Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2019 sous le n° 19BX03573, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 9 septembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 août 2019 par lequel la préfète de la Gironde a décidé de le transférer aux autorités italiennes ;
3°) d'enjoindre à la préfète de ce département de lui remettre une attestation de demande d'asile et un formulaire de demande d'asile destiné à l'OFPRA ;
4°) de lui enjoindre de procéder au réexamen de sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour dans un délai de soixante-douze heures sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
5°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes méconnaît l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 dès lors que le préfet ne justifie pas lui avoir remis la brochure intitulée " les empreintes et Eurodac " et que la durée de l'entretien avec l'interprète a été insuffisante ;
- il méconnaît l'article 5 du règlement UE n°604/2013 du fait que l'organisme d'interprétariat ne disposait pas de l'agrément requis.
La requête a été communiquée à la préfète de la Gironde qui n'a pas produit de mémoire.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n° 2019/021610 du 12 décembre 2019 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
II. Par une requête, enregistrée le 20 septembre 2019 sous le n° 19BX03574, M. A..., représenté par Me C..., demande à la cour :
1°) de lui accorder provisoirement le bénéfice de l'aide juridictionnelle ;
2°) de surseoir à l'exécution du jugement du 9 septembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux ;
3°) de mettre à la charge de l'État le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Il soutient que :
- l'arrêté portant transfert aux autorités italiennes méconnaît l'article 4 du règlement UE n° 604/2013 dès lors que le préfet ne justifie pas lui avoir remis la brochure intitulée " les empreintes et Eurodac " et que la durée de l'entretien avec l'interprète a été insuffisante ;
- il méconnaît l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 du fait que l'organisme d'interprétariat ne disposait pas de l'agrément requis.
Par un courrier du 9 mars 2020, la préfète de la Gironde a informé la cour de la réalisation du transfert de l'intéressé vers l'Italie le 21 janvier 2020.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 mars 2020, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête et soutient qu'aucun des moyens soulevés par l'intéressé n'est fondé.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision n°2019/021615 du 12 décembre 2019 du bureau de l'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux.
Par ordonnances du 10 mars 2020, la clôture de l'instruction a été fixée au 11 mai 2020 à 12h dans les deux instances.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n ° 604/2013 ;
- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l'État membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 portant adaptation des règles applicables devant les juridictions de l'ordre administratif ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Rey-Bèthbéder, président-rapporteur.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant sénégalais, déclare être entré en France le 1er février 2019. Il a déposé une demande d'asile le 19 mars 2019. Constatant, au vu du résultat du relevé de ses empreintes décadactylaires, que l'intéressé avait précédemment introduit une demande d'asile en Italie le 26 juillet 2018, la préfète de la Gironde a formé, le 2 avril 2019, une demande de reprise en charge auprès des autorités italiennes, sur le fondement du b) de l'article 18.1 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, que ces dernières ont expressément acceptée le 15 avril 2019. Par un arrêté du 13 août 2019, la préfète de la Gironde a décidé de transférer l'intéressé aux autorités italiennes, responsables de l'examen de sa demande d'asile. Par une requête n° 19BX03573, M. A... relève appel du jugement du 9 septembre 2019 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté en litige et demande, sous le n° 19BX03574, d'ordonner le sursis à l'exécution de ce jugement. Le transfert de M. A... vers l'Italie a été effectué le 21 janvier 2020.
2. Les requêtes n° 19BX03573 et n° 19BX03574 de M. B... A... portent sur la contestation d'un même jugement et ont fait l'objet d'une instruction commune. Dès lors, il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la demande d'admission provisoire au bénéfice de l'aide juridictionnelle :
3. Par une décision du 12 décembre 2019, M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Dès lors, sa demande tendant à être admis provisoirement au bénéfice de l'aide juridictionnelle est devenue sans objet. Par suite, il n'y a pas lieu d'y statuer.
Sur la requête n°19BX03573 :
4. En premier lieu, aux termes de l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Dès qu'une demande de protection internationale est introduite au sens de l'article 20, paragraphe 2, dans un État membre, ses autorités compétentes informent le demandeur de l'application du présent règlement (...) / 2. Les informations visées au paragraphe 1 sont données par écrit, dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend. Les États membres utilisent la brochure commune rédigée à cet effet en vertu du paragraphe 3. Si c'est nécessaire à la bonne compréhension du demandeur, les informations lui sont également communiquées oralement, par exemple lors de l'entretien individuel visé à l'article 5. / 3. La Commission rédige, au moyen d'actes d'exécution, une brochure commune ainsi qu'une brochure spécifique pour les mineurs non accompagnés, contenant au minimum les informations visées au paragraphe 1 du présent article. Cette brochure commune comprend également des informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les données relatives à un demandeur peuvent être traitées dans Eurodac. La brochure commune est réalisée de telle manière que les États membres puissent y ajouter des informations spécifiques aux États membres. Ces actes d'exécution sont adoptés en conformité avec la procédure d'examen visée à l'article 44, paragraphe 2, du présent règlement ". Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'État membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les États membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; c) des destinataires des données; d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; e) de son droit d'accéder aux données la concernant et de demander que des données inexactes la concernant soient rectifiées ou que des données la concernant qui ont fait l'objet d'un traitement illicite soient effacées, ainsi que du droit d'être informée des procédures à suivre pour exercer ces droits, y compris les coordonnées du responsable du traitement et des autorités nationales de contrôle visées à l'article 30, paragraphe 1. 2. Dans le cas de personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, les informations visées au paragraphe 1 du présent article sont fournies au moment où les empreintes digitales de la personne concernée sont relevées (...) ".
5. M. A... soutient, d'une part, que la brochure intitulée " Les empreintes et Eurodac " ne lui a pas été remise et que, de ce fait, il a été privé d'une garantie. Il ressort des pièces du dossier que M. A... s'est vu remettre la brochure A " J'ai demandé l'asile dans l'Union européenne - quel pays sera responsable de ma demande ' " et la brochure B " Je suis sous procédure Dublin - Qu'est-ce que cela signifie ' " qui constituent la brochure commune prévue par les dispositions de l'article 4 du règlement. Il ne ressort en revanche d'aucune pièce du dossier qu'il aurait reçu le livret " Les empreintes et Eurodac ". Toutefois, la brochure A comporte bien les informations relatives à l'application du règlement (UE) n° 603/2013 et, en particulier, à la finalité pour laquelle les empreintes digitales sont vérifiées dans la base de données Eurodac, conformément au point 3 de l'article 4 du règlement Dublin. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'absence de ce document a été susceptible d'exercer une influence sur le sens de la décision contestée. En tout état de cause, comme l'a rappelé le premier juge, à la différence de l'obligation d'information instituée par le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, qui prévoit un document d'information sur les droits et obligations des demandeurs d'asile, dont la remise doit intervenir au début de la procédure d'examen des demandes d'asile pour permettre aux intéressés de présenter utilement leur demande aux autorités compétentes, l'obligation d'information prévue par les dispositions de l'article 29, paragraphe 1, du règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 précité, a uniquement pour objet et pour effet de permettre d'assurer la protection effective des données personnelles des demandeurs d'asile concernés, laquelle est garantie par l'ensemble des États membres relevant du régime européen d'asile commun. Le droit d'information des demandeurs d'asile contribue, au même titre que le droit de communication, le droit de rectification et le droit d'effacement de ces données, à cette protection. Il s'ensuit que la méconnaissance de cette obligation d'information ne peut être utilement invoquée à l'encontre de la décision par laquelle l'État français remet un demandeur d'asile aux autorités compétentes pour examiner sa demande.
6. L'intéressé soutient, d'autre part, que le temps dont il a bénéficié avec l'interprète en langue " peul " aurait été matériellement trop court pour assurer la traduction effective de la totalité des brochures. Il ressort toutefois du résumé de l'entretien individuel du 19 mars 2019 que " le guide du demandeur d'asile et l'information sur les règlements communautaires " ont été remis à M. A... et qu'il a certifié avoir compris la procédure engagée à son encontre. Dès lors, M. A... n'est pas fondé à soutenir qu'il n'aurait pas bénéficié des garanties d'information prévues par l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013.
7. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 4 du règlement (UE) n°604/2013 doit être écarté en toutes ses branches.
8. En second lieu, aux termes de l'article 5 du règlement UE n° 604/2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'État membre responsable, l'État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4 (...) / 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les États membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. / 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national (...) ". Aux termes de l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'il est prévu aux livres II, V et VI et à l'article L. 742-3 du présent code qu'une décision ou qu'une information doit être communiquée à un étranger dans une langue qu'il comprend, cette information peut se faire soit au moyen de formulaires écrits, soit par l'intermédiaire d'un interprète. L'assistance de l'interprète est obligatoire si l'étranger ne parle pas le français et qu'il ne sait pas lire. / En cas de nécessité, l'assistance de l'interprète peut se faire par l'intermédiaire de moyens de télécommunication. Dans une telle hypothèse, il ne peut être fait appel qu'à un interprète inscrit sur l'une des listes mentionnées à l'article L. 111-9 ou à un organisme d'interprétariat et de traduction agréé par l'administration. Le nom et les coordonnées de l'interprète ainsi que le jour et la langue utilisée sont indiqués par écrit à l'étranger ".
9. M. A... fait valoir que l'organisme d'interprétariat AFTCom ne disposait pas de l'agrément requis à la date de l'arrêté contesté et que ce dernier garantissant la qualité des échanges, il n'a pas été mis à même de présenter de manière effective les éléments permettant de déterminer l'État responsable. Il ressort des pièces du dossier que l'entretien individuel exigé par l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 s'est déroulé le 19 mars 2019 avec l'assistance téléphonique d'un interprète en langue peul. La préfète de la Gironde ne conteste pas qu'à cette date l'organisme d'interprétariat en question ne disposait pas encore de l'agrément exigé par l'article L. 111-8 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Toutefois, cet organisme a obtenu l'agrément ministériel aux fins d'interprétariat et de traduction par décision du ministre de l'Intérieur du 23 avril 2019 régulièrement publiée au Journal officiel de la République française n° 0100 du 28 avril 2019, soit seulement un mois après la date de l'entretien individuel. En outre, il ressort des pièces du dossier, ainsi qu'il a été dit, que M. A... a été assisté d'un interprète et qu'il a reçu une information complète concernant l'application du règlement (UE) n° 604/2013. Dans ces conditions, l'absence d'agrément de l'organisme d'interprétariat à la date de l'entretien individuel n'a pas eu pour effet de priver l'intéressé d'une garantie. Elle n'a pas davantage été de nature à exercer en l'espèce une influence sur le sens de la décision contestée. Par suite et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'obligation de recourir à un interprète agréé, c'est à bon droit que le premier juge a écarté le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013.
10. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte ainsi que celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur la requête n° 19BX03574 :
11. La cour statuant au fond par le présent arrêt sur les conclusions à fin d'annulation du jugement du 9 septembre 2019 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Bordeaux, les conclusions de la requête tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution du même jugement sont devenues sans objet.
DÉCIDE :
Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur la demande de sursis à exécution présentée dans la requête n° 19BX03574.
Article 2 : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle à titre provisoire.
Article 3 : Le surplus de la requête n° 19BX03573 est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée à la préfète de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 29 octobre 2020 à laquelle siégeaient :
M. Éric Rey-Bèthbéder, président-rapporteur,
Mme D..., présidente-assesseure,
M. Manuel Bourgeois, premier-conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 3 décembre 2020.
Le président,
Éric Rey-Bèthbéder
La greffière,
Angélique Bonkoungou
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 19BX03573,19BX03574