Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 30 janvier 2018, le préfet de la Gironde demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 janvier 2018 ;
2°) de rejeter les conclusions à fin d'annulation présentées par M. D...devant le tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de M. D...la somme de 800 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- c'est à tort que les premiers juges ont considéré que l'avis du 24 juillet 2017 du collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII), était incomplet faute d'indiquer siB..., le fils de M. D...pouvait bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
- en effet, dès lors qu'en vertu de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la délivrance d'un titre de séjour en qualité d'étranger malade, est subordonnée à la condition nécessaire que le défaut de soins ait des conséquences d'une exceptionnelle gravité et que l'avis du collège de médecins se fonde sur cette circonstance, ce collège dans son avis, n'avait pas à s'interroger sur le fait de savoir si B...D...pouvait ou non bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine ;
- plusieurs cours administratives d'appel dont notamment la cour administrative d'appel de Bordeaux, par un arrêt du 26 janvier 2018, n° 17BX03372, ont jugé que l'avis du médecin de l'agence régionale de santé n'avait pas à s'interroger sur l'existence d'un traitement approprié dans le pays d'origine dans l'hypothèse où comme en l'espèce, il est considéré que le défaut de soins n'aurait pas de conséquences d'une exceptionnelle gravité ;
- compte tenu de ces éléments et de ce que M. D...a fait l'objet de plusieurs décisions de refus de titres de séjour, de rejets de sa demande d'asile, et d'obligations de quitter le territoire dont la légalité a été confirmée par la cour, la reconstitution de la cellule familiale au Kosovo, n'est impossible ni pour B...D..., qui a vécu au Kosovo jusqu'à l'âge de 10 ans, ni pour son père.
Par un mémoire en défense enregistré le 15 mars 2018 et un mémoire complémentaire, enregistré le 30 mars 2018, M. D...représenté par Me A..., conclut au rejet de la requête du préfet de la Gironde, à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de lui délivrer dans le délai de quinze jours de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, une carte de séjour temporaire ou à défaut de réexaminer sa demande, dans le même délai et sous la même astreinte, de lui délivrer dans l'attente de ce réexamen, une autorisation provisoire de séjour, et de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- les moyens invoqués par le préfet de la Gironde ne sont pas fondés ;
- c'est à bon droit que les premiers juges ont retenu l'irrégularité de l'avis de l'OFII ;
- ne figure pas sur l'avis le nom du médecin de l'OFII qui a établi le rapport médical, ce qui ne permet pas de s'assurer qu'il n'aurait pas siégé dans le collège de médecins qui a rendu son rapport ;
- le refus de séjour qui lui est opposé est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L 313-11 11° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile compte tenu de l'état de santé d'B...D... ;
- le préfet a commis une erreur de droit en s'estimant lié par l'avis de l'OFFI ; la décision du préfet est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation quant à sa situation personnelle ;
- cette décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de l'article L 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et porte atteinte à son droit au respect de sa vie privée et familiale sur le fondement de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- en effet, si le préfet indique qu'il n'apporterait pas la preuve de l'intensité et de la stabilité de ses liens privés et familiaux en France, il vivait, à la date de la décision de refus de séjour, depuis plus de cinq ans en France, y était intégré, notamment par l'apprentissage du français, et avait ses trois enfants scolarisés en France depuis 5 ans dont l'un d'entre eux relevait d'une prise en charge médicale importante adaptée à son handicap ;
- la décision attaquée se fonde sur l'absence d'activités professionnelles, alors qu'il travaille sous forme d'un contrat à durée indéterminée, dans le domaine du bâtiment, depuis le 20 juin 2017, date à laquelle il a été autorisé à travailler ;
- la décision de refus de séjour n'a pas été prise en considération de l'intérêt supérieur de ses enfants et a méconnu l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- l'obligation de quitter le territoire est entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité du refus de séjour, porte atteinte à l'intérêt supérieur de ses enfants au sens de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant ;
- cette décision caractérise à minima une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de cette décision sur sa situation personnelle et celle de ses enfants ;
- la décision de fixation du pays de renvoi est entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité des décisions de refus de séjour et d'obligation de quitter le territoire.
M. D...a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 avril 2018.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Par décision du 1er mars 2018, le président de la cour a désigné Mme Florence Madelaigue pour exercer temporairement les fonctions de rapporteur public en application des articles R. 222-24 et R. 222-32 du code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila,
- et les observations de MeA..., représentant M.D....
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant kosovar, né le 8 août 1977, est entré en France le 15 octobre 2012, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants. Après le rejet de sa demande d'asile politique, le 31 octobre 2013 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le 24 septembre 2014 par la Cour nationale du droit d'asile, M. D...a présenté une demande de titre de séjour en qualité d'étranger malade. M. D...a fait l'objet d'un arrêté du 12 juin 2015 du préfet de la Gironde portant refus de séjour et obligation de quitter le territoire dont la légalité a été confirmée par un arrêt de la cour du 16 juin 2016. M. D...a été attributaire, le 7 décembre 2016, d'une autorisation provisoire de séjour en qualité de parent d'un étranger mineur malade sur le fondement de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 25 septembre 2017, le préfet de la Gironde lui a refusé le séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement. Le préfet de la Gironde relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 24 janvier 2018 qui a annulé cet arrêté du 25 septembre 2017 et lui a enjoint de réexaminer la situation de M. D...dans un délai de deux mois.
2. Aux termes de l'article L. 311-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si leur présence constitue une menace pour l'ordre public, une autorisation provisoire de séjour est délivrée aux parents étrangers de l'étranger mineur qui remplit les conditions mentionnées au 11° de l'article L. 313-11, ou à l'étranger titulaire d'un jugement lui ayant conféré l'exercice de l'autorité parentale sur ce mineur, sous réserve qu'ils justifient résider habituellement en France avec lui et subvenir à son entretien et à son éducation, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée. L'autorisation provisoire de séjour mentionnée au premier alinéa, qui ne peut être d'une durée supérieure à six mois, est délivrée par l'autorité administrative, après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans les conditions prévues au 11° de l'article L. 313-11. Cette autorisation provisoire de séjour ouvre droit à l'exercice d'une activité professionnelle. Elle est renouvelée pendant toute la durée de la prise en charge médicale de l'étranger mineur, sous réserve que les conditions prévues pour sa délivrance continuent d'être satisfaites. " Aux termes de l'article L. 313-11 du même code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : 11° A l'étranger résidant habituellement en France, si son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigée. La décision de délivrer la carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. Chaque année, un rapport présente au Parlement l'activité réalisée au titre du présent 11° par le service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration ainsi que les données générales en matière de santé publique recueillies dans ce cadre.". Aux termes de l'article R. 313-22 du même code : " Pour l'application du 11° de l'article L. 313-11, le préfet délivre la carte de séjour au vu d'un avis émis par un collège de médecins à compétence nationale de l'Office français de l'immigration et de l'intégration. L'avis est émis dans les conditions fixées par arrêté du ministre chargé de l'immigration et du ministre chargé de la santé au vu, d'une part, d'un rapport médical établi par un médecin de l'Office français de l'immigration et de l'intégration et, d'autre part, des informations disponibles sur les possibilités de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans le pays d'origine de l'intéressé. Les orientations générales mentionnées à la quatrième phrase du 11° de l'article L. 313-11 sont fixées par arrêté du ministre chargé de la santé. ". En vertu de l'article 6 de l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) désigné afin d'émettre un avis doit préciser : " a) si l'état de santé de l'étranger nécessite ou non une prise en charge médicale ; b) si le défaut de cette prise en charge peut ou non entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité sur son état de santé ; c) si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont le ressortissant étranger est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié; d) la durée prévisible du traitement. Dans le cas où le ressortissant étranger pourrait bénéficier effectivement d'un traitement approprié, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, le collège indique, au vu des éléments du dossier du demandeur, si l'état de santé de ce dernier lui permet de voyager sans risque vers ce pays(...) ".
3. Pour annuler l'arrêté litigieux du 25 septembre 2017, les premiers juges ont considéré que celui-ci avait été pris à la suite d'une procédure irrégulière faute d'indication, par le collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans son avis du 24 juillet 2017, dans les conditions prévues à l'article 6 précité de l'arrêté du 27 décembre 2016, de la possibilité pour B...D..., fils du requérant, de bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que par cet avis du 24 juillet 2017, sur lequel le préfet de la Gironde s'est fondé dans l'arrêté en litige, le collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que si l'état de santé de l'enfant B...D..., né le 7 octobre 2003, nécessitait une prise en charge médicale, le défaut d'une telle prise en charge ne devrait pas entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'au vu des éléments de son dossier, son état de santé pouvait lui permettre de voyager sans risque vers le pays d'origine. Ainsi, dès lors que le collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé que la condition tenant aux conséquences d'une exceptionnelle gravité du défaut d'une prise en charge médicale n'était pas en l'espèce remplie, l'absence de mention dans l'avis du 24 juillet 2017 du collège des médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration relative à l'accès effectif au traitement approprié dans le pays d'origine n'a pas entaché d'irrégularité la procédure sur laquelle repose l'arrêté en litige du 25 septembre 2017 du préfet de la Gironde. Le préfet de la Gironde est par suite fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bordeaux s'est fondé sur l'existence d'un vice de procédure pour annuler son arrêté.
4. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M.D....
Sur la décision portant refus de séjour :
Sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens présentés :
5. M.D..., est entré en France le 15 octobre 2012, accompagné de son épouse et de leurs trois enfants et se trouvait donc à la date de la décision attaquée depuis près de cinq ans en France. Il ressort des pièces du dossier que M. D...justifie de son intégration en France, notamment par son apprentissage de la langue française et par l'exercice d'une activité professionnelle, dans le domaine du bâtiment, à laquelle il a été autorisé, à compter du 20 juin 2017. Les trois enfants du couple, Arend, B...et Alena, nés respectivement le 6 avril 2002, le 7 octobre 2003 et le 27 novembre 2008, entrés en France en compagnie de leurs parents le 15 octobre 2012, étaient à la date de la décision du préfet scolarisés en France, et il ressort des attestations d'une directrice d'école et d'enseignants, que ces enfants suivent, grâce notamment aux efforts en ce sens de leurs parents, assidument leur scolarité, et font preuve d'une volonté d'intégration en France. Dans ces conditions, et alors qu'au surplus le jeuneB..., qui souffre d'un retard mental, bénéficie d'une prise en charge médico-sociale, l'arrêté contesté doit dans les circonstances de l'espèce, être regardé comme se trouvant entaché d'une erreur manifeste d'appréciation de la situation personnelle de M. D...et se trouve donc entaché d'illégalité.
6. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Gironde n'est pas fondé à se plaindre de l'annulation par le tribunal administratif de Bordeaux, par son jugement du 24 janvier 2018, de l'arrêté préfectoral du 25 septembre 2017.
7. Compte tenu du motif d'annulation retenu par le présent arrêt, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Gironde de délivrer à M. D...un titre de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.
8. Compte tenu de ce qui précède, les conclusions du préfet de la Gironde tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à MeA..., conseil de M. D...sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Gironde est rejetée.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. D...un titre de séjour temporaire portant la mention vie privée et familiale dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à MeA..., conseil de M. D..., la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de M. D...est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, à Me A...et au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 3 avril 2018 à laquelle siégeaient :
Mme Elisabeth Jayat, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
M. Frédéric Faïck, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 15 mai 2018.
Le rapporteur,
Pierre Bentolila
Le président,
Elisabeth JayatLe greffier,
Evelyne Gay-Boissières
La République mande et ordonne au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 18BX00396