Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 12 juin 2019, M. C... B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux du 8 février 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du 5 février 2019 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à son conseil sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée en fait en l'absence de motivation sur sa situation personnelle, sociale, familiale et professionnelle ;
- cette omission révèle un défaut d'examen de sa situation personnelle alors qu'il avait indiqué lors de sa rétention vivre en concubinage depuis dix-huit mois avec une ressortissante française qu'il a épousé religieusement ;
- l'obligation de quitter le territoire français méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 6-5 de l'accord franco-algérien eu égard à son concubinage avec une ressortissante française qu'il a épousé religieusement et avec qui il a l'intention de se marier civilement ;
- le refus de délai de départ volontaire est illégal en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- le refus de délai de départ volontaire se fonde sur le risque de fuite or ce risque n'est pas caractérisé puisqu'il réside depuis un an et demi chez sa concubine et qu'il dispose d'une carte de groupe sanguin permettant de l'identifier. Ce refus est donc entaché d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- l'interdiction de retour sur le territoire français est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français ;
- la durée de l'interdiction de retour sur le territoire est disproportionnée eu égard à ses attaches familiales en France. Sa compagne ne peut l'accompagner en Algérie en raison de son travail. En outre, il n'a jamais fait l'objet d'une mesure d'éloignement et ne représente pas une menace pour l'ordre public. Cette interdiction est donc entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par ordonnance du 10 juillet 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 16 septembre 2019 à midi.
M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 mai 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. E... A... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., ressortissant algérien né le 13 novembre 1984, est, selon ses déclaration, entré irrégulièrement en France en 2017. Par un arrêté du 5 février 5019, pris à la suite d'un contrôle d'identité du même jour, le préfet de la Gironde lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de retourner sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel du jugement du 8 février 2019 par lequel le magistrat désigné par le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
2. En premier lieu, l'arrêté litigieux vise l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment le 1° du I de cet article, et précise que M. B... est entré irrégulièrement en France et qu'il ne remplit aucune condition pour y résider, énonçant ainsi les considérations de droit et de fait fondant l'obligation de quitter le territoire français. Dès lors, l'absence de mention de la présence de sa compagne en France ne saurait révéler un défaut de motivation.
3. En deuxième lieu, si l'arrêté ne fait pas mention de sa compagne alors qu'il en avait fait part lors de son audition par les services de police le 5 février 2019, cette omission, pour regrettable qu'elle soit, ne saurait révéler un défaut d'examen de sa situation personnelle dès lors que les mentions dans l'arrêté afférentes à sa situation personnelle, notamment le fait qu'il soit célibataire et sans charges de famille, ne sont pas inexactes et que s'il avait effectivement fait mention de son concubinage, il n'en avait pas justifié, comme cela est indiqué dans l'arrêté lequel précise que M. B... ne justifie pas de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France. Ce moyen doit donc également être écarté.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale (...). / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : (...) 5) au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ".
5. M. B... se prévaut de la présence en France de sa compagne de nationalité française avec laquelle il vit en concubinage depuis un an et demi et qu'il a épousé religieusement en septembre 2018 à Cenon. Cependant, à la date de l'arrêté litigieux, le couple vivait en concubinage depuis moins de deux ans et n'a pas d'enfant issu de leur union. Par ailleurs, M. B... n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où il a vécu la majeure partie de sa vie et où résident son père, deux frères et cinq soeurs. Dès lors, et eu égard aux conditions de son séjour en France, l'obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit de M. B... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels elle a été édictée. Par suite, les moyens tirés de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 5 de l'article 6 de l'accord franco-algérien doivent être écartés.
Sur la légalité du refus d'octroi d'un délai de départ volontaire :
6. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de ce refus en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
7. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ;(...) f) Si l'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu'il ne peut présenter des documents d'identité ou de voyage en cours de validité, qu'il a refusé de communiquer les renseignements permettant d'établir son identité ou sa situation au regard du droit de circulation et de séjour ou a communiqué des renseignements inexacts, qu'il a refusé de se soumettre aux opérations de relevé d'empreintes digitales ou de prise de photographie prévues au deuxième alinéa de l'article L. 611-3, qu'il ne justifie pas d'une résidence effective et permanente dans un local affecté à son habitation principale ou qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles L. 513-4, L. 513-5, L. 552-4, L. 561-1, L. 561-2 et L. 742-2 ; (...) h) Si l'étranger a explicitement déclaré son intention de ne pas se conformer à son obligation de quitter le territoire français (...) ".
8. Il ressort de l'arrêté contesté que le préfet de la Gironde a fondé son refus d'octroyer un délai de départ volontaire sur le a), le f) et le h) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. M. B... soutient qu'il n'existe pas de risque de fuite dans la mesure où il justifie de garanties de représentation par une résidence effective au domicile de sa compagne et par le document d'identité que constitue sa carte de groupe sanguin. Toutefois, il n'est pas contesté et il ressort des pièces du dossier que la situation de M. B... correspond aux cas énoncés au a) et au h) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, lesquels suffisent pour caractériser un risque de fuite, la présence de sa compagne ne pouvant être regardée comme une circonstance particulière au sens de ces dispositions. Il ressort également des pièces du dossier que le préfet de la Gironde aurait pris la même décision en se fondant uniquement sur le a) et le h) du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Les moyens tirés de la méconnaissance de ces dispositions et de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation doivent dès lors être écartés.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de cette décision en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
Sur la légalité de l'interdiction de retour sur le territoire français :
10. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français, d'une durée maximale de trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français, lorsque aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger. (...) L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...). ". Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères que ces dispositions énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi d'un moyen en ce sens, de rechercher si les motifs qu'invoque l'autorité compétente sont de nature à justifier légalement dans son principe et sa durée la décision d'interdiction de retour.
11. Si M. B... est entré et s'est maintenu irrégulièrement en France depuis une date indéterminée et s'il est sans ressources légales sur le territoire national, il n'a en revanche fait l'objet d'aucune mesure d'éloignement préalablement et il n'est pas contesté qu'il vit en concubinage avec une ressortissante française qui a un travail et une fille issue d'une précédente union. Dès lors, les circonstances susénoncées ne sont pas à elles seules de nature à justifier une durée de deux ans d'interdiction de retour sur le territoire français. Dans ces conditions, le préfet de la Gironde, en prononçant à l'encontre de M. B... une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans, a fait une inexacte appréciation de sa situation au regard des dispositions précitées du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
12. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen invoqué à l'encontre de l'interdiction de retour sur le territoire français, que M. B... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'interdiction de retour sur le territoire français comprise dans l'arrêté du 5 février 2019.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt, qui n'annule que l'interdiction de retour sur le territoire français, n'implique aucune mesure d'exécution autre que celle consistant à supprimer le signalement de l'intéressé aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen pour la durée de l'interdiction. Par suite, les conclusions de M. B... tendant à la délivrance d'un titre de séjour ne peuvent qu'être rejetées.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
14. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions de M. B... présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE
Article 1er : L'arrêté du préfet de la Gironde du 5 février 2019 est annulé en tant qu'il interdit le retour de M. B... sur le territoire français pendant une période de deux ans.
Article 2 : Le jugement n° 1900545 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux en date du 8 février 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B..., au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme Karine Butéri, président-assesseur,
M. E... A..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 2 décembre 2019
Le rapporteur,
Paul-André A...
Le président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02329