Par une requête, enregistrée le 19 mai 2021, M. B..., représenté par Me Coste, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 27 janvier 2021 ;
2°) d'annuler l'arrêté préfectoral du 20 juillet 2020 ;
3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative ou à défaut(, de procéder à un nouvel examen de sa demande et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, en application des articles L. 911-2 du code de justice administrative et L. 512-4 du code de l'entrée et séjour des étrangers et du droit d'asile, sous astreinte de 150 euros par jour de retard, à compter du mois suivant la notification de la décision à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros en application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- sa requête est recevable ;
- le jugement attaqué est entaché d'irrégularité dès lors que le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination ;
- la décision de refus de séjour méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales eu égard à sa parfaite intégration, à la naissance de sa fille pour laquelle il est très présent et à la présence régulière de son épouse qui a vocation à demeurer en France ;
- cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle ;
- cette décision qui aura pour effet de le séparer de son épouse et de sa fille, est contraire à l'intérêt supérieur de son enfant ;
- la décision portant obligation de quitter le territoire national est contraire à l'intérêt supérieur de son enfant dès lors qu'elle aura pour effet de la séparer de son père ;
- la décision fixant le pays de renvoi méconnaît l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales dès lors qu'il a fait l'objet d'un appel sous les drapeaux dans le cadre de la mobilisation décrétée dans son pays d'origine et qu'il encourt des poursuites pénales pour ne pas avoir déféré à une convocation du ministre de la défense en date du 24 janvier 2021.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 septembre 2021, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Elle indique s'en remettre à son mémoire présenté en première instance.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er avril 2021.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de Mme Birsen Sarac-Deleigne a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant arménien né en 1985, déclare être entré en France en septembre 2018 sous couvert d'un visa de court séjour délivré par les autorités espagnoles. Il s'est marié le 2 novembre 2018 avec une compatriote en situation régulière, et a sollicité le 6 novembre 2018 un titre de séjour sur le fondement du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 20 juillet 2020, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. M. B... relève appel du jugement du 27 janvier 2021, par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement :
2. Il ressort de la demande enregistrée au greffe du tribunal le 21 septembre 2020, que M. B... a soulevé à l'encontre de la décision fixant le pays de destination un moyen tiré de la violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Le tribunal ne s'est pas prononcé sur ce moyen, qui n'était pas inopérant et qu'il n'a d'ailleurs pas visé dans son jugement. Par suite, M. B... est fondé à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier dans cette mesure et à en demander l'annulation en tant seulement qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination.
3. Il y a lieu de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions de M. B... dirigées contre la décision fixant le pays de renvoi, et par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur le surplus de la requête.
Sur la légalité de la décision portant refus de titre de séjour :
4. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".
5. M. B... fait valoir qu'il s'est marié le 2 novembre 2018, moins de deux mois après son entrée sur le territoire français, avec une compatriote en situation régulière, qui est titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée depuis 2016, et dont la famille réside régulièrement en France, et qu'ils ont eu un enfant né le 29 juillet 2019. Toutefois, le requérant ne produit aucune pièce de nature à établir l'ancienneté de sa relation avec son épouse avant leur mariage, lequel était récent à la date de l'arrêté attaqué. En outre, il ne justifie pas davantage d'une insertion socio-professionnelle notable par la seule production d'une attestation de suivi de cours pour l'apprentissage de la langue française et d'une promesse d'embauche, au demeurant postérieure à la décision attaquée. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'il serait dépourvu d'attaches dans son pays d'origine où il a résidé jusqu'à l'âge de 33 ans. Par ailleurs, M. B... ne fait état d'aucun obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France et notamment en Arménie, pays dont son épouse et son enfant mineur ont la nationalité. De plus, il entre dans le champ d'application de la procédure de regroupement familial et il ne ressort d'aucune pièce du dossier qu'il ne pourrait bénéficier d'une telle mesure. Ainsi, dans les circonstances de l'espèce, compte tenu notamment des conditions du séjour de M. B... sur le territoire français et du caractère récent de sa vie familiale en France, le refus de séjour attaqué n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris et n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, il n'est pas entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle du requérant. Par suite, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.
6. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale "
7. Ainsi qu'il vient d'être dit, l'enfant de M. B..., s'il est né en France le 29 juillet 2019, est de nationalité arménienne. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté attaqué n'a pas pour effet de le séparer de son enfant, dès lors que rien ne fait obstacle à ce que la cellule familiale se reconstitue hors de France, et notamment en Arménie, pays dont son épouse a la nationalité. En outre, comme il a été dit précédemment, le requérant entre dans le champ de la procédure de regroupement familial, il ne fait état d'aucun élément qui ferait obstacle à ce qu'il bénéficie d'une telle mesure et peut bénéficier d'un visa de court séjour pendant l'instruction d'une demande à ce titre, de sorte que l'enfant ne serait pas séparé durablement de son père. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3-1 de la convention de New-York relative aux droits de l'enfant doit être écarté
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
8. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 7, le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement méconnaitrait l'intérêt supérieur de l'enfant du requérant tel que protégé par l'article 3-1 de convention internationale relative aux droits de l'enfant, doit être écarté.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
9. Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".
10. Si le requérant soutient qu'un retour en Arménie l'exposerait à des traitements contraires à ces stipulations du fait du conflit qui a opposé récemment ce pays à l'Azerbaïdjan, les pièces qu'il produit et notamment la convocation en vue d'une mobilisation sous les drapeaux, au demeurant postérieure à la décision attaquée, ne saurait suffire pour permettre d'estimer qu'il serait exposé un risque réel de subir des menaces graves et directes contre sa vie ou sa personne. Par suite, la préfète de la Gironde, en prenant la décision en litige n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
11. Il résulte de ce qui précède que les conclusions à fin d'annulation dirigées contre la décision fixant le pays de destination, présentées par M. B... devant le tribunal administratif de Bordeaux doivent être rejetées. M. B... n'est par ailleurs pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation des décisions portant refus de titre de séjour et obligation de quitter le territoire français. Par voie de conséquence, les conclusions présentées par le requérant à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2004216 du 27 janvier 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé en tant qu'il statue sur la décision de la préfète de la Gironde du 20 juillet 2020 fixant le pays de destination.
Article 2 : La demande présentée par M. B... au tribunal administratif de Bordeaux, en tant qu'elle tend à l'annulation de la décision fixant le pays de destination prise par la préfète de la Gironde le 20 juillet 2020, ainsi que le surplus de ses conclusions d'appel, sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au ministre de l'intérieur.
Une copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 8 février 2022 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, présidente,
Mme Birsen Sarac-Deleigne, première conseillère,
Mme Laury Michel, première conseillère,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 février 2022.
La rapporteure,
Birsen Sarac-DeleigneLa présidente,
Elisabeth JayatLa greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 21BX02232