Procédure devant la cour :
Par un recours enregistré le 24 octobre 2016 le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 18 août 2016 du tribunal administratif de La Réunion ;
2°) de rejeter la demande de M. B...présentée devant le tribunal administratif de La Réunion.
Il soutient par référence au mémoire en défense produit le 10 juin 2016 devant le tribunal administratif auquel il entend se référer, qu'en retenant que M. B...justifiait de circonstances exceptionnelles pour prétendre à une affectation définitive à La Réunion, le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreurs de droit ; en effet, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, M. B...ne justifie pas du caractère exceptionnel de sa situation qui justifierait sa mutation définitive à La Réunion ; si les dispositions du 2 du III de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires des services actifs de la police nationale, prévoient la dérogation à la limitation de séjour outre-mer, la circonstance de la fermeture du commissariat de Libourne ne permet pas de considérer que la situation de M. B...présenterait un caractère exceptionnel ; le Conseil d'Etat, dans l'arrêt du 2 février 2011, le Rasle, n° 326768, a donné une interprétation très restrictive de la notion de circonstances graves et exceptionnelles, au sens des textes ; les éléments apportés par M. B...relatifs à la volonté du couple de s'installer durablement à La Réunion, du fait de l'existence d'un projet immobilier commun et de leur activité professionnelle sur place, ne permettent pas de caractériser une telle situation ; en ce qui concerne la question du transfert du centre des intérêts moraux et matériels de M. B...à La Réunion, comme il est indiqué dans le mémoire de première instance, les pièces du dossier établissent que M. B...a conservé le centre de ses intérêts matériels et moraux en métropole dès lors qu'il est né en 1963, qu'il n'est à La Réunion que depuis le 1er septembre 2011 et que donc il a passé la majeure partie de sa vie en métropole alors que par ailleurs son épouse n'est pas originaire de La Réunion; dans une situation similaire à celle de M. B..., le Conseil d'Etat, dans l'arrêt Sanchez, du 6 février 2013, n° 361303, a considéré que le centre des intérêts matériels et moraux n'avait pas été transféré outre-mer.
Par deux mémoires en défense enregistrés le 5 août 2017 et le 29 août 2018, M. B...représenté par Me D...conclut au rejet du recours du ministre de l'intérieur, à la confirmation du jugement du tribunal administratif de La Réunion du 18 août 2016 et à ce qu'une somme de 1800 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il Fait valoir que :
- le recours du ministre est irrecevable car tardif, dès lors que le jugement a été notifié au ministre le 22 août 2016 et que le recours du ministre n'est intervenu que le 24 octobre 2016, soit au-delà du délai de recours de deux mois qui lui était imparti par le code de justice, le ministre ne pouvant bénéficier des délais de distance prévus par le code de justice administrative ;
- en ce qui concerne le bien-fondé du jugement, sa situation personnelle relevait de circonstances exceptionnelles, justifiant qu'il soit dérogé à la durée limitée du séjour à La Réunion ; il a en effet, produit des documents afférents à la vente de sa maison à Libourne, au contrat à durée indéterminée dont a bénéficié son épouse à La Réunion, et des documents relatifs à la scolarisation de son fils à La Réunion ; contrairement à ce que considère le ministre, la fermeture du commissariat de Libourne est un élément exceptionnel, ayant rendu nécessaire la recherche de nouveaux postes, M. B...ayant du dans l'urgence sélectionner de nouvelles destinations d' affectation ; c'est dans ce contexte qu'il lui a été proposé de choisir comme lieu d'affectation La Réunion, avec comme contrat moral l'idée d'une compensation de la perte de son poste et de son cadre de vie ; il s'est trouvé devant une situation exceptionnelle ayant du reconstruire sa vie, en entrainant avec lui sa famille ; les conséquences de la fermeture du commissariat ont été pour lui exceptionnelles, consistant dans la vente de sa maison d'habitation de Libourne avec taxation des plus-values à hauteur de 13 400 euros, recherche d'emploi à la Réunion, et acquisition d'un bien ; au sens des textes, la notion de " circonstances graves ou exceptionnelles " se rapporte à la situation individuelle des agents ; en ce qui concerne la question du transfert du centre des intérêts matériels et moraux, les critères dégagés par la jurisprudence ne sont pas cumulatifs, mais sont constitués d'un faisceau de présomptions ; contrairement à ce que soutient le ministre le transfert du centre des intérêts matériels et moraux, ne signifie pas une coupure totale avec le précédent centre des intérêts, mais une appréciation au cas par cas ; le ministre pour considérer que le centre des intérêts matériels et moraux, se trouve en métropole, n'a pour seul argument que la durée de présence en métropole et l'origine de Mme B... ; toutefois, ces critères ne sont pas cumulatifs et le juge dispose d'un large pouvoir d'appréciation, et le fait pour M. B...d'être né en métropole et d'y avoir fait une large partie de sa carrière, n'interdit pas la possibilité d'un transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux ; en septembre 2017, cela fera six ans que M. B...vit à La Réunion, il est inscrit sur les listes électorales, ses comptes en banque se trouvent à La Réunion, le bien immobilier de Libourne a été vendu, sa famille vit avec lui à la Réunion et son fils n'est parti de La Réunion, en mobilité que du fait de l'absence de parcours conforme à ses voeux d'orientation ; si le critère de l'origine a été validé par le Conseil d'Etat, le transfert du centre des intérêts matériels et moraux obéit à des critères objectifs traduisant une volonté manifestée par l'agent ; en partant seul avec sa famille, et par tous les actes de sa vie accomplis depuis 2011, M. B...a fait la preuve du transfert du centre de ses intérêts matériels et moraux à La Réunion.
Vu les pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;
- la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 ;
- le décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de l'article 28 du décret n° 95-654 du 9 mai 1995 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Pierre Bentolila,
- les conclusions de Mme Béatrice Molina-Andréo, rapporteur public,
- les observations de MeA..., représentant M.B....
Une note en délibéré pour M. B...a été enregistrée le 14 septembre 2018.
Considérant ce qui suit :
1. M. B...fonctionnaire de police de l'Etat, titulaire du grade de major, se trouvait en poste au commissariat de Libourne, qui a fait l'objet d'une mesure de restructuration. M. B... a demandé sa mutation pour La Réunion, qui est intervenue par arrêté du 2 août 2011 et a pris effet au 1er septembre 2011, pour une durée de trois ans. Par un arrêté du 17 avril 2014, M. B...a bénéficié d'une prolongation d'un an, à compter du 1er septembre 2014. M. B...a présenté le 21 janvier 2015, auprès du ministre de l'intérieur, une demande d'affectation définitive dans le département de La Réunion. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement du 18 août 2016 par lequel le tribunal administratif de La Réunion a annulé le refus implicite opposé le 22 mars 2015 par le ministre de l'intérieur, à la demande de M. B...d'affectation définitive dans le département de La Réunion.
Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :
2. En vertu de l'article R.811-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition contraire, le délai d'appel est de deux mois. (...). ".
3. M. B...oppose au recours du ministre de l'intérieur sa tardiveté. Toutefois, il ressort des pièces du dossier, que le jugement du 18 août 2016 du tribunal administratif de La Réunion a été notifié au ministre le 22 août 2016, et que le 23 octobre 2016, date d'échéance du délai du recours contentieux, étant un dimanche, le délai de recours contentieux a été prorogé jusqu'au lundi 24 octobre 2016 inclus. Dans ces conditions, le recours du ministre intervenu le 24 octobre 2016, n'est pas tardif, et la fin de non-recevoir opposée par M. B...doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. L'article 19 de la loi du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité prévoit que le statut spécial des personnels actifs de la police nationale peut déroger au statut général de la fonction publique, afin d'adapter l'organisation des corps et des carrières aux missions spécifiques de la police nationale, et que ces personnels, compte tenu de la nature de ces missions, sont soumis à des obligations particulières de disponibilité, de durée d'affectation, de mobilité et de résidence. L'article 25 du décret du 9 mai 1995 fixant les dispositions communes applicables aux fonctionnaires actifs des services de la police nationale rend applicable les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 aux termes duquel : " L'autorité compétente procède aux mouvements des fonctionnaires après avis des commissions administratives paritaires (...). Dans le cas où il s'agit de remplir une vacance d'emploi compromettant le fonctionnement du service et à laquelle il n'est pas possible de pourvoir par un autre moyen, même provisoirement, la mutation peut être prononcée sous réserve d'examen ultérieur par la commission compétente ". Le même article 25 précise toutefois que les dispositions de l'article 60 de la loi du 11 janvier 1984 ne sont pas applicables lorsque le fonctionnaire actif de la police nationale, parce que l'intérêt du service l'exige, est exceptionnellement déplacé ou changé d'emploi. Par ailleurs, l'article 28 du même décret renvoie à un arrêté interministériel la fixation de la durée maximale de séjour de ces personnels lorsqu'ils sont appelés à servir outre-mer, en précisant qu'une prolongation d'un an, qui ne saurait constituer un droit, peut leur être accordée à leur demande. Aux termes de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de cet article 28, qui fixe à 3 ans la durée maximale du séjour dans le département de la Réunion : " (...) II. - La durée de séjour n'est pas applicable : /(...) 2. Aux fonctionnaires affectés dans les départements et collectivités d'outre-mer s'ils en sont originaires ; (...)/ III. - Il peut être dérogé à la durée de séjour, après avis des commissions administratives paritaires compétentes, pour des fonctionnaires servant outre-mer en cas : / 1. De mariage ou de pacte civil de solidarité contracté avec un originaire au moins un an avant la date du dépôt de la demande de dérogation. Cette demande doit être formulée au plus tard six mois avant la date d'expiration du séjour ; /2. De circonstances graves ou exceptionnelles ; /3. D'une insuffisance de candidats à la mutation dans un département ou une collectivité d'outre-mer. / IV. - La qualité d'originaire s'apprécie à la date du dépôt de la demande de mutation en fonction du lieu de résidence habituelle, tel que défini par le décret du 20 mars 1978 susvisé ".
5. Le tribunal administratif, pour juger que la situation de M. B...présentait un caractère exceptionnel justifiant qu'il soit dérogé à la durée maximale de séjour des fonctionnaires appelés à servir dans le département de La Réunion s'est fondé notamment sur la circonstance selon laquelle la demande de mutation de M. B...à La Réunion en 2011 était intervenue dans le contexte d'une mesure de restructuration qui affectait le commissariat de Libourne, dont la disparition avait rendu nécessaire la recherche de nouveaux postes pour l'ensemble des policiers concernés et sur le fait que M. B...avait justifié de la vente de son logement à Libourne. Toutefois, si de telles circonstances ne permettaient pas le retour de M. B... dans sa circonscription d'origine, elles ne faisaient pas obstacle à l'attribution d'une affectation dans une autre circonscription en métropole à l'issue de son séjour outre-mer.
6. Dans ces conditions, le tribunal administratif a entaché son jugement d'erreur de droit en considérant que les circonstances relatives à la suppression du commissariat de Libourne étaient de nature à caractériser des " circonstances exceptionnelles ", au sens des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995, justifiant le maintien de M. B...dans le département de La Réunion au-delà de la durée maximale légalement autorisée, alors qu'un tel maintien au-delà de cette durée maximale, ne pouvait tenir qu' à la spécificité des conditions de service dans les territoires d'outre-mer et aux exigences du bon fonctionnement des services publics dans ces territoires.
7. Si par ailleurs, le jugement s'est fondé sur la circonstance selon laquelle l'épouse de M. B... avait une activité professionnelle à La Réunion, et que le couple, ce qui au demeurant n'est pas justifié au dossier à la date de la décision en litige, projetait un achat immobilier dans ce département, et s'il ressort effectivement des pièces du dossier, que MmeB..., a bénéficié le 17 novembre 2004 d' un contrat indéterminée en qualité de secrétaire d'une dentiste, et que par ailleurs M. B...justifie de son inscription sur les listes électorales, et a ouvert des comptes bancaires à La Réunion, de tels éléments sont insuffisants, pour caractériser l'existence de circonstances exceptionnelles qui auraient justifié au sens des dispositions de l'article 1er de l'arrêté du 20 octobre 1995, le maintien de M. B...dans le département de La Réunion au-delà de la durée maximale légalement autorisée. Dans ces conditions, le ministre par la décision attaquée, n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées de l'article 1er III de l'arrêté du 20 octobre 1995 pris pour l'application de cet article 28, qui fixe à trois ans la durée maximale du séjour dans le département de La Réunion et c'est donc à tort que le tribunal administratif s'est fondé sur les éléments susmentionnés pour prononcer l'annulation de la décision du 22 mars 2015 de refus d'affectation définitive à la Réunion.
8. Si la cour de par l'effet dévolutif de l'appel est saisie des autres moyens qui seraient présentés par M. B...tant en première instance qu'en appel, ce dernier n'a pas présenté d'autres moyens que ceux retenus par le tribunal administratif et auxquels il est répondu aux points précédents du présent arrêt.
9. Il résulte de ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à demander l'annulation du jugement n° 1500459 du 18 août 2016 du tribunal administratif de La Réunion et le rejet de la demande de M.B....
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Compte tenu du rejet des conclusions en annulation présentées par M.B..., ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent être que rejetées.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement n° 1500459 du 18 août 2016 du tribunal administratif de La Réunion est annulé.
Article 2 : La demande et le surplus de la requête de M. B...sont rejetés.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et à M. C...B....
Délibéré après l'audience du 10 septembre 2018, à laquelle siégeaient :
M. Pierre Larroumec, président,
M. Pierre Bentolila, président-assesseur,
M. Axel Basset, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 octobre 2018.
Le rapporteur,
Pierre Bentolila
Le président,
Pierre Larroumec
Le greffier,
Cindy VirinLa République mande et ordonne au ministre de, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition certifiée conforme.
Le greffier,
Cindy Virin
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N° 16BX03439