Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés le 5 octobre 2017 et le 19 septembre 2019, la société Supélia, représentée par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de La Réunion du 8 juin 2017 ;
2°) de condamner la commune de Saint-Denis à lui verser la somme ramenée en appel à 1 431 030,10 euros en réparation des préjudices subis du fait des manoeuvres organisées par cette commune pour inciter la société Scoramat à résilier le bail commercial conclu le 23 décembre 2009 ainsi que pour dissuader tout repreneur éventuel, assortie des intérêts au taux légal à compter du 2 septembre 2012 et de la capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Saint-Denis la somme de 5 000 euros à lui verser en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est irrégulier en ce que, en méconnaissance du principe du contradictoire et de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, les visas portent mention " des autres pièces du dossier " sans donner davantage de précision ;
- les premier juges ont dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit en estimant, pour dénier l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices subis, que la société preneuse se trouvait dans l'incapacité de l'exploiter le 17 février 2011 ;
- les premier juges ont également dénaturé les pièces du dossier et commis une erreur de droit en estimant, pour dénier l'existence d'un lien de causalité entre les fautes alléguées et les préjudices subis, que la société Scoramat se trouvait dans une situation financière difficile qui ne lui permettait pas de réaliser les travaux nécessaires à la mise aux normes du bâtiment, que le bâtiment abritant la supérette était sujet à des infiltrations préjudiciables aux stocks en cas de fortes pluies, qu'à la réception de la lettre du 15 novembre 2010 le gérant de la société preneuse a contesté l'irrégularité des clauses du bail relatives à la jouissance des places de stationnement situées aux abords de la supérette et qu'il n'a demandé à la commune de lui confirmer sa position que plus tard et que le gérant de la société preneuse était un homme expérimenté en droit des affaires et en matière de relations commerciales ;
- la commune de Saint-Denis a commis une faute en s'immisçant dans les relations contractuelles existant entre elle et son locataire afin de tenter de persuader ce dernier de mettre fin au contrat de bail ;
- les préjudices dont elle est en droit de demander réparation s'élèvent à la somme de 288 354,32 euros au titre de la perte de revenus fonciers pour la période ayant couru jusqu'au 31 décembre 2012, à la somme de 862 675,79 euros au titre de la perte de chance de percevoir des revenus fonciers, à la somme de 180 000 euros au titre de la plus-value à apporter aux locaux dont elle a été privée et à la somme de 100 000 euros au titre du préjudice moral subi soit à la somme totale de 1 431 030,10 euros.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 mai 2018, la commune de Saint-Denis, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de la société Supélia de la somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 19 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 21 octobre 2019 à 12 h 00.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C... A... ;
- et les conclusions de M. Axel Basset, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Par un acte authentique signé le 23 décembre 2009, la société Supélia a conclu un bail commercial avec la société Scoramat portant sur un immeuble à usage commercial comprenant un commerce d'alimentation de type " supérette " situé sur la parcelle cadastrée section DM n° 109, au 9001 avenue des cocotiers dans le quartier des Camélias à Saint-Denis, pour une durée de 9 années commençant à courir le 1er janvier 2010. Ce bail a été consenti et accepté moyennant un loyer annuel de 144 000 euros HT payable en 12 termes égaux de 12 000 euros, sous réserve d'une franchise locative de 3 000 euros par mois pendant 2 ans sous condition de réalisation de divers travaux avant le 31 décembre 2011. Il prévoyait notamment que le preneur s'engageait à assurer la réfection totale des façades extérieures du local au plus tard avant le 31 décembre 2011 ainsi que les travaux de mise aux normes prescrits par l'autorité administrative.
2. Par un procès-verbal d'urbanisme établi le 10 novembre 2010 par la police municipale à la suite d'une visite sur les lieux le 3 novembre 2010, il a été dressé constat de travaux réalisés sans déclaration préalable portant sur la modification des façades du bâtiment, comportant, en façade sud, une extension du bâtiment par construction d'un local en dur, avec une toiture en tôle à une pente, d'une superficie d'environ 18 m² et d'une hauteur comprise entre 2,50 et 2,2 m et, en façade est, la fermeture bétonnée d'un accès de 3,4 m de large sur 1,6 m de haut. Il a également été dressé constat de la mise en place irrégulière, à l'intérieur du magasin, de plusieurs présentoirs métalliques, d'une chambre froide, de congélateurs, d'une cloison de 2,90 m de long sur 2,70 m de haut, ainsi que, devant les entrées, de six piliers en ciment moulé d'une hauteur d'un mètre et d'un diamètre de 0,25 m.
3. A la suite de ces constatations, le maire de la commune de Saint-Denis, par un courrier en date du 15 novembre 2010, a enjoint à la société Scoramat de cesser les travaux de réhabilitation du bâtiment et a invité cette société à résilier son bail " dans les meilleurs délais ", au double motif que la ville souhaitait se porter acquéreur du terrain d'assiette concerné par le projet de rénovation urbaine du quartier et que les parkings situés aux abords des bâtiments dont l'usage était lié à la jouissance du bail appartenaient à la société immobilière du département de La Réunion (SIDR) laquelle ne lui avait délivré aucune autorisation d'occupation et s'était par ailleurs engagée à les rétrocéder à la ville courant 2011. Par un arrêté du 13 décembre 2010, la commune a fait opposition à la déclaration de travaux finalement déposée par la société Scoramat.
4. Au mois de décembre 2010, la société Scoramat a cessé de régler les termes mensuels du loyer prévu par le bail commercial. Après avoir, par une lettre du 17 février 2011, refusé l'autorisation administrative préalable à l'ouverture de la structure commerciale, le maire de Saint-Denis, par un courrier du 9 mars 2011, a réitéré à la société Scoramat l'invitation à résilier amiablement son bail commercial qualifié d'irrégulier. Par un courrier du 28 mars 2011, la société Scoramat a alors demandé à la société Supélia de procéder à la résiliation amiable du bail commercial conclu le 23 décembre 2009 en se prévalant des termes des courriers du maire des 15 novembre 2010 et 9 mars 2011. Par une lettre du 27 juin 2011, la société Scoramat a informé son bailleur qu'elle quittait les lieux après avoir mis son personnel au chômage technique et que l'huissier mandaté pour réaliser un état des lieux lui en remettrait les clefs. Par acte d'huissier signifié le 25 mai 2012, la société Scoramat a donné congé au preneur à compter du 31 décembre 2012, 1ère échéance triennale du bail, conformément aux stipulations de cet acte.
5. Par divers courriers des 12 septembre 2012, 1er octobre 2013, 6 janvier 2014, 11 juin 2014 et 31 octobre 2014, la société Supélia a demandé à la commune de Saint-Denis de lui verser les sommes de 864 000 euros, 120 112,20 euros, 173 762,28 euros, 827 096 euros et 1 512 280,68 euros en réparation des préjudices résultant des interventions de la collectivité auprès de son locataire. En l'absence de réponse, la société Supélia a saisi le tribunal administratif de La Réunion d'une demande tendant à l'indemnisation, par la commune de Saint-Denis, des préjudices subis du fait des agissements fautifs de cette collectivité. La société Supélia relève appel du jugement du 8 juin 2017 par lequel ledit tribunal a rejeté cette demande.
Sur la régularité du jugement :
6. Le fait, pour le jugement attaqué, après avoir analysé les moyens contenus dans les mémoires produits par les parties, d'avoir visé "les autres pièces du dossier" sans en détailler le contenu n'est pas irrégulier et ne contrevient ni au principe du contradictoire ni aux stipulations de l'article 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement sur ce point doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement :
7. Pour rechercher la responsabilité de la commune de Saint-Denis, la société Supélia invoque le comportement fautif que cette collectivité a selon elle adopté tant pour persuader la société Scoramat de résilier le bail commercial signé le 23 décembre 2009 que pour décourager tout nouvel éventuel preneur. Elle fait à cet égard état, d'une part, des courriers des 15 novembre 2010 et 9 mars 2011 par lesquels, s'immisçant selon elle ainsi dans les relations contractuelles entre deux personnes privées, le maire a invité la société Scoramat à résilier son bail commercial au motif que le terrain d'assiette de l'immeuble loué était concerné par un projet de rénovation urbaine alors que la déclaration d'utilité publique n'a été prise que le 18 novembre 2013 et a indiqué à tort à cette société que le bail conclu était entaché d'irrégularité. D'autre part, la société Supélia fait valoir que la commune de Saint-Denis a diffusé par voie de presse son projet de destruction de l'immeuble implanté sur la parcelle cadastrée section DM n° 109 dans le cadre de la rénovation du quartier des Camélias et y a fait installer un panneau annonçant la création d'une place publique en lieu et place du bâtiment.
8. La responsabilité d'une collectivité publique n'est susceptible d'être engagée, sur le fondement de la faute, pour assurer la réparation de préjudices nés de cette faute, qu'à la condition que le préjudice dont il est demandé réparation présente un lien direct et certain avec cette faute.
9. La société Supélia soutient que, contrairement à ce qu'ont estimé les premiers juges, les fautes exposées au point 7 sont à l'origine de l'arrêt du paiement des loyers par la société Scoramat en décembre 2010 puis de la résiliation du bail sollicitée par cette dernière le 28 mars 2011. Elle fait en outre valoir que les préjudices résultant de la perte de chance de percevoir des revenus fonciers et de la perte de plus-value de l'immeuble loué en l'absence de réalisation des travaux ainsi que le préjudice moral, dont elle demande également réparation, présentent un lien direct et certain avec ces fautes.
10. Il résulte de l'instruction, notamment de l'assignation que la société Supélia a faite délivrer le 12 décembre 2012 à la société Scoramat que cette dernière rencontrait au moins dès le mois de septembre 2010 des difficultés financières l'empêchant tant de s'acquitter du paiement des loyers que de faire réaliser les travaux nécessaires à la mise aux normes du bâtiment. La commune de Saint-Denis soutient à cet égard sans être contestée que l'arrêt des paiements a commencé au mois de janvier 2010. Il résulte également de l'instruction qu'à compter de la notification du courrier du 17 février 2011 refusant la délivrance de l'autorisation d'ouverture de la supérette au titre de la législation sur les établissements recevant du public, dont la société Scoramat n'a pas contesté la légalité, cette dernière ne pouvait régulièrement exploiter ce commerce abrité dans un bâtiment présentant notamment des défauts d'étanchéité et d'imperméabilisation des façades et implanté dans le périmètre d'un projet de rénovation urbaine ayant conduit le maire à faire opposition, le 13 décembre 2010, à la déclaration préalable de travaux déposée par la société Scoramat.
11. Dans ces conditions, ainsi que l'ont à juste titre estimé les premiers juges qui n'ont ni dénaturé les pièces du dossier ni entaché leur jugement d'erreur de droit, la décision de la société Scoramat d'arrêter le paiement des loyers puis celle de résilier le bail conclu avec la société Supélia, participent d'une volonté de son gérant de sauvegarder ses intérêts financiers et ne peuvent être regardées comme imputables, de manière directe et certaine, aux comportements fautifs imputés à la commune par la société requérante.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société Supélia n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions indemnitaires en se fondant sur l'absence de lien de causalité entre les supposés agissements fautifs de la commune de Saint-Denis et les divers préjudices qu'elle estime avoir subis.
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la commune de Saint-Denis, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société Supélia de la somme que celle-ci demande au titre des frais d'instance exposés et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la société Supélia le versement à la commune de Saint-Denis d'une somme totale de 1 500 euros sur ce fondement.
DECIDE :
Article 1er : La requête présentée par la société Supélia est rejetée.
Article 2 : La société Supélia versera à la commune de Saint-Denis la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Supélia et à la commune de Saint-Denis.
Délibéré après l'audience du 16 décembre 2019, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
Mme C... A..., présidente-assesseure,
Mme FlorenceRey-Gabriac, premier conseiller.
Lu en audience publique, le19 décembre 2019.
Le rapporteur,
Karine A...Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Vanessa Beuzelin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 17BX03242 2