Procédure devant la cour :
Par une requête, un mémoire et des pièces, enregistrés le 31 mai 2017, le 15 octobre 2018 et le 20 novembre 2018, la SCI Nemo 21, la SARL Ceratech carrelages et M. E... D..., représentés par la SCP Cornille Pouyanne, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 30 mars 2017 en tant qu'il rejette le surplus de leur demande ;
2°) de condamner Bordeaux Métropole à payer à la SCI Nemo 21 la somme de 672 913,60 euros, à la SARL Ceratech carrelages la somme de 222 911 euros et à M. D... la somme de 58 652,80 euros, en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis, avec intérêts au taux légal ;
3°) de mettre à la charge de Bordeaux Métropole la somme de 1 200 euros à verser à chacun d'eux en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- l'arrêté de préemption du 3 novembre 2011 annulé par jugement définitif du tribunal administratif pour illégalité engage la responsabilité pour faute de Bordeaux Métropole à leur endroit ;
- la SCI Nemo 21 a été privée de sa qualité de propriétaire et des prérogatives qui y sont attachées du 3 novembre 2011 au 30 décembre 2013 date à laquelle elle est devenue propriétaire des lieux ; le bien a en effet été occupé et dégradé pendant cette période ; le préjudice financier résultant de la remise en état des lieux (maison et entrepôt) s'élève à 250 913,60 euros ;
- en outre elle a perdu des revenus locatifs, le permis de construire ayant été délivré seulement le 23 octobre 2014 soit plus de trois années plus tard ; elle n'a pu louer son local commercial à la société Ceratech Carrelages durant une période de 3 ans ; son préjudice à ce titre s'élève à 297 000 euros ; par ailleurs le préjudice locatif résultant de la non location de la maison pendant une durée de 2 ans et 1 mois s'élève à 75 000 euros ; enfin, le préjudice de loyers concernant le local commercial situé au premier étage qui avait également vocation à être loué sur une période de 2 ans et 1 mois, s'élève à 50 000 euros ;
- la société Ceratech Carrelages a subi une perte de chance de se développer dans ces nouveaux locaux compte tenu du retard avec lequel elle s'y est installée ; son préjudice s'élève à 222 911 euros ;
- M. D... a engagé des frais d'avocat à hauteur de 11 122,80 euros pour défendre ses intérêts ; la somme allouée par le tribunal de 2 470 euros est largement insuffisante ; en outre, il a subi un préjudice moral et des troubles dans ses conditions d'existence correspondant à un préjudice qui s'élève à 50 000 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2018, Bordeaux Métropole, représentée par son président en exercice, par Me A..., demande à la cour :
1°) la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité de 137 500 euros à la SCI Nemo 21 et une indemnité de 5 000 euros à M. D..., assortis des intérêts ainsi que la somme de 600 euros au titre des frais irrépétibles et la confirmation du jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus de la demande des requérants ;
2°) à titre principal, de rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires des requérants, à titre subsidiaire, de limiter la somme allouée à la SCI Nemo 21 à 72 387 euros correspondant au non paiement de loyers pendant une période de 8 mois et 24 jours et la somme allouée à M. D... à 2 000 euros et rejeter le surplus de leurs conclusions ;
3°) de condamner les requérants à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les requérants ne démontrent pas le lien direct entre la prétendue faute commise et leur préjudice ; la SCI Nemo 21 n'ayant été constituée que le 16 novembre 2012, elle ne justifie pas de perte de loyers avant cette date ; en outre, elle ne démontre pas que le bien était en état d'être loué à cette date ; ainsi le préjudice lié à la perte de revenus locatifs n'est pas établi ; en outre, cette perte de revenus ne résulte pas directement de la décision de préemption mais du fait que la société Ceratech Carrelage n'a pas pu louer le bien en raison de son précédent bail en cours renouvelé pour 36 mois ; il ne saurait être supérieur, le cas échéant, à la période de 8 mois et 24 jours ;
- en l'absence de mise en location de la maison et du local du premier étage, le préjudice lié à la perte de loyers de ces deux biens n'est pas établi ;
- le préjudice allégué par la société Ceratech Carrelages n'est pas établi ;
- le préjudice moral allégué par M. D... n'est pas établi et demeure incertain ; il ne saurait en tout état de cause dépasser 2 000 euros.
Par une ordonnance du 15 octobre 2018, la clôture d'instruction a été fixée, en dernier lieu, au 20 novembre 2018 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... F...,
- les conclusions de Mme Sylvande Perdu, rapporteur public,
- les observations de Me B..., représentant les requérants, et de Me G..., représentant Bordeaux Métropole.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 3 novembre 2011, le président de la communauté urbaine de Bordeaux a préempté l'immeuble bâti situé 112 avenue Jean Mermoz à Eysines, comportant un hangar et une maison individuelle, dont M. D... et la société SCI Nemo 21 s'étaient portés acquéreurs. Puis par un jugement du 7 mai 2013, devenu définitif, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cet arrêté.
2. La SCI Nemo 21, la SARL Ceratech carrelages et M. D..., gérant de ces deux sociétés, ont demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner Bordeaux Métropole, venant aux droits de la communauté urbaine de Bordeaux, à leur payer respectivement les sommes de 712 513,60 euros, 222 911 euros et 58 652,80 euros en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de cet arrêté.
3. Par un jugement du 30 mars 2017, le tribunal a condamné Bordeaux Métropole à verser à la SCI Nemo 21 la somme de 137 775 euros et à M. D... la somme de 5 000 euros, assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 avril 2015 et a rejeté le surplus de leurs conclusions. La SCI Nemo 21, la SARL Ceratech carrelages et M. D... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de leurs demandes indemnitaires qu'ils réitèrent en appel. Bordeaux Métropole, par la voie de conclusions reconventionnelles demande la réformation du jugement attaqué en tant qu'il l'a condamnée à verser une indemnité de 137 500 euros à la SCI Nemo 21 et une indemnité de 5 000 euros à M. D..., assorties des intérêts, dont elle demande, à tout le moins, de réduire le montant et de confirmer le jugement attaqué en tant qu'il a rejeté le surplus des demandes des requérants.
Sur la faute commise par Bordeaux Métropole :
4. Il résulte de l'instruction que, par ordonnance du 12 juillet 2011, le tribunal de commerce de Bordeaux a autorisé, dans le cadre de la liquidation judiciaire de la société propriétaire, la vente de l'immeuble en litige " au profit de M. D..., agissant pour son propre compte ou pour le compte d'une SCI en cours de constitution dont il sera associé et gérant ". Le notaire en charge de la vente a adressé, le 14 septembre 2011, à la commune d'Eysines, une déclaration d'intention d'aliéner concernant le bien en litige au prix de 250 000 euros. Par arrêté du 3 novembre 2011, le président de la communauté urbaine de Bordeaux a décidé de préempter cet immeuble à ce prix.
5. Le juge des référés, par ordonnance n° 1202149 du 5 juillet 2012, a suspendu l'exécution de cet arrêté avant que par jugement n° 1201606 du 7 mai 2013, devenu définitif, le tribunal annule cet arrêté au motif qu'à la date de l'arrêté litigieux, la communauté urbaine de Bordeaux ne justifiait pas de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objectifs mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme. L'illégalité de l'arrêté du 3 novembre 2011 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de Bordeaux Métropole, ce qui n'est d'ailleurs pas contesté.
Sur les préjudices :
En ce qui concerne les préjudices allégués par la SCI Nemo 21 :
6. En premier lieu, la SCI Nemo 21 soutient qu'à compter du 3 novembre 2011, date de l'arrêté de préemption illégal, et jusqu'au 30 décembre 2013, date de l'acte authentique par lequel elle est devenue propriétaire de l'immeuble en litige, elle a été privée de sa qualité de propriétaire et n'a ainsi pas pu prendre les mesures nécessaires à la sauvegarde du bien litigieux, lequel se serait dégradé, notamment en raison de la présence d'occupants sans titre. A cet égard, les trois devis de réfection de l'entrepôt et de la maison implantés sur le terrain en litige, quand bien même la réalité de l'occupation sans titre est démontrée, ne permettent pas d'établir que les dégradations alléguées auraient pour cause directe la décision illégale de préemption, ni que les travaux prévus par les devis produits auraient pour seul objet de réparer lesdites dégradations et non également de réhabiliter les lieux. Par suite, à défaut de démonstration d'un lien direct entre les travaux prévus et l'occupation sans titre des lieux, le préjudice allégué n'est pas établi.
7. En deuxième lieu, si la SCI Nemo 21 soutient que la décision de préemption illégale l'a empêchée de percevoir des revenus sur la location de la maison et de l'entrepôt commercial, en l'absence de toute pièce établissant la réalité d'un projet de location de la maison et du premier étage de cet entrepôt, la SCI Nemo 21 n'est pas fondée à solliciter la réparation d'un préjudice résultant de la perte de loyers de ces deux biens.
8. En troisième lieu, s'agissant du rez-de-chaussée de l'entrepôt, il résulte de l'instruction, ainsi que le fait valoir la requérante, qu'il était destiné à devenir un local commercial dans lequel projetait de s'installer la société Ceratech carrelages et que le bail par lequel elle a pris le local en location n'a pu intervenir que le 1er août 2015. Contrairement à ce que soutient Bordeaux Métropole, le retard subi dans cette installation ne peut être regardé comme imputable à la société Ceratech carrelages qui s'est trouvée contrainte de renouveler le bail du local qu'elle occupait quand la décision illégale est intervenue. Toutefois, dès lors que des travaux, d'une durée de plusieurs mois, ont dû être réalisés pour permettre l'installation de la société Ceratech carrelages et que, comme il a été dit ci-dessus, ces travaux ne peuvent être regardés comme trouvant leur origine directe dans la faute commise par la personne publique titulaire du droit de préemption, l'absence de perception de loyers pendant la durée qui s'est écoulée entre la décision fautive du 3 novembre 2011 et le 1er août 2015 ne peut être imputée en totalité à Bordeaux Métropole. Par ailleurs, alors que l'annulation de la décision de préemption a été prononcée par jugement du 7 mai 2013, ce n'est que le 4 septembre 2014 que la société Nemo 21, constituée le 16 août 2012, a complété sa demande de permis de construire en vue des travaux de réhabilitation des lieux et le 23 octobre 2014 que le permis de construire a pu être délivré. Dans ces conditions, et en admettant que la société Nemo 21 puisse se prévaloir d'un préjudice né alors qu'elle était en formation, la période de 16,7 mois retenue par le tribunal administratif comme imputable à Bordeaux Métropole ne paraît ni excessive ni sous-estimée. Par suite, et compte tenu d'un loyer de 8 250 euros stipulé par le bail commercial conclu le 1er août 2015 entre la SCI Nemo 21 et la société Ceratech carrelages, il sera fait une juste appréciation des pertes de loyers subies par la société Nemo 21 imputables à Bordeaux Métropole en les évaluant à la somme de 137 775 euros qui a été retenue par le premier juge.
En ce qui concerne les préjudices allégués par la société Ceratech carrelages :
9. La société Ceratech carrelages soutient que la décision illégale de préemption a retardé son installation sur le site litigieux et l'a privée ainsi d'une chance de développer son activité. Toutefois, il résulte de l'instruction que si le chiffre d'affaires réalisé en 2016, première année complète dans ses nouveaux locaux, est supérieur à celui réalisé en 2015, il demeure inférieur à celui réalisé dans les anciens locaux de la société au titre de l'année 2012. Ainsi, et alors que rien ne permet d'attester que le chiffre d'affaires de la société aurait été supérieur en cas d'installation antérieure dans les nouveaux locaux ni que la baisse de son chiffre d'affaires constatée entre 2012 et 2015 aurait pour cause directe l'exiguïté des anciens locaux, la perte de chance alléguée de développer son activité n'est pas établie.
En ce qui concerne les préjudices allégués par M. D... :
10. En premier lieu, lorsque l'intéressé a fait valoir devant le juge une demande fondée sur l'article L. 761-1 du code de justice administrative, le préjudice est intégralement réparé par la décision que prend le juge sur ce fondement. Par suite, M. D... ne saurait obtenir, dans le cadre du présent appel, une somme destinée à couvrir les frais d'avocat exposés pour sa défense dans l'instance ayant donné lieu aux jugements des 7 mai 2013 et du 30 mars 2017, dès lors que ces deux jugements lui ont accordé une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
11. En second lieu, M. D... fait valoir qu'il a subi un préjudice moral et des troubles dans ces conditions d'existence du fait de l'acte de préemption illégal. A cet égard, le tribunal a fait une juste appréciation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence subis par M. D... en conséquence de l'illégalité de la décision de préemption du 3 novembre 2011 et jusqu'à la date d'acquisition du bien le 30 novembre 2013 en condamnant Bordeaux Métropole à lui verser la somme de 5 000 euros.
12. Il résulte de tout ce qui précède que ni les requérants ni Bordeaux Métropole ne sont fondés à demander la réformation du jugement attaqué.
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions des parties tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête d'appel présentée par la SCI Nemo 21, la société Ceratech carrelages et M. D... et les conclusions reconventionnelles présentées par Bordeaux Métropole sont rejetées.
Article 2 : Les conclusions des parties présentées en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Bordeaux Métropole, à la SCI Nemo 21, à la société Ceratech carrelages et à M. E... D....
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme C... F..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur,
Caroline F...
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au préfet de la Gironde, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 17BX01716