Procédures devant la cour :
I.- Par une requête, enregistrée le 24 avril 2019 sous le n° 19BX01728, le préfet des Deux-Sèvres demande à la cour d'annuler ce jugement du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers du 8 avril 2019.
Il soutient qu'il n'a commis aucune erreur manifeste d'appréciation ; un accord implicite a la même valeur qu'un accord explicite ; l'Espagne n'est pas remise en cause dans son application du règlement Dublin par les institutions européennes ; il n'y a aucun " éléments spécifiques " signalant le risque d'une atteinte grave et manifestement illégale au droit d'asile en Espagne ; rien n'indique que les autorités espagnoles ne seraient pas en mesure d'accueillir Mme B... et son fils, ni que l'intérêt de l'enfant ne serait pas pris en compte par les autorités espagnoles.
Par une ordonnance en date du 22 mai 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 juillet 2019.
II.- Par une requête, enregistrée le 24 avril 2019 sous le n° 19BX01729, le préfet des Deux-Sèvres demande à la cour de prononcer le sursis à exécution du jugement précité du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers du 8 avril 2019.
Il soutient qu'il présente des moyens sérieux de nature à justifier l'annulation de ce jugement et le rejet de la demande présentée par Mme B....
Par une ordonnance en date du 22 mai 2019, la clôture de l'instruction a été fixée au 22 juillet 2019.
Vu les autres pièces des dossiers.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 du Parlement européen et du Conseil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme E... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B..., de nationalité guinéenne, née en 1998, est entrée irrégulièrement sur le territoire français, à une date inconnue. Le 18 octobre 2018, elle a déposé une demande d'asile au guichet unique des demandeurs d'asile de la préfecture de la Vienne. Le 5 décembre 2018, le préfet des Deux-Sèvres a saisi les autorités espagnoles d'une demande de prise en charge en application du règlement Dublin, demande dont elles ont accusé réception le 5 février 2019. Le 1er avril 2019, le préfet de ce département a pris à l'encontre de Mme B... un arrêté portant remise aux autorités espagnoles, ainsi qu'un arrêté prononçant son assignation à résidence dans l'attente de son transfert. Par une requête, enregistrée sous le n° 19BX01728, le préfet des Deux-Sèvres fait appel du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers, qui a annulé ses deux arrêtés. Par une requête, enregistrée sous le n° 17BX01729, le préfet demande le sursis à exécution de ce même jugement. Ces deux requêtes présentant des questions identiques à juger et ayant fait l'objet d'une instruction commune, il y a lieu de les joindre pour qu'il y soit statué par un seul et même arrêt.
Sur la requête au fond :
En ce qui concerne le moyen d'annulation retenu par le premier juge :
2. Aux termes de l'article 3.2 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013: " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. Lorsqu'il est impossible de transférer le demandeur en vertu du présent paragraphe vers un État membre désigné sur la base des critères énoncés au chapitre III ou vers le premier État membre auprès duquel la demande a été introduite, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable devient l'État membre responsable. ". En vertu de l'article 17 de ce règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) 2. L'Etat membre dans lequel une demande de protection internationale est présentée et qui procède à la détermination de l'Etat membre responsable, ou l'Etat membre responsable, peut à tout moment, avant qu'une première décision soit prise sur le fond, demander à un autre Etat membre de prendre un demandeur en charge pour rapprocher tout parent pour des raisons humanitaires fondées, notamment, sur des motifs familiaux ou culturels, même si cet autre Etat membre n'est pas responsable au titre des critères définis aux articles 8 à 11 et 16. (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque Etat membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Enfin, en vertu de l'article 20, alinéa 3 de la directive 2011/95/UE du Parlement Européen et du Conseil du 13 décembre 2011 susvisée : " Lorsqu'ils appliquent le présent chapitre [contenu de la protection internationale, y compris la protection contre le refoulement], les États membres tiennent compte de la situation spécifique des personnes vulnérables telles que les mineurs, les mineurs non accompagnés, les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les parents seuls accompagnés d'enfants mineurs, les victimes de la traite des êtres humains, les personnes ayant des troubles mentaux et les personnes qui ont subi des tortures, des viols ou d'autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle. " Enfin, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ".
3. Il résulte de ces dispositions et stipulations que la présomption selon laquelle un État " Dublin " respecte ses obligations découlant de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales est renversée en cas de défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'État membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant subi par ces derniers. Les dispositions du paragraphe 2 de l'article 3 du règlement du 26 juin 2013 prévoient ainsi que chaque État membre peut examiner une demande d'asile qui lui est présentée par un ressortissant d'un pays tiers, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés par ce règlement. Cette possibilité, également prévue par l'article 17 du même règlement et reprise par l'article L. 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, doit en particulier être mise en oeuvre lorsqu'il y a des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé courra, dans le pays de destination, un risque réel d'être soumis à la torture ou à des peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans ce cas, les autorités d'un pays membre peuvent, en vertu du règlement communautaire précité, s'abstenir de transférer le ressortissant étranger vers le pays pourtant responsable de sa demande d'asile si elles considèrent que ce pays ne remplit pas ses obligations au regard de la Convention, notamment compte tenu de la durée du traitement et de ses effets physiques et mentaux ainsi que, parfois, du sexe, de l'âge, de l'état de santé du demandeur (CEDH, n° 30696/09, MSS / Belgique 21 juin 2011) et le cas échéant, de sa particulière vulnérabilité définie par les dispositions précitées de l'article 20 de la directive 2011/95/UE.
4. En application du principe qui vient d'être énoncé, il appartient au juge administratif de rechercher si, à la date de l'arrêté contesté, au vu de la situation générale du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile en Espagne et de la situation particulière de Mme B..., il existait des motifs sérieux et avérés de croire qu'en cas de remise aux autorités espagnoles, elle ne bénéficierait pas d'un examen effectif de sa demande d'asile et risquerait de subir, elle-même ou son enfant, des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales justifiant la mise en oeuvre de la clause discrétionnaire prévue à l'article 17 règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
5. Au soutien du moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation du préfet quant à l'application des dispositions de l'article 17 précité, Mme B... se borne à se prévaloir de sa situation de mère isolée d'un enfant en bas âge, puisque la naissance de son fils est intervenue le 12 janvier 2018 au Maroc, soit avant son entrée en Espagne. Toutefois, l'Espagne est un Etat membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Il doit alors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d'asile dans cet Etat membre est conforme aux exigences de ces deux conventions internationales. Si cette présomption est réfragable lorsqu'il y a lieu de craindre qu'il existe des défaillances systémiques de la procédure d'asile et des conditions d'accueil des demandeurs d'asile dans l'Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant, Mme B... n'apporte aucun élément de nature à établir l'existence de défaillances en Espagne qui constitueraient des motifs sérieux et avérés de croire que sa demande d'asile ne serait pas traitée par les autorités espagnoles dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile. La seule circonstance que Mme B... soit accompagnée de son fils âgé de quelques mois ne saurait, dans ces conditions, faire obstacle à son transfert en Espagne, compte tenu notamment des équipements médico-sociaux, du niveau de protection sociale et du réseau de protection maternelle et infantile, disponibles dans cet Etat membre de l'Union européenne. Dans ces conditions, la circonstance que l'Espagne ait donné un accord implicite à la prise en charge de l'intéressée est sans incidence. Dès lors, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'en s'abstenant de mettre en oeuvre la clause discrétionnaire prévue par l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013/UE du 26 juin 2013 et en prononçant son transfert aux autorités espagnoles, le préfet des Deux-Sèvres se serait livré à une appréciation manifestement erronée de sa situation personnelle, notamment du degré de gravité des conséquences de son éloignement vers l'Espagne.
6. Il s'ensuit que le préfet des Deux-Sèvres est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a annulé, pour ce motif, le premier arrêté litigieux du 1er avril 2019 ordonnant le transfert de l'intéressée vers l'Espagne ainsi que, par voie de conséquence, le second arrêté du même jour l'assignant à résidence dans ce département.
7. Il appartient à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par Mme B....
En ce qui concerne les autres moyens soulevés par Mme B... devant le tribunal administratif de Poitiers :
8. En premier lieu, par une décision en date du 13 septembre2019, l'aide juridictionnelle totale a été accordée à Mme B.... Par suite, il n'y a plus lieu de statuer sur sa demande tendant à l'octroi de l'aide juridictionnelle provisoire.
9. En deuxième lieu, il ressort des pièces du dossier que le préfet des Deux-Sèvres a, par arrêté du 21 août 2018, régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture du 4 septembre 2018, donné délégation à M. Didier Doré, secrétaire général de la préfecture et signataire des arrêtés, à l'effet de signer tous arrêtés et décisions relevant des attributions de l'Etat dans le département des Deux-Sèvres à l'exception des actes pour lesquels une délégation a été conférée à un chef de service de l'Etat dans le département, des mesures générales concernant la défense nationale et la défense opérationnelle du territoire, de la réquisition du comptable et des arrêtés de conflit. Dès lors, et alors qu'il n'est pas allégué et qu'il ne ressort pas des pièces versées au dossier qu'une délégation aurait été conférée à un chef de service de l'Etat dans le département des Deux-Sèvres concernant les mesures de transfert de demandeur d'asile et d'assignation à résidence, le signataire des arrêtés en cause a ainsi régulièrement été habilité. Par suite, le moyen tiré de son incompétence doit être écarté.
10. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
11. L'arrêté du 1er avril 2019 portant transfert de Mme B... aux autorités espagnoles vise notamment la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il fait application et rappelle les conditions d'entrée de Mme B... sur le territoire national. Il indique également que cette dernière a déposé une demande d'asile auprès de la préfecture de la Vienne le 18 octobre 2018, que la consultation de la base de données Eurodac a révélé que ses empreintes avaient été précédemment relevées en Espagne, qu'une demande de prise en charge a été adressée aux autorités espagnoles le 5 décembre 2018 sur le fondement de l'article 13-1 du règlement, qui l'ont implicitement acceptée le 5 février 2019. L'arrêté attaqué ajoute que la situation de Mme B... n'entre pas dans le champ d'application des articles 3-2 ou 17 de ce même règlement, mentionne qu'elle vit avec son fils né le 12 janvier 2018, qu'elle ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale en France et n'établit pas être dans l'impossibilité de retourner en Espagne et, par conséquent, qu'il n'est pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de sa vie privée et familiale au sens de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, puis enfin qu'elle n'établit pas l'existence d'un risque personnel constituant une atteinte grave au droit d'asile en cas de remise aux autorités espagnoles. Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de l'arrêté de transfert en litige, lequel énonce les circonstances de droit et de fait sur lesquelles il se fonde, doit être écarté.
12. En dernier lieu, la motivation de cet arrêté de transfert, qui n'est pas stéréotypée, mais fait état de la situation de mère célibataire de Mme B..., ne révèle ainsi pas que le préfet se serait abstenu de se livrer à un examen attentif de sa situation personnelle.
13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet des Deux-Sèvres est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers a annulé les deux arrêtés qu'il a pris le 1er avril 2019 à l'encontre de Mme B.... Par voie de conséquence ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur la requête à fin de sursis :
14. Le présent arrêt fait droit à la requête au fond du préfet des Deux-Sèvres. Par suite, il n'y a pas lieu de statuer sur sa requête à fin de sursis du jugement que le présent arrêt annule.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la requête n° 19BX017229.
Article 2: Le jugement n° 1900822 du 8 avril 2019 du magistrat désigné du tribunal administratif de Poitiers est annulé.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de Mme B... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 4 : La demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Poitiers est rejetée.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à Mme A... B.... Copie en sera adressée au préfet des Deux-Sèvres.
Délibéré après l'audience du 7 octobre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme D... C..., présidente-assesseure,
Mme E..., premier conseiller,
Lu en audience publique, le 4 novembre 2019.
Le rapporteur,
E...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N°s 19BX01728, 19BX01729 7