Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 juin 2016, M. E...B..., représenté par Me D..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 avril 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté précité du préfet de la Gironde du 13 novembre 2015 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de réexaminer sa situation dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, la somme de 1 200 euros, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation ; il est séparé de son épouse depuis huit ans ; celle-ci vit en Tunisie et refuse de divorcer ; ses deux enfants mineurs, avec lesquels il est en contact régulier, résident avec elle ; il entretient une relation maritale stable depuis plus de deux ans avec une ressortissante française ; il a des projets de mariage avec elle mais ne peut les réaliser faute de divorce ; sa compagne française n'a aucune relation affective avec quelqu'un d'autre ; une séparation d'avec celle-ci affecterait gravement le fils de sa compagne, qui le considère comme son père ; il est présent sur le territoire français depuis 2008 ;
- le préfet a également commis une erreur de droit eu égard à sa demande de régularisation à titre professionnel ; il justifie d'une promesse d'embauche ; même si les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne s'appliquent pas aux Tunisiens, le préfet se devait d'apprécier sa situation, ce qu'il n'a pas fait en se bornant à lui opposer les stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien ;
- la mesure d'éloignement est illégale du fait de l'illégalité du refus de séjour ;
- il reprend, à l'encontre de cette mesure, les mêmes moyens que ceux invoqués à l'encontre du refus de séjour ;
- l'interdiction de retour est insuffisamment motivée au regard de l'article L. 511-1-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; or, dans l'arrêté, ne figure aucune indication de sa date d'entrée en France et de sa durée de présence ;
- cette décision est entachée d'une erreur d'appréciation ; le préfet n'a rien dit de sa date d'entrée en France et de la durée de sa présence ; il a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation, notamment quant au fait qu'il était déjà en Franc en 2008.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 août 2016, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'en l'absence de tout élément nouveau en appel, aucun des moyens soulevés par M. B...n'est fondé.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 mai 2016.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-tunisien en matière de séjour et de travail du 17 mars 1988 modifié ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de Mme Florence Rey-Gabriac a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.B..., de nationalité tunisienne, né en 1969, est entré irrégulièrement en France, en provenance d'Italie, en 2007, selon ses dires. Il a fait l'objet d'un arrêté de reconduite à la frontière le 31 mars 2011 sous l'identité de M. B...Walidet de M. AliF.... Interpellé par les services de police le 5 novembre 2013, il a fait l'objet, par un arrêté du préfet de la Gironde du 5 novembre 2013, d'une obligation de quitter le territoire français sans délai fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. Par un arrêté du même jour, le préfet a prononcé à son encontre une mesure d'assignation à résidence. Par un jugement du 13 novembre 2013, le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux arrêtés. Ce jugement a été confirmé par la cour administrative d'appel de Bordeaux par un arrêt du 7 juillet 2014. M.B..., désormais dénommé E...B...et non plus HosniB..., a sollicité le 5 mars 2015 son admission au séjour sur le fondement des articles L. 313-11 7° et L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 13 novembre 2015, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours en fixant le pays de renvoi et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de deux ans à compter de l'expiration du délai de départ volontaire. M. B...fait appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 5 avril 2016, qui a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
En ce qui concerne le refus de séjour :
2. Aux termes de l'article 11 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 : " Les dispositions du présent accord ne font pas obstacle à l'application de la législation des deux États sur le séjour des étrangers sur tous les points non traités par l'accord. / Chaque État délivre notamment aux ressortissants de l'autre État tous titres de séjour autres que ceux visés au présent accord, dans les conditions prévues par sa législation ".
3. En premier lieu, aux termes de l'article 3 de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 susvisé : " Les ressortissants tunisiens désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après contrôle médical et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an et renouvelable et portant la mention "salarié" ". Il ressort de ces stipulations que le bénéfice de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susmentionné demeure conditionné à la présentation d'un contrat de travail visé par la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi.
4. Dès lors que l'article 3 précité de l'accord franco-tunisien prévoit la délivrance de titres de séjour au titre d'une activité salariée, un ressortissant tunisien souhaitant obtenir un titre de séjour au titre d'une telle activité ne peut utilement invoquer les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile à l'appui d'une demande d'admission au séjour sur le territoire national, s'agissant d'un point déjà traité par l'accord franco- tunisien, au sens de l'article 11 de cet accord. Dès lors, lorsqu'il est saisi par un ressortissant tunisien d'une demande de titre de séjour en qualité de salarié, le préfet est tenu de se prononcer sur cette demande au regard des seules stipulations de l'article 3 de l'accord franco-tunisien susvisé, même s'il lui est toujours loisible d'examiner également cette demande sur un autre fondement, notamment en vue de régulariser la situation de l'intéressé. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ne peut qu'être écarté comme étant inopérant. En tout état de cause, la promesse d'embauche en contrat à durée indéterminée à un poste d'étancheur de la part de l'entreprise CBEA, en date du 30 avril 2016, produite en appel par l'intéressé, est postérieure à l'arrêté contesté.
5. En second lieu, aux termes de l'article 7 quater de l'accord franco-tunisien du 17 mars 1988 en matière de séjour et de travail : " Sans préjudice des dispositions du b et du d de l'article 7 ter, les ressortissants tunisiens bénéficient, dans les conditions prévues par la législation française, de la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit / : (...) 7° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'intéressé, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine, sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition prévue à l'article L. 311-7 soit exigée. L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ; (...).".
6. M. B...soutient que sa vie privée et familiale est désormais en France où il vit avec une ressortissante française et l'enfant de cette dernière, qui le considère comme son père, qu'il a des projets de mariage avec sa compagne et qu'il réside en France depuis 2007. Il ressort cependant des pièces du dossier, comme l'affirme d'ailleurs lui-même M.B..., que son épouse, de laquelle il n'est pas divorcée, et ses deux enfants mineurs, résident en Tunisie. La circonstance, au demeurant non établie, que son épouse refuserait le divorce, l'empêchant ainsi d'épouser sa compagne française, est sans incidence. En tout état de cause, l'intéressé n'apporte aucun élément justifiant de l'ancienneté de sa vie commune avec sa compagne française antérieurement à 2014, ni de l'aide affective et matérielle qu'il apporterait à l'enfant de celle-ci. Par ailleurs, il est entré et s'est maintenu irrégulièrement en France, malgré une condamnation à deux mois d'emprisonnement par le tribunal correctionnel de Bordeaux en septembre 2008 pour des faits de séjour irrégulier, un arrêté de reconduite à la frontière le 31 mars 2011 sous une fausse identité, puis une obligation de quitter le territoire français sans délai assortie d'une interdiction de retour d'une durée de deux ans et d'une mesure d'assignation à résidence le 5 novembre 2013, faits qui, contrairement à ce que soutient le requérant, ne suffisent pas à établir la continuité de sa présence en France depuis 2007, dont il ne justifie pas. Enfin, M.B..., qui a vécu a minima jusqu'à l'âge de trente huit ans dans son pays d'origine, n'est pas dépourvu d'attaches familiales dans ce pays où vivent, également a minima, son épouse, ses enfants et sa fratrie. Dans ces conditions, et compte tenu des conditions d'entrée et de séjour en France de l'intéressé, le refus de séjour contesté n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts poursuivis et n'a méconnu, à supposer que M. B...ait entendu les invoquer, les dispositions de l'article L. 313-11 7° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Le préfet de la Gironde n'a pas non plus commis d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressé.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
7. Il résulte de ce qui vient d'être dit que l'illégalité du refus de séjour ne saurait être invoquée à l'encontre de la mesure d'éloignement.
8. Pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus, la décision portant obligation de quitter le territoire n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Pour les mêmes motifs également, le préfet de la Gironde n'a pas entaché la décision contestée d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de M. B....
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
9. Aux termes du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l'obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. / (...). Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger obligé de quitter le territoire français, l'autorité administrative peut prononcer l'interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification. / (...). L'interdiction de retour et sa durée sont décidées par l'autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français (...) ".
10. Il ressort des termes mêmes de ces dispositions que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères que ces dispositions énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.
11. Pour prendre la décision portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, le préfet, qui vise le III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, précise que l'intéressé a déjà fait l'objet d'une mesure d'éloignement non exécutée, qu'il s'est maintenu en situation irrégulière, qu'il est défavorablement connu des services de police, qu'il n'est pas dépourvu de tout lien dans son pays d'origine et qu'il ne justifie pas de la nature ni de l'ancienneté de ses liens avec la France. Comme cela a déjà été dit, la date d'entrée en France de l'intéressé ainsi que la continuité de son séjour n'étant pas établies, le préfet ne pouvait en préciser les dates. Par suite, le préfet de la Gironde a suffisamment motivé sa décision.
12. Ainsi qu'il a été dit précédemment, M. B...est entré irrégulièrement sur le territoire français à une date indéterminée et s'y est maintenu ou y est revenu irrégulièrement malgré une condamnation pour séjour irrégulier en 2008, un arrêté de reconduite à la frontière en mars 2011 et une mesure d'éloignement prise à son encontre en novembre 2013, assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français de deux ans. Il ne justifie ni d'une ancienneté suffisante de sa relation avec son amie ni de l'intensité de ses liens avec la France depuis 2007, date de son entrée en France alléguée, ni de la continuité de son séjour en France depuis cette date, alors qu'il dispose d'attaches familiales en Tunisie où résident son épouse et ses deux enfants mineurs et où il a vécu au moins jusqu'à l'âge de trente-huit ans. Par suite, et alors même que la présence de l'intéressé ne constituerait pas une menace à l'ordre public, le préfet, en prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation.
13. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a rejeté sa demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
14. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de M. B...n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction ne peuvent être accueillies.
Sur les conclusions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 :
15. Ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance la somme que demande M. B...sur ces fondements.
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. B...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera transmise au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 7 novembre 2016 à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Antoine Bec, président-assesseur,
Mme Florence Rey-Gabriac, premier conseiller,
Lu en audience publique, le 5 décembre 2016.
Le rapporteur,
Florence Rey-GabriacLe président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy Virin
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX01984