Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 20 avril 2020, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 28 novembre 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 24 juillet 2019 par lequel le préfet de la Haute-Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Haute-Vienne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours, sous astreinte de 15 euros par jour de retard, et, à défaut, de réexaminer sa situation, dans un délai d'un mois, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 alinéa 2 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- le préfet a commis une erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée sur sa situation personnelle dès lors qu'elle a démontré avoir subi des violences perpétrées par son ancien compagnon ;
- cette décision a été prise en méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est entachée d'un défaut de base légale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour sur lequel elle se fonde ;
- elle porte atteinte à son droit de mener une vie privée et familiale garanti notamment par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense enregistré le 30 juillet 2020, le préfet de la Haute-Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par Mme E... n'est fondé.
Mme E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision en date du 19 mars 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme C... B... a été entendu à l'audience.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E..., ressortissante algérienne née le 12 novembre 1971, est entrée en France le 23 avril 2013 sous couvert d'un visa de court séjour d'une durée de validité de trente jours et s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire national après l'expiration de celui-ci. Le 15 mars 2018, elle a sollicité la délivrance d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 316-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 24 juillet 2019, le préfet de la Haute-Vienne a refusé de faire droit à cette demande, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Par un jugement du 28 novembre 2019, le tribunal administratif de Limoges a rejeté la demande d'annulation de cet arrêté. Mme E... relève appel de ce jugement.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, les stipulations de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 régissent de manière complète les conditions dans lesquelles les ressortissants algériens peuvent être admis à séjourner en France et y exercer une activité professionnelle, les règles concernant la nature des titres de séjour qui peuvent leur être délivrés, ainsi que les conditions dans lesquelles leurs conjoints et leurs enfants mineurs peuvent s'installer en France. Si une ressortissant algérienne ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 316-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoient la délivrance dans les plus brefs délais d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " à l'étranger qui, ne présentant pas une menace pour l'ordre public, bénéficie d'une ordonnance de protection en vertu de l'article 515-9 du code civil, en raison des violences exercées au sein du couple, il appartient toutefois au préfet, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire dont il dispose sur ce point, d'apprécier, compte tenu de l'ensemble des éléments de la situation personnelle de l'intéressée, et notamment des violences conjugales alléguées, l'opportunité d'une mesure de régularisation. Il appartient alors au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens par une ressortissante algérienne, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée sur la situation personnelle de l'intéressée.
3. Il est constant qu'à la date de la décision litigieuse, la communauté de vie entre Mme E... et son compagnon avait cessé. Si Mme E... fait valoir qu'elle a été victime de violences psychologiques, physiques et sexuelles, la plainte qu'elle a déposée pour ces faits a été classée sans suite par le procureur de la République de Limoges le 21 septembre 2018 au motif que l'infraction était insuffisamment caractérisée. Les pièces produites devant les premiers juges, notamment un certificat médical daté du 16 février 2018 constatant la présence de deux hématomes au niveau de la cuisse gauche de Mme E... et l'examen médico-légal, réalisé le 19 mars 2018 dans le cadre de l'enquête pénale, relevant d'une part la présence de cicatrices et d'un érythème non spécifique de localisation compatible avec les faits relatés de violences sexuelles et diagnostiquant d'autre part un syndrome anxio-dépressif, ne suffisent pas à établir la réalité des violences alléguées. Dans ces conditions, le préfet de la Haute-Vienne n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation qu'il a portée sur la situation personnelle de Mme E....
4. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la sante ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".
5. Si Mme E... soutient qu'elle vit en France depuis 2013, il est constant qu'entrée sur le territoire sous couvert d'un visa de court séjour d'une durée de validité de trente jours, elle s'y est maintenue irrégulièrement après l'expiration de celui-ci. Si elle se prévaut de la présence en France de ses quatre frères et de sa soeur, avec lesquels elle n'établit d'ailleurs pas entretenir de relations, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales dans son pays d'origine où elle a vécu la majeure partie de sa vie et où résident encore sa mère et l'un de ses frères. Dans ces conditions, et alors même qu'elle assiste régulièrement à des cours d'alphabétisation, la décision contestée n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée à mener une vie privée et familiale normale garanti par les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français serait privée de base légale en raison de l'illégalité du titre de séjour doit être écarté.
7. Pour les motifs exposés au point 5, le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaîtrait le droit de Mme E... à mener une vie privée et familiale normale doit être écarté.
8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa requête. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... E... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Haute-Vienne.
Délibéré après l'audience du 5 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Dominique Naves, président,
Mme C... B..., présidente-assesseure,
Mme Sylvie Cherrier premier conseiller.
Lu en audience publique, le 2 novembre 2020.
Le rapporteur,
Karine B...Le président,
Dominique Naves
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 20BX01385 2