modification de la situation de droit ou de fait postérieurement à la date de l'arrêté initial du préfet, le titre de séjour sollicité fût à nouveau refusé par l'autorité administrative pour le même motif.
5. Or, pour rejeter de nouveau, le 12 juin 2019, la demande de titre de séjour présentée par Mme A... en qualité de mère d'un enfant français, le préfet de la Gironde s'est fondé, une nouvelle fois, sur sa " conviction d'une reconnaissance frauduleuse de filiation à visée migratoire, établie dans le seul but d'obtenir un titre de séjour " en relevant notamment le caractère ancien et permanent de la relation entre Mme A... et le compatriote nigérian avec lequel elle a eu son deuxième enfant, l'absence de preuve d'une relation entretenue avec le père de son premier enfant dont elle connaît peu de choses, qui a reconnu un autre enfant dans des circonstances similaires et qui n'entretient aucun lien avec l'enfant issu de son union avec l'appelante, à l'éducation duquel il ne participe pas.
6. Toutefois, en l'absence de modification dans la situation de droit ou de fait postérieurement au 28 août 2017, le préfet de la Gironde ne pouvait, sans méconnaître l'autorité de chose jugée s'attachant au jugement du 29 octobre 2018, se fonder de nouveau sur le motif illégal tiré du caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à Mme A... ainsi qu'il l'a fait par son arrêté du 12 juin 2019.
7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation. Il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement, ainsi que l'arrêté du 12 juin 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de délivrer à Mme A... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Eu égard au motif d'annulation retenu, il y a lieu, en exécution du présent arrêt, d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
9. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, en application desdites dispositions, de mettre à la charge de l'Etat, le versement à Me F... de la somme de 1 200 euros sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1903730 du 6 novembre 2019 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 12 juin 2019 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de délivrer à Mme A... un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme A... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à Me F... la somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve qu'elle renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat à l'aide juridictionnelle.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... à Me F... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme E... C..., présidente-assesseure,
Mme Sylvie Cherrier premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 novembre 2020.
Le rapporteur,
Karine C...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01670 2