Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 juillet 2019, M. A... D..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 5 avril 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté susmentionné du préfet de la Corrèze du 5 février 2019 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou à défaut de réexaminer sa situation dans le délai de trente jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, et en tout état de cause de régulariser sa situation, dans l'attente de la délivrance du titre de séjour ou du réexamen de sa situation, dans le délai de sept jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à son conseil en application des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le premier juge a reconnu l'erreur de droit du préfet qui s'est fondé à tort sur l'article L. 313-10 du code au lieu de l'article 3 de l'accord franco-marocain seul applicable à sa situation mais n'en a pas tiré les conséquences ; la substitution de base légale opérée par le premier juge le prive d'une garantie ; il n'a pas été mis au courant de l'orientation prise par le tribunal sur ce point ;
- le premier juge a omis de répondre au moyen tiré du défaut de base légale de l'obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :
- le préfet ne pouvait se fonder sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour examiner sa demande, seul l'accord franco-marocain s'applique à sa situation ;
- le préfet a méconnu les stipulations des articles 3 et 9 de l'accord franco-marocain ;
- il a méconnu l'article R. 5221-20 du code du travail ;
- le préfet s'est senti à tort lié par l'avis de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi ; les doutes émis par la DIRECCTE quant à la sincérité des documents présentés ne sont pas démontrés ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour ;
- le préfet ne pouvait fonder cette décision sur le 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet a méconnu les dispositions de l'article R. 311-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- il reprend les moyens invoqués pour contester le refus de titre de séjour tirés de ce que le préfet ne pouvait se fonder sur les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour examiner sa demande, alors que seul l'accord franco-marocain s'applique à sa situation, et de ce que l'accord franco-marocain a été méconnu ;
- il reprend les moyens invoqués pour contester le refus de titre de séjour tirés de la violation de l'article R. 5221-20 du code du travail ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- cette décision est illégale en raison de l'illégalité de la décision de refus de titre de séjour et de la décision d'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 14 octobre 2019, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.
Par décision du 22 août 2019, le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal de grande instance de Bordeaux a admis M. D... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Par ordonnance du 11 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 15 octobre 2019 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... D..., ressortissant marocain né le 14 mai 1975, est entré en France le 23 mai 2018, muni d'une carte de résident longue durée " Union Européenne " délivrée par les autorités italiennes en 2010. Le 16 juillet 2018, M. D... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " salarié ". Par un arrêté du 5 février 2019, le préfet de la Corrèze a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. D... relève appel du jugement par lequel le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. D'une part, ainsi que le soutient le requérant, le premier juge a substitué l'article 3 de l'accord franco-marocain à l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile comme base légale de la décision portant refus de séjour sans en informer les parties en méconnaissance de l'article L. 611-7 du code de justice administrative.
3. D'autre part, ainsi que le soutient également le requérant, le premier juge n'a pas répondu au moyen, qui n'était pas inopérant, tiré de l'absence de base légale de l'obligation de quitter le territoire français.
4. Il y a lieu, par suite, pour ces motifs, d'annuler le jugement attaqué en tant qu'il statue sur les conclusions en annulation du refus de séjour et de la décision d'éloignement, d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande de M. D... en ce qu'elle tend à l'annulation des décisions portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire français et de statuer par l'effet dévolutif de l'appel sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
5. Aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles. ". Aux termes de l'article 9 du même accord : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux Etats sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord (...) ". L'accord franco-marocain renvoie ainsi, sur tous les points qu'il ne traite pas, à la législation nationale, en particulier aux dispositions pertinentes du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et du code du travail pour autant qu'elles ne sont pas incompatibles avec les stipulations de l'accord et nécessaires à sa mise en oeuvre. Il en va notamment ainsi pour le titre de séjour " salarié ", mentionné à l'article 3 cité ci-dessus, délivré sur présentation d'un contrat de travail " visé par les autorités compétentes ", des dispositions des articles R. 5221- 17 et suivants du code du travail, qui précisent les modalités selon lesquelles et les éléments d'appréciation en vertu desquels le préfet se prononce, au vu notamment du contrat de travail, pour accorder ou refuser une autorisation de travail.
6. Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / 1° Les documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur ; / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Selon l'article L. 5221-5 : " Un étranger autorisé à séjourner en France ne peut exercer une activité professionnelle salariée en France sans avoir obtenu au préalable l'autorisation de travail mentionnée au 2° de l'article L. 5221-2. (...). ". En vertu de l'article R. 5221-17 : " La décision relative à la demande d'autorisation de travail mentionnée à l'article R. 5221-11 est prise par le préfet. Elle est notifiée à l'employeur ou au mandataire qui a présenté la demande, ainsi qu'à l'étranger. ". Selon l'article R. 5221-20 du même code : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : /1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; /2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ;/ (...) 5° Les conditions d'emploi et de rémunération offertes à l'étranger, qui sont comparables à celles des salariés occupant un emploi de même nature dans l'entreprise ou, à défaut, conformes aux rémunérations pratiquées sur le marché du travail pour l'emploi sollicité ; /6° Le salaire proposé à l'étranger qui, même en cas d'emploi à temps partiel, est au moins équivalent à la rémunération minimale mensuelle mentionnée à l'article L. 3232-1 (...) ".
7. En premier lieu, alors que la situation des ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France est régie par l'article 3 de l'accord franco-marocain, le préfet a visé l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile prévoyant la délivrance de la carte de séjour temporaire en qualité de salarié. Toutefois, lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée. En l'espèce, le refus de séjour opposé à M. D... trouve son fondement légal dans les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain, qui peuvent être substituées aux dispositions de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dès lors que cette substitution de base légale, sur laquelle le requérant a pu présenter des observations, ne prive l'intéressé d'aucune garantie, contrairement à ce qu'il soutient.
8. En deuxième lieu, le préfet de la Corrèze a refusé de délivrer à M. D... le titre de séjour " salarié " qu'il avait sollicité, en se fondant sur l'avis défavorable rendu par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi du 25 octobre 2018 qui relève que la société Atlas Elagage qui se proposait de l'embaucher en qualité de bûcheron, avait déposé une offre d'emploi avec un salaire proposé inférieur à celui offert à l'intéressé figurant sur la demande d'autorisation au travail. Ces éléments non contestés traduisent une absence de démarches réelles par l'employeur pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail. Le préfet s'est également appuyé sur les constatations de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi qui a relevé des contradictions de nature à remettre en cause la sincérité des documents présentés, de sorte que l'employeur ne justifiait pas de l'expérience demandée pour l'exercice du poste par M. D.... Ces éléments ne sont pas davantage contestés. Ainsi, le préfet de la Corrèze a pris en compte, conformément à l'article R. 5221-20 précité du code du travail, la situation de l'emploi, l'adéquation entre l'expérience de l'intéressé et l'emploi concerné, ainsi que les conditions de rémunération prévues et a pu à bon droit, pour ces motifs, refuser à ce dernier un titre de séjour en qualité de salarié. L'attestation d'affiliation de la société Atlas Elagage à la Mutualité sociale agricole n'est pas de nature à remettre en cause le bien-fondé de l'arrêté contesté. Enfin, la proposition d'offre d'emploi produite par le requérant qui contient des éléments contradictoires relatifs à l'expérience demandée pour le poste, n'est pas davantage de nature à remettre en cause la légalité dudit arrêté. Par suite, le préfet a pu à bon droit refuser de délivrer à M. D... le titre de séjour sollicité en qualité de salarié.
9. En troisième lieu, contrairement à ce que soutient M. D..., il ressort de l'arrêté contesté que le préfet de la Corrèze ne s'est pas senti lié par l'avis de la direction des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi puisqu'il a également vérifié, au regard de l'ancienneté de séjour de l'intéressé, si celui-ci justifiait de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels permettant la régularisation de sa situation administrative.
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire :
10. En premier lieu, le présent arrêt écarte les moyens présentés par l'intéressé pour contester la légalité du refus de titre de séjour qui lui a été opposé. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que l'obligation de quitter le territoire français contestée est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour qui la fonde.
11. En deuxième lieu, alors que la situation de M. D... relève du 3° du I de l'article L. 511-1, le préfet a visé le 2° du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Corrèze a demandé au tribunal de substituer aux dispositions de l'article L. 511-1 I 2° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, les dispositions de l'article L. 511-1 I 3° qui sont de portée équivalente, comme fondement de sa décision. M. D..., qui a été mis en mesure de faire valoir ses observations par la communication du mémoire du préfet, n'établit ni même n'allègue que cette substitution le priverait d'une garantie. Ainsi, le préfet, qui disposait du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une et l'autre de ces dispositions, est fondé à demander à la cour de substituer à la base légale retenue dans l'arrêté contesté, celle constituée de l'article L. 511-1 I 3°. Il y a donc lieu pour la cour de procéder à cette substitution.
12. En troisième lieu, la circonstance que le préfet n'ait pas remis à M. D... un récépissé lors du dépôt complet de son dossier de demande de titre de séjour est sans incidence sur la légalité de l'arrêté contesté.
13. En quatrième lieu, il ressort de la décision contestée, qui vise l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que le préfet indique que l'intéressé n'entre dans aucun des cas d'attribution d'un titre de séjour de plein droit et qu'il n'existait pas d'obstacle à ce qu'il quitte le territoire français. Il résulte de cette motivation que le préfet s'est livré à un examen complet de la situation personnelle et familiale du requérant.
14. Enfin, M. D... ne peut pas utilement invoquer le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 qui ne concerne que les conditions de délivrance de titre de séjour, à l'encontre de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
15. Le présent arrêt écarte les moyens présentés par M. D... pour contester la légalité de la décision portant refus de séjour et de celle portant obligation de quitter le territoire français qui lui a été opposée. Dès lors, il n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de renvoi est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et du refus de titre de séjour.
16. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du préfet de la Corrèze portant refus de délivrance d'un titre de séjour et de la décision de la même autorité portant obligation de quitter le territoire français. Il n'est pas davantage fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision du préfet de la Corrèze fixant le pays de renvoi. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Limoges est annulé en tant qu'il statue sur les conclusions de M. D... tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Corrèze du 5 février 2019 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français.
Article 2 : Les conclusions de première instance présentées par M. D... tendant à l'annulation des décisions du préfet de la Corrèze du 5 février 2019 portant refus de délivrance d'un titre de séjour et obligation de quitter le territoire français et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., à Me C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Frédéric Faïck, président-assesseur,
Mme Caroline B..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 26 novembre 2019.
Le rapporteur,
Caroline B...
Le président,
Elisabeth Jayat
Le greffier,
Virginie Marty
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
2
N° 19BX02679