Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 2 janvier 2020, et trois mémoires en production de pièces, enregistrés les 12 février, 16 mars et 4 juin 2020, M. C..., représenté par Me B..., demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance du 6 août 2019 du président du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer le titre de séjour sollicité ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation ;
3°) d'annuler l'arrêté du 13 juillet 2018 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre séjour et l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours à destination de son pays d'origine ainsi que la décision du 21 décembre 2018 rejetant son recours gracieux ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n°91-647 du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est irrégulière, en ce que le président du tribunal administratif de Bordeaux a omis de l'informer de ce qu'il envisageait de rejeter sa requête comme irrecevable, en méconnaissance des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative ;
- de plus, cette requête n'était pas manifestement irrecevable ; ainsi, à la suite de la notification, le 23 juillet 2018, de l'arrêté contesté, il a sollicité, le 8 août 2018, donc dans le délai qui lui était imparti, le bénéfice de l'aide juridictionnelle afin de se pourvoir contre cet arrêté et la décision d'aide juridictionnelle est intervenue le 29 août 2018 et lui a été notifiée en lettre simple ; par conséquent, la requête, introduite le 28 mai 2019, a été présentée dans un délai raisonnable au regard de la jurisprudence Czabaj ;
- qui plus est, le délai d'un an fixé par cette jurisprudence n'a pas pu courir en l'espèce, l'administration ne pouvant établir la date à laquelle la notification de la décision du bureau d'aide juridictionnelle a été effectuée ;
- enfin, il n'avait pas à justifier de l'existence d'un " obstacle particulier " pour justifier du délai utilisé pour saisir le tribunal ; en effet, c'est pour justifier d'un délai excédant celui d'un an qu'il peut être allégué des circonstances particulières ;
- par ailleurs, le préfet a commis une erreur de fait en estimant qu'il ne vivrait pas avec la mère de ses enfants ;
- en outre, le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation de sa situation personnelle et familiale ;
- enfin, il encourt des risques en cas de retour dans son pays d'origine, eu égard à sa qualité d'opposant et à l'assassinat de son père trois ans après son départ de la RDC.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 janvier 2020, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.
Il soutient que :
- la requête est tardive
- et sur le refus de séjour et l'obligation de quitter le territoire, s'en rapporte aux termes du mémoire transmis en première instance ;
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 décembre 2019.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., ressortissant de la République démocratique du Congo, est entré en France, selon ses déclarations, le 2 mai 2012 et a sollicité l'asile politique, demande rejetée le 5 octobre 2015 par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et le 20 juin 2016 par la Cour nationale du droit d'asile. Cependant il a ensuite sollicité, le 12 avril 2017, la délivrance d'un titre de séjour.
2. Le préfet de la Gironde lui a refusé, par arrêté du 13 juillet 2018, la délivrance de ce titre de séjour et a assorti ce refus d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dans le délai de 30 jours. M. C... relève appel de l'ordonnance du 6 août 2019 par laquelle le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande comme irrecevable.
3. D'une part, aux termes des dispositions du I de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d'un État membre de 1'Union européenne (...) lorsqu'il se trouve dans l'un des cas suivants : (...) 3° Si la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé à l'étranger (...) ". Aux termes du I de l'article L. 512-1 du même code: " L'étranger qui fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sur le fondement des 3°, 5°, 7° ou 8° du I de l'article L. 511-1 ou sur le fondement de l'article L. 511-3-1 et qui dispose du délai de départ volontaire mentionné au premier alinéa du II de l'article L. 511-1 ou au sixième alinéa de l'article L. 511-3-1 peut, dans le délai de trente jours suivant sa notification, demander au tribunal administratif l'annulation de cette décision, ainsi que l'annulation de la décision relative au séjour de la décision mentionnant le pays de destination et de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français ou d'interdiction de circulation sur le territoire français qui l'accompagnent le cas échéant (...) ".
4. D'autre part, l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique dispose que : " Les décisions du bureau d'aide juridictionnelle (...) peuvent être déférées, selon le cas, (...) au président de la cour administrative d'appel. Ces autorités statuent sans recours. /Les recours contre les décisions du bureau d'aide juridictionnelle peuvent être exercés par l'intéressé lui-même lorsque le bénéfice de l'aide juridictionnelle lui a été refusé, ne lui a été accordé que partiellement ou lorsque ce bénéfice lui a été retiré (...) ". Et aux termes de l'article 38 du décret du 19 décembre 1991 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique : " Lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : / (...) / (...) / c) De la date à laquelle le demandeur à l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 56 et de l'article 160 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; /d) Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné (...) ". Et, en vertu du premier alinéa de l'article 56 du décret du 19 décembre 1991, le délai de ce recours " est de quinze jours à compter du jour de la notification de la décision à l'intéressé ".
5. Enfin, aux termes de l'article 50 du décret du 19 décembre 1991 précité : " Copie de la décision du bureau, de la section du bureau ou de leur président est notifiée à l'intéressé par le secrétaire du bureau ou de la section du bureau par lettre simple en cas d'admission à l'aide juridictionnelle totale (...) ".
6. Il résulte de la combinaison de ces dispositions qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle. Il en va ainsi quel que soit le sens de la décision se prononçant sur la demande d'aide juridictionnelle, qu'elle en ait refusé le bénéfice, qu'elle ait prononcé une admission partielle ou qu'elle ait admis le demandeur au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale, quand bien même dans ce dernier cas le ministère public ou le bâtonnier ont, en vertu de l'article 23 de la loi du 10 juillet 1991, seuls vocation à contester une telle décision.
7. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si la méconnaissance de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.
8. Il est constant que l'arrêté litigieux a été notifié à l'appelant le 20 juillet 2018, que celui-ci a déposé une demande d'aide juridictionnelle le 31 juillet suivant - ce qui a interrompu le délai de recours contentieux de 30 jours courant à l'encontre de cet arrêté - et qu'une décision lui accordant l'aide juridictionnelle totale est intervenue le 29 août suivant, accompagnée, le même jour, de la désignation de l'avocat chargé de le représenter.
9. Toutefois, aucune pièce du dossier ne permet de connaître la date à laquelle la décision du bureau d'aide juridictionnelle du 29 août 2018 a été notifiée à M. C... ni même celle à laquelle ce dernier en a eu connaissance. Par conséquent et contrairement à ce qu'a estimé le premier juge, cette circonstance faisait obstacle à ce que fût opposé à l'intéressé le dépassement d'un délai raisonnable pour exercer un recours juridictionnel à l'encontre de l'arrêté préfectoral du 13 juillet 2018, à supposer même que ce délai pût en l'occurrence être fixé à moins d'un an.
10. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à la régularité de l'ordonnance attaquée, M. C... est fondé à demander l'annulation de l'ordonnance du 6 août 2019 par laquelle le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté comme irrecevable sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 13 juillet 2018.
11. Dans les circonstances de l'espèce il y a lieu de renvoyer M. C... devant le tribunal administratif de Bordeaux pour qu'il y soit à nouveau statué sur sa demande.
12. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme que demande M. C... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 1902650 du 6 août 2019 du président du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.
Article 2 : L'affaire est renvoyée devant le tribunal administratif de Bordeaux pour qu'il soit statué sur la demande de M. C....
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 3 septembre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président,
Mme D..., présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er octobre 2020.
La présidente-assesseure,
D...
Le président
Éric Rey-BèthbéderLa greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 20BX00002