Procédure devant la cour :
Par une requête et un bordereau de production de pièces, enregistrés les 7 juillet et 1er septembre 2019, M. A..., représenté par Me E..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 juin 2019 ;
2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Vienne du 6 décembre 2018 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne, au besoin sous astreinte, de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, une autorisation provisoire de séjour dans le cadre du réexamen de son dossier ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le refus de titre de séjour est insuffisamment motivé en fait en méconnaissance du 6° de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration ;
- cette absence de motivation et la remise d'un récépissé faisant mention d'une demande de renouvellement de son titre de séjour alors qu'il sollicitait un changement de statut révèle un défaut d'examen de sa situation ;
- la commission du titre de séjour aurait dû être consultée en application de l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- sa situation relève du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à ses liens avec la famille de son oncle, son comportement dans ses études et son travail dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée ;
- le refus de titre de séjour est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur de fait sur la date de son entrée en France ;
- les mentions " la préfète " et " pour la préfète et par délégation " ne permettent pas d'identifier le signataire de l'arrêté ;
- le préfet n'était pas lié par le refus de titre de séjour de sorte que l'obligation de quitter le territoire français est entachée d'erreur de droit ;
- l'obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour ;
- il refuse d'être enrôlé pour le service militaire où il serait amené à tirer sur d'autres kurdes. Il ne peut être objecteur de conscience en Turquie où cela est condamné pénalement au même titre que la désertion. La décision fixant le pays de destination méconnaît ainsi l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision fixant le pays de destination est illégale en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 octobre 2019, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que les moyens invoqués par M. A... ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 22 octobre 2019, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 22 novembre 2019 à midi.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. I... B... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant turc d'origine kurde né le 8 août 1998, est entré en France le 26 avril 2015 sous couvert d'un visa de court séjour. Après avoir obtenu à sa majorité un titre de séjour en qualité d'étudiant valable du 5 avril 2017 au 4 avril 2018, M. A... a sollicité le 14 décembre 2017 un changement de statut par la délivrance d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Par un arrêté du 6 décembre 2018, le préfet de la Vienne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. A... relève appel du jugement du 6 juin 2019 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la légalité du refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, il ressort des mentions en bas de l'arrêté contesté " La Préfète ", suivie de la signature puis de la mention " Pour la préfète et par délégation, Le Secrétaire Général, Emile H... " que le signataire de l'arrêté est M. C... H.... Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, l'arrêté litigieux permet d'identifier l'identité de son signataire.
3. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ". En l'espèce, l'arrêté vise la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 8, ainsi que le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, notamment le 7° de l'article L. 313-11. En outre, l'arrêté précise que M. A... est entré récemment en France, que ses liens personnels et familiaux ne peuvent être regardés comme stables, anciens ou intime dans la mesure où il n'est présent en France que depuis mai 2015 et qu'il n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine où résident ses parents et cinq frères et soeurs. L'arrêté ajoute que si M. A... dispose d'une activité professionnelle, elle lui procure des ressources insuffisantes pour subvenir à ses besoins et qu'ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il reconstitue une vie familiale normale dans son pays d'origine où il a vécu plus de seize ans. Les motifs de droit et de fait fondant le refus de titre de séjour étant ainsi exposé, le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit être écarté.
4. En troisième lieu, M. A... reprend en appel, sans invoquer d'éléments de fait ou de droit nouveaux par rapport à l'argumentation développée en première instance, et sans critiquer sérieusement la réponse apportée par le tribunal, le moyen tiré de l'erreur de fait sur sa date d'entrée sur le territoire national. Il y a lieu dès lors d'écarter ce moyen par adoption des motifs retenus à bon droit par les premiers juges.
5. En quatrième lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., il ressort de la motivation de l'arrêté, nonobstant l'erreur de fait sur sa date d'entrée sur le territoire national, que le préfet de la Vienne a procédé à un examen sérieux de sa situation.
6. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : "Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République (...) ". Pour l'application des dispositions précitées, l'étranger qui invoque la protection due à son droit au respect de sa vie privée et familiale en France doit apporter toute justification permettant d'apprécier la réalité et la stabilité de ses liens personnels et familiaux effectifs en France au regard de ceux qu'il a conservés dans son pays d'origine.
7. Si M. A... se prévaut de la présence en France de son oncle qui l'héberge et de la famille de son oncle, il n'est pas contesté que sa famille, en l'occurrence ses parents et cinq frères et soeurs, résident en Turquie. Par ailleurs, si M. A... se prévaut de son intégration dans la société française attestée notamment par ses études et le contrat de travail à durée indéterminée dont il est titulaire, le dernier bulletin semestriel produit fait état d'un absentéisme important et le dernier contrat de travail produit, daté du 23 juillet 2019, est postérieur à l'arrêté contesté tandis que le précédent contrat de travail concernait une activité à mi-temps. Dans ces circonstances, et eu égard à la durée de son séjour en France, le refus litigieux n'a pas porté au droit de M. A..., qui est célibataire et sans enfant, au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été opposé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation de sa situation doit être écarté pour les mêmes motifs.
8. En sixième lieu, selon l'article L. 312-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La commission est saisie par l'autorité administrative lorsque celle-ci envisage de refuser de délivrer ou de renouveler une carte de séjour temporaire à un étranger mentionné à l'article L. 313-11 (...) ". Il résulte de ces dispositions que le préfet n'est tenu de saisir la commission du titre de séjour que du cas des seuls étrangers qui remplissent effectivement les conditions prévues aux articles visés par ces dispositions et auxquels il envisage néanmoins de refuser le titre de séjour sollicité, et non de celui de tous les étrangers qui s'en prévalent. Or il résulte de ce qui précède que M. A... ne remplissait pas les conditions prévues par le 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dont il se prévaut. Dès lors, le préfet de la Vienne n'était pas tenu de soumettre son cas à la commission du titre de séjour avant de rejeter sa demande.
Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français :
9. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de l'obligation de quitter le territoire français en raison de l'illégalité du refus de titre de séjour doit être écarté.
10. En second lieu, contrairement à ce que soutient M. A..., il ne ressort pas de la motivation de l'arrêté litigieux que le préfet de la Vienne se serait cru obligé d'assortir son refus de titre de séjour d'une obligation de quitter le territoire français.
Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :
11. En premier lieu, il résulte de ce qui précède que le moyen tiré du défaut de base légale de la décision fixant le pays de destination en raison de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté.
12. En dernier lieu, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. ". Il appartient à l'autorité administrative chargée de prendre la décision fixant le pays de renvoi d'un étranger qui doit faire l'objet d'une mesure d'éloignement de s'assurer, sous le contrôle du juge, que les mesures qu'elle prend n'exposent pas l'étranger à des risques sérieux pour sa liberté ou son intégrité physique, non plus qu'à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
13. M. A... soutient qu'il ne souhaite pas accomplir son service militaire pour des motifs de conscience liés à son origine kurde et qu'il craint des représailles à la suite du refus qu'il opposera. Toutefois, M. A..., qui n'a pas déposé de demande d'asile, n'établit ni même n'allègue avoir été appelé pour accomplir son service militaire. Dès lors, en l'absence de risque actuel, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être accueilli.
14. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Vienne du 6 décembre 2018. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction ainsi que celles tendant au paiement des frais exposés et non compris dans les dépens ne peuvent qu'être rejetées.
DECIDE
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 2 décembre 2019 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme G... F..., présidente-assesseure,
M. I... B..., premier conseiller.
Lu en audience publique, le 16 décembre 2019.
Le rapporteur,
Paul-André B...
Le président,
Pierre LarroumecLe greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX02550