Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 25 février 2020, M. N... M..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) de lui accorder le bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;
2°) d'annuler ce jugement du 7 février 2020 du tribunal administratif de Poitiers ;
3°) d'annuler l'arrêté du 4 février 2020 du préfet de la Gironde portant transfert aux autorités belges ;
4°) d'annuler l'arrêté du 4 février 2020 du préfet de la Gironde l'assignant à résidence ;
5°) d'enjoindre au préfet de la Gironde, à titre principal, d'enregistrer sa demande d'asile dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans le délai de deux mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir, sous la même condition d'astreinte, en lui délivrant, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- les arrêtés attaqués sont signés par une autorité incompétente ;
- l'arrêté de transfert est insuffisamment motivé et entaché d'un défaut d'examen de sa situation personnelle ; il méconnaît le paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 ainsi que les articles 3 et 17 de ce même règlement ; il est entaché d'erreur d'appréciation ;
- la décision portant assignation à résidence est irrégulière du fait de l'illégalité de l'arrêté de transfert ; elle est insuffisamment motivée et entachée d'un défaut d'examen de sa situation personnelle, notamment en ce qui concerne les perspectives raisonnables d'éloignement.
Par un mémoire enregistré le 9 juin 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il s'en rapporte à ses écritures de première instance.
Par ordonnance du 20 juillet 2020, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 août 2020 à 12:00.
M. M... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 29 avril 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme G... J... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1 M. M..., ressortissant congolais né le 13 avril 1989, a sollicité son admission au séjour au titre de l'asile auprès de la préfecture de la Vienne le 21 octobre 2019. La consultation du fichier Visabio ayant révélé que l'intéressé était titulaire d'un visa délivré par les autorités belges, celles-ci ont été saisies le 10 décembre 2019 d'une demande de réadmission sur le fondement de l'article 12-4 du règlement (UE) n°604/2013. Elles ont fait connaître leur accord le 7 janvier 2020. Le préfet de la Gironde a pris à l'encontre de l'intéressé, le 4 février 2020, un arrêté portant transfert aux autorités belges ainsi qu'un arrêté l'assignant à résidence. M. M... relève appel du jugement du 7 février 2020 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés.
Sur l'admission au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire :
2. Par une décision du 29 avril 2020 le bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux a accordé à M. M... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, les conclusions de la requête de M. M... tendant à être admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle, à titre provisoire, sont devenues sans objet.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne la compétence de l'auteur des arrêtés attaqués :
3. Les arrêtés litigieux ont été signés, pour le préfet de la Gironde, par Mme L... E..., directrice par intérim des migrations et de l'intégration de la préfecture. Par un arrêté du 12 novembre 2019, régulièrement publié le 14 novembre 2019 au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture, Mme E... a reçu délégation à l'effet de signer notamment les " décisions d'éloignement et décision accessoires s'y rapportant prises en application du livre V (partie législative et règlementaire) du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile ; / Tous actes pour la mise en exécution des mesures d'éloignement, arrêtés de transfert et de réadmission pris en application de la règlementation relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France, de la convention d'application des accords de Schengen signée le 19 juin 1990, du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du conseil du 26 juin 2013 dit Dublin III (...) ", en cas d'absence ou d'empêchement de M. H... F..., secrétaire général de la préfecture de la Gironde, de Mme A... I..., sous-préfète d'Arcachon, et de Mme K... O..., directrice de cabinet de la préfecture de la Gironde. Par suite, alors qu'il n'est pas contesté que M. H... F..., ainsi que Mmes A... I... et P..., étaient absents ou empêchés, Mme L... E... était compétente pour prendre la décision ordonnant le transfert de M. M... aux autorités belges. Le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'arrêté contesté ne peut dès lors qu'être écarté.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté de transfert aux autorités belges :
4. En premier lieu, l'arrêté en litige vise les textes dont il fait application, notamment le paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 et fait état de la période de validité du visa délivré par les autorités belges à M. M..., de la date à laquelle ce dernier déclare être entré en France ainsi que de la date à laquelle il s'est rendu en préfecture pour y déposer une demande d'asile. Cet arrêté indique par ailleurs que M. M... ne peut se prévaloir d'une vie privée et familiale stable en France. Il est, par suite suffisamment motivé, alors même qu'il n'indique pas si l'intéressé a manifesté son intention de déposer une demande d'asile préalablement à son déplacement en préfecture. Par ailleurs, la circonstance qu'il ne mentionne pas la présence en France des deux soeurs de M. M... ne suffit pas à établir que le préfet n'aurait pas procédé à un examen de sa situation personnelle pour l'application des dispositions de l'article 17 paragraphe 1 du règlement UE n° 604/2013. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation et du défaut d'examen de la situation personnelle du requérant doivent être écartés.
5. En deuxième lieu, aux termes du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, intitulé " Délivrance de titres de séjour ou de visas " : " Si le demandeur est seulement titulaire d'un ou de plusieurs titres de séjour périmés depuis moins de deux ans ou d'un ou de plusieurs visas périmés depuis moins de six mois lui ayant effectivement permis d'entrer sur le territoire d'un Etat membre, les paragraphes 1, 2 et 3 sont applicables aussi longtemps que le demandeur n'a pas quitté le territoire des Etats membres ".
6. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes de l'arrêté attaqué ainsi que du compte rendu de son entretien individuel, que M. M... a lui-même déclaré être entré en France le 9 septembre 2019, en provenance de Belgique. Le relevé décadactylaire sur Visabio a révélé qu'il était titulaire d'un passeport congolais valable du 11 janvier 2019 au 10 janvier 2024 et d'un visa délivré par les autorités belges valable du 5 septembre 2019 au 15 octobre 2019. Dans ces conditions, et M. M... était titulaire d'un visa en cours de validité lorsqu'il est entrée en France, lequel visa était périmé depuis moins de six mois lorsque les autorités belges ont été saisies, le 10 décembre 2019, d'une demande de prise en charge au titre des dispositions du paragraphe 4 de l'article 12 du règlement (UE) n° 604/2013. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que lesdites dispositions auraient été méconnues.
7. En troisième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement UE n° 604/2013 susvisé : " Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable / (...) "
8. Par ailleurs, aux termes du paragraphe 1 de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ". Si la mise en oeuvre, par les autorités françaises, des dispositions de l'article 17 du règlement n° 604/2013 doit être assurée à la lumière des exigences définies par les dispositions du second alinéa de l'article 53-1 de la Constitution, en vertu desquelles les autorités de la République ont toujours le droit de donner asile à tout étranger persécuté en raison de son action en faveur de la liberté ou qui sollicite la protection de la France pour un autre motif, la faculté laissée à chaque État membre de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile.
9. M. M... se borne à alléguer que deux de ses soeurs résident en France, en situation régulière. Il n'établit cependant pas, ni même n'allègue, être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en Belgique. Dès lors, le préfet n'a pas entaché la décision en litige d'une erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas application des dispositions précitées de l'article 17-1 du règlement (UE) n° 604/2013 et n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 3 de ce même règlement.
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté portant assignation à résidence :
10. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que M. M... n'est pas fondé à se prévaloir de l'illégalité de la décision de transfert aux autorités belges à l'encontre de la décision l'assignant à résidence.
11. En deuxième lieu, l'arrêté en litige vise la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment l'article L. 561-2. Il relève également que M. M... fait l'objet d'une décision de transfert aux autorités belges et précise que l'exécution de la décision de remise prise à l'égard de l'intéressé demeure une perspective raisonnable dès lors qu'un moyen de transport sera disponible. Ce même acte indique que M. M... réside dans la Vienne et présente des garanties de représentation. Par suite, cet arrêté, qui énonce ainsi les considérations de droit et de fait qui le fonde, est suffisamment motivé.
12. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa rédaction alors en vigueur : " I.- L'autorité administrative peut prendre une décision d'assignation à résidence à l'égard de l'étranger qui ne peut quitter immédiatement le territoire français mais dont l'éloignement demeure une perspective raisonnable, lorsque cet étranger : (...) 1° bis Fait l'objet d'une décision de transfert en application de l'article L. 742-3 ou d'une requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (...). ".
13. Il ressort des pièces du dossier que les autorités belges ont accepté le transfert de M. M... le 7 janvier 2020. Par suite, en l'absence de contrainte invoquée par l'intéressé, son éloignement constituait une perspective raisonnable au sens des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers en France et du droit d'asile.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. M... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation des arrêtés du 4 février 2020 par lesquels le préfet de la Gironde, d'une part a décidé son transfert aux autorités belges et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens doivent être rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de M. N... M... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 2 : Le surplus de la requête de M. N... M... est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. N... M... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 7 septembre 2020, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme C... B..., présidente-assesseure,
Mme G... J..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2020.
Le rapporteur,
Sylvie J...
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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No 20BX00706