Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 3 août 2018, M. et Mme A..., représentés par Me D..., demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement n° 1604986 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler la décision du maire du 28 septembre 2016 ;
3°) de condamner la commune du Taillan-Médoc à leur verser une somme de 58 230 euros à titre de dommages et intérêts, soit 38 230 euros en réparation de leur préjudice matériel et 20 000 euros en réparation de leur préjudice moral et d'assortir cette somme des intérêts au taux légal à compter du 23 mars 2012 et des intérêts capitalisés à chaque échéance annuelle depuis cette date ;
4°) de mettre à la charge de la commune du Taillan-Médoc la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la régularité du jugement, que :
- le tribunal a omis de répondre à leur moyen tiré de la méconnaissance par la décision attaquée de leur droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Ils soutiennent, en ce qui concerne la légalité de la décision du 28 septembre 2016 et la responsabilité de la commune à raison de cette illégalité, que :
- le maire n'a pas motivé sa décision refusant d'autoriser le raccordement de leur construction aux réseaux d'équipements publics ;
- le maire n'a pas respecté la procédure contradictoire préalable, prévue à l'article 24 de la loi du 12 avril 2000, avant de prendre la décision de refus de raccordement ;
- la cour retiendra, contrairement au tribunal, que la commune a commis une faute en refusant le raccordement de leur construction aux réseaux d'équipements publics après avoir pourtant délivré un permis de construire en septembre 2005 ;
- le refus d'accepter le raccordement de leur construction aux réseaux d'équipements publics constitue une mesure de police disproportionnée ; il ne pouvait être justifié par le caractère inondable du terrain d'assiette du projet et par la nécessité de préserver l'environnement ; ils sont aujourd'hui titulaires d'un permis de construire définitif et aucune poursuite pénale n'a été engagée à leur encontre ; le refus que la commune leur oppose constitue une ingérence excessive dans leur vie privée et familiale en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en refusant d'accepter que leur propriété soit raccordée aux réseaux publics, la commune méconnait le principe d'égal accès des citoyens au service public.
Ils soutiennent, en ce qui concerne leur droit à réparation, que :
- la cour confirmera la solution du tribunal en ce qu'il a jugé que la commune a commis une faute en signant un protocole d'accord dont l'objet était illicite ;
- le refus illégal de la commune leur cause un préjudice matériel et un préjudice moral qui doit être réparé ; le tribunal ne pouvait limiter à 2 000 euros au total le montant de leur préjudice moral et exclure toute indemnisation de leurs préjudices matériels.
Par un mémoire en défense, enregistré le 11 mars 2020, la commune du Taillan-Médoc, représentée par Me E..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge des époux A... la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que tous les moyens de la requête doivent être écartés comme infondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative et l'ordonnance n°2020-305 du 25 mars 2020.
En application du II de l'article 16 de l'ordonnance n° 2020-305 du 25 mars 2020, la clôture de l'instruction initialement fixée au 12 mars 2020 a été repoussée au 23 juin 2020.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. G... B...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- et les observations de Me F..., représentant M. et Mme A..., et de Me H..., représentant la commune du Taillan-Médoc.
Considérant ce qui suit :
1. Le 1er septembre 2005, le maire du Taillan-Médoc, agissant au nom de la commune, a délivré à M. C... A... un permis de construire un hangar agricole sur la parcelle cadastrée section AP n° 81 située au lieu-dit " Marquis ". Le 16 octobre 2007, il a fait établir un procès-verbal constatant la réalisation par M. A... de travaux non autorisés par le permis de construire, à savoir l'aménagement à l'intérieur du hangar d'une pièce de laboratoire servant à la découpe de volailles et la construction d'une chambre froide et d'un local à congélateurs. Un nouveau procès-verbal établi le 20 mai 2008 a également constaté la présence d'un appartement aménagé au sein d'une partie du bâtiment.
2. Au motif que le hangar situé sur la parcelle AP n° 81 comportait des aménagements n'ayant bénéficié d'aucune autorisation d'urbanisme, le maire du Taillan-Médoc a décidé de s'opposer au raccordement de la construction aux réseaux d'équipements publics d'eau et d'électricité. Deux décisions en ce sens ont notamment été notifiées à ERDF par le maire le 18 novembre 2010 et le 26 août 2011.
3. Le 17 avril 2014, la commune du Taillan-Médoc a cependant conclu avec les époux A... un protocole d'accord aux termes duquel elle s'engageait à retirer les injonctions de non-raccordement qu'elle avait adressées aux gestionnaires des réseaux. En contrepartie, les époux A... ont renoncé à engager une action indemnitaire à l'encontre de la commune. Néanmoins, par une décision du 28 septembre 2016, le maire du Taillan-Médoc a fait savoir aux époux A... qu'il ne retirerait pas les injonctions de non-raccordement et refuserait toute indemnisation au profit de ces derniers.
4. M. et Mme C... A... ont saisi le tribunal administratif de Bordeaux d'une demande d'annulation de la décision du 28 septembre 2016 et de condamnation de la commune du Taillan-Médoc à leur verser la somme de 58 230 euros à titre de dommages et intérêts. Par un jugement rendu le 7 juin 2018, le tribunal a condamné la commune à verser aux époux A... la somme de 2 000 euros en réparation de leur préjudice moral et a rejeté le surplus des demandes. M. et Mme A... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de leurs demandes.
Sur la régularité du jugement attaqué :
5. Dans leurs écritures de première instance, et notamment dans leur mémoire en réplique enregistré le 7 mai 2018, les époux A... ont soutenu que le refus de raccordement de leur propriété aux réseaux d'équipements publics a constitué une ingérence excessive dans leur droit à une vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il ressort du jugement attaqué que les premiers juges ont omis d'examiner ce moyen qui n'était pas inopérant. Par suite, ce jugement est entaché d'un défaut de motivation et il doit être annulé en tant qu'il a statué sur la légalité de la décision du maire du 28 septembre 2016 et sur la responsabilité de la commune à raison de l'illégalité alléguée de cette décision.
6. Il y a lieu pour la cour d'évoquer et de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision du 28 septembre 2016 et celles mettant en jeu la responsabilité de la commune à raison de cette décision et de statuer par la voie de l'effet dévolutif de l'appel en ce qui concerne les autres conclusions.
Sur la légalité de la décision du 28 septembre 2016 et sur la responsabilité de la commune du fait de cette décision :
7. En premier lieu, le refus de raccordement énoncé dans la décision du 28 septembre 2016 rappelle que M. A... a fait construire au sein de son hangar un laboratoire pour la découpe des volailles, une chambre froide et un local dédié à l'habitation. Le courrier rappelle que ces aménagements qui n'étaient pas autorisés par le permis délivré en 2005, ont été irrégulièrement réalisés. Il cite enfin les dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme qui interdit à l'autorité compétente de faire raccorder des constructions édifiées sans autorisation. La décision contestée est ainsi motivée en droit et en fait. Par ailleurs, la décision en litige étant intervenue à la suite d'une demande des époux A..., elle n'était de ce fait pas soumise à une procédure contradictoire préalable en vertu de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, la décision du 28 septembre 2016 n'est pas entachée des vices de légalité externe allégués.
8. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, devenu l'article L. 111-12 au 1er janvier 2016 : " Les bâtiments, locaux ou installations soumis aux dispositions des articles L. 421-1 à L. 421-4 ou L. 510-1, ne peuvent, nonobstant toutes clauses contraires des cahiers des charges de concession, d'affermage ou de régie intéressée, être raccordés définitivement aux réseaux d'électricité, d'eau, de gaz ou de téléphone si leur construction ou leur transformation n'a pas été, selon le cas, autorisée ou agréée en vertu des articles précités. ". L'interdiction de raccorder les constructions irrégulières aux réseaux publics, prévue par les dispositions précitées, a le caractère d'une mesure de police de l'urbanisme destinée à assurer le respect des règles d'utilisation du sol. De plus, ces dispositions sont applicables alors même que l'infraction pénale constituée par la construction sans autorisation serait prescrite.
9. Bien que le permis de construire délivré le 1er septembre 2005 porte sur l'édification d'un simple hangar agricole sur une parcelle classée en zone agricole 1NCA du plan d'occupation des sols, M. A... a fait aménager dans le bâtiment considéré un laboratoire pour la découpe des volailles, une chambre froide, un local à congélateurs ainsi qu'un appartement, comme l'ont attesté les procès-verbaux d'infraction établis sur place le 16 octobre 2007 et le 20 mai 2008. Il est constant que de tels aménagements qui ne figuraient pas dans le dossier de demande déposé en 2005, n'ont pas été autorisés par le permis du 1er septembre 2005. Il s'ensuit que M. A... ne peut se prévaloir de la seule délivrance de cette autorisation pour soutenir que la commune a commis une illégalité en refusant le raccordement de sa construction aux réseaux d'équipements publics. Il s'ensuit également que la construction édifiée par M. A... était irrégulière et que le maire a fait ainsi une exacte application des dispositions de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme pour s'opposer aux raccordements sollicités, alors même que les procès-verbaux d'infraction n'ont débouché sur aucune sanction pénale à l'encontre de M. A....
10. En troisième lieu, il résulte de l'instruction qu'en s'opposant au raccordement de la construction illégalement édifiée par M. A... aux réseaux publics d'eau et d'électricité, le maire a poursuivi un motif d'intérêt général qui consiste à assurer le respect des règles d'utilisation des sols en faisant obstacle à ce que le raccordement de propriétés aux réseaux aboutisse à conforter des situations irrégulières. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que le terrain d'assiette de la construction édifiée par M. A... est soumis à un risque d'inondation ayant justifié son classement en zone rouge par le plan de prévention des risques d'inondation de l'agglomération de Bordeaux approuvé le 16 juillet 2005. En dépit de cette situation, qui avait conduit le maire à assortir le permis du 1er septembre 2005 de prescriptions destinées à la sécurité du hangar agricole, M. A... a illégalement aménagé dans ce bâtiment des locaux de type industriel et un appartement à usage d'habitation. Ainsi, en s'opposant au raccordement du bâtiment aux réseaux d'eau et d'électricité, le maire du Taillan-Médoc a également poursuivi un motif d'intérêt général tenant à la protection de la sécurité. Au regard de l'ensemble de ces considérations, l'ingérence que subissent les époux A... dans leur droit au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, à raison du refus de raccordement qui leur est opposé, alors que leur construction a été édifiée irrégulièrement, ne revêt pas un caractère disproportionné par rapport aux buts légitimes poursuivis.
11. En quatrième lieu, dans les circonstances qui viennent d'être exposées, l'opposition au raccordement ne peut être regardée comme une mesure de police disproportionnée au regard des objectifs d'intérêt général qu'elle poursuit. Cette mesure ne révèle pas davantage une atteinte excessive à la liberté du commerce et de l'industrie invoquée par les époux A... dont, par ailleurs, l'espérance légitime de pouvoir exploiter un élevage de volailles, au titre de leur droit de propriété reconnu à l'article 1er du protocole n° 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, n'a pas été non plus méconnue.
12. En cinquième lieu, les propriétaires des bâtiments, locaux et installations irrégulièrement construits ou transformés se trouvent dans une situation différente de celle des propriétaires qui ont obtenu les autorisations imposées par la loi et la réglementation à la date de la construction ou de la transformation de leur bien. Par suite, les époux A... qui ont procédé à des aménagements sans autorisation ne peuvent utilement soutenir qu'en refusant de les autoriser à raccorder leur construction aux réseaux d'équipements publics, le maire a méconnu le principe d'égal accès au service public.
13. En sixième lieu, la commune du Taillan-Médoc a refusé d'appliquer le protocole d'accord du 17 avril 2014 par lequel elle s'était engagée à retirer les injonctions adressées aux gestionnaires des réseaux de ne pas raccorder la propriété des époux A.... Dès lors que l'objet de cette transaction était illicite au regard de l'article L. 111-6 du code de l'urbanisme, lequel faisait obstacle au raccordement des constructions irrégulièrement édifiées par M. A..., il ne saurait être reproché à la commune de s'être soustraite à ses obligations contractuelles. Par suite, la responsabilité de la commune n'est pas engagée sur ce fondement.
14. Il résulte de ce qui précède que les requérants ne sont pas fondés à soutenir qu'en s'opposant au raccordement de leur propriété, la commune du Taillan-Médoc aurait pris une décision illégale et fautive. Les requérants ne sont, dès lors, pas fondés à demander l'annulation de la décision du 28 septembre 2016 ni à solliciter la condamnation de la commune à raison de l'illégalité alléguée de cette décision.
Sur la responsabilité de la commune résultant de la signature du protocole du 17 avril 2014 :
15. Après avoir jugé que la seule faute de la commune du Taillan-Médoc avait consisté dans la signature du protocole d'accord du 17 avril 2014 dont l'objet était illicite, ce que la commune ne conteste pas dans ses écritures d'appel, le tribunal a estimé que M. et Mme A... avaient subi de ce fait un préjudice moral qu'il a évalué à 1 000 euros chacun. En se bornant à invoquer les problèmes de santé de M. A... et divers autres troubles dans leurs conditions d'existence, les requérants, qui ont aussi commis une faute en réalisant des aménagements sans autorisation dans un secteur à risque et en signant le protocole du 17 avril 2014, n'établissent pas que le tribunal aurait fait une insuffisante évaluation de leur préjudice moral. Dès lors, leurs conclusions tendant à la réformation du jugement sur ce point doivent être rejetées.
16. Le manque à gagner invoqué par les requérants à raison des difficultés rencontrées par leur exploitation du fait de l'absence de raccordement du bâtiment aux réseaux publics n'est pas justifié au dossier. Les autres préjudices matériels invoqués, à savoir l'augmentation du coût des travaux depuis 2007 et les divers frais supportés lors de leur réalisation, ne sont pas davantage établis au dossier. Au demeurant, les préjudices dont il est fait état sont sans lien direct avec la faute commise par la commune en acceptant de signer le protocole d'accord du 17 avril 2014. Par suite, c'est à juste titre que le tribunal a rejeté la demande d'indemnisation des préjudices matériels présentées par les époux A....
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
17. Il y a lieu de faire application de ces dispositions en mettant à la charge des époux A... la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par la commune du Taillan-Médoc et non compris dans les dépens. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle aux conclusions présentées par les appelants tendant à ce que la commune défenderesse, qui n'est pas la partie perdante à l'instance, leur verse une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1604986 du tribunal administratif de Bordeaux du 7 juin 2018 est annulé en tant qu'il statue sur la légalité de la décision d'opposition au raccordement et sur la responsabilité de la commune à raison de l'illégalité alléguée de cette décision.
Article 2 : Les conclusions de première instance de M. et Mme A... mentionnées à l'article 1er ci-dessus et le surplus de leurs conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : M. et Mme A... verseront à la commune du Taillan-Médoc la somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme C... A... et à la commune du Taillan-Médoc.
Délibéré après l'audience du 13 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. G... B..., président-assesseur,
Mme Caroline Gaillard, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 17 novembre 2020.
Le rapporteur,
Frédéric B...Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX03061